Avant d’envisager la manière dont cette formation initiale pourrait/devrait être modifiée, il convient sans doute de se demander si une telle réforme est réellement souhaitable et/ou possible. Comme souvent en matière d’éducation, on a pu lire et entendre tout et son contraire : nous sommes tous des spécialistes, nous avons tous été à l’école, y avons un enfant, y enseignons ou connaissons quelqu’un qui y enseigne ou a un enfant qui…
Pourquoi un statu quo n’est pas possible
Plus sérieusement, si j’ose dire, on a pu entendre qu’une telle réforme était impayable… peut-être 600 millions… peut-être plus… soit à peine deux fois le coût estimé du redoublement (de l’enseignement obligatoire…), si on y pense bien. Sans parler du prix de la concurrence entre réseaux que tout économiste se garde bien d’estimer parce que trop d’intérêts sont en jeu. Il est donc inconcevable pour certains de prolonger la durée des études, alors même que la corporation des chasseurs de gaspi ne trouve rien à redire lorsqu’on parle, en même temps, de fermer des écoles existantes à Bruxelles et d’en ouvrir d’autres quelques centaines de mètres plus loin… sans régler le mal le plus profond de notre système… la concurrence entre écoles et réseaux, prix humain et économique à payer pour préserver la liberté de certains de ne pas vivre avec d’autres dans une école véritablement démocratique et inclusive.
Autre raison invoquée par des penseurs, bien intentionnés sans doute, de ne pas envisager une réforme en profondeur de la formation des maîtres : tout allongement entrainerait une limitation de l’accès aux études des étudiants les plus défavorisés. Cette critique est à prendre au sérieux. L’enseignement supérieur de type court est certes une voie possible, moins socialement marquée à l’entrée… mais il n’est pas certain, malheureusement, que cela soit vrai à la sortie, ni même sur le marché du travail (comme disait un collègue, l’école, l’important, ce n’est pas d’y entrer, c’est d’en sortir… avec un diplôme, puis de trouver un boulot correct).
Par ailleurs, il ne faut pas confondre la cause d’un phénomène et ses effets. A ce rythme, au motif que les infirmières sont en moyenne d’origine plus modeste que les chirurgiens, on pourrait aussi bien ramener la durée des études de ces derniers… à trois ans. Les patients ne s’en porteraient pourtant certainement pas mieux !
C’est aussi principalement les enseignants, voire les futurs enseignants, qui sont interrogés dans la très consensuelle et politiquement correcte évaluation participative qui va bloquer toute décision pendant au moins une année… jusqu’à la prochaine législature peut-être. Les bénéficiaires d’une éventuelle réforme sont pourtant bien, in fine, les élèves… et les évaluations de notre système ne fournissent guère de raison de douter de son (in)efficacité et de son (in)équité actuelles (sans pour autant qu’il soit possible et souhaitable d’en faire porter la responsabilité aux enseignants individuellement). Il paraitrait même que, selon certaines investigations dont la méthodologie reste inconnue, les actuels étudiants se disent suffisamment préparés avant leur entrée dans le métier… voilà un bel optimisme que l’érosion exorbitante des effectifs enseignants durant les quelques premières années de la carrière ne manquera pas de questionner… à moins naturellement que tout soit affaire de conditions de travail.
Autre idée entendue : on ne change rien, mais on ajoute un stage après et, éventuellement, une année préparatoire de remise à niveau avant (tiens, si on améliorait plutôt la situation à la sortie du secondaire ?)… très bonne idée qui permettrait de ne rien changer et surtout, de ne pas payer plus ces enseignants, pas vraiment mastérisés… voir de bénéficier d’une main d’œuvre pas trop chère durant la période de stage et d’adoucir la fin de carrière de certains, promus maîtres de stage… Avec quelle formation et pour faire évoluer comment une profession qu’on dit par ailleurs devoir s’adapter rapidement à des situations complètement nouvelles ? On n’en sait encore trop rien et il n’est pas certain que ces questions soient véritablement à l’ordre du jour lorsqu’on adopte ce type de perspective.
Bon, il y a aussi de très bonnes raisons de se mettre en mouvement. L’une de celles-ci, je l’ai évoquée, c’est la situation peu enviable de notre système… une révision de la formation initiale est sans doute une condition nécessaire, mais pas suffisante. C’est aussi une manière socialement acceptable de revaloriser une fonction intellectuelle essentielle (oui, les enseignants font partie des professions intellectuelles, ce que certains parents, et même certains enseignants, semblent parfois oublier…).
Une autre raison pragmatique, celle-ci, c’est que les accords syndicats – gouvernement, menés sous la houlette du Ministre Dupont, ont conduit à ouvrir une possibilité de mastérisation, avec barème ad hoc, soit le fameux « barème 501 » accordé aux instituteurs et aux régents détenteurs d’un master en sciences de l’éducation qui poursuivent leur carrière dans l’enseignement fondamental ou le secondaire inférieur. Pour le compte, difficile de revenir en arrière et de bafouer des acquis sociaux (légitimes). Mais le risque est grand si on en reste là : celui d’une double dualisation. D’une part, des enseignants « à deux vitesses », ceux qui ont pu acquérir un master, soit directement à la sortie d’une haute école, soit plus tard, et les autres, ceux qui ont maintenu un parcours en trois ans… puis, d’autre part, les écoles qui parviendront à attirer les premiers et celles qui devront se contenter des seconds, voire de ceux qui ne possèdent pas vraiment de titres requis… il y a fort à parier que cette répartition correspondra au clivage social actuellement observé entre écoles et viendra encore le renforcer.
Reste à présent à envisager, si le lecteur est convaincu qu’il est difficile de continuer à faire comme si rien ne devait être fait, ce qui doit l’être effectivement.
Alors on bouge ? Mais pour quoi faire ?
En fait, comme le constate le CIUF (Conseil inter-universitaire francophone), ce n’est pas qu’une question d’allongement des études, ni même d’une révision des seules études d’instituteurs et de régents dont il doit être question. Il faut pouvoir mettre à plat l’ensemble de la formation des maîtres, depuis les enseignants de maternelle jusqu’aux enseignants du supérieur hors université (à l’université, aucun titre ni formation pédagogique n’est en effet exigé actuellement… mais on peut sans doute s’en émouvoir).
Alors, si ce n’est pas principalement une question de durée, c’est que c’est surtout une affaire de contenu… Les experts consultés s’accordent sur le fait que cette formation doit, notamment, comporter :
– Une solide formation disciplinaire (y inclus la dimension épistémologique des disciplines) ;
– Une formation en sciences humaines (et notamment en philosophie, sociologie et politique de l’éducation, permettant de développer une posture critique quant aux évolutions de la société mais aussi en psychologie, pour mieux comprendre et interagir avec tous les jeunes de l’école, quels que soient leurs parcours, caractéristiques et situations éventuelles de handicap) ;
– Une formation en didactique des disciplines enseignées et en psycho-pédagogie (et tout particulièrement le développement des compétences de détection, d’analyse et de régulation des difficultés d’apprentissage);
– Une formation en communication, incluant tous les aspects d’interaction et de communication avec les différents acteurs de l’école (oralement et par écrit), y compris la maîtrise pratique et réflexive des TICE ;
– Une formation à la recherche, pour susciter la capacité à innover et un questionnement continu de la pratique pédagogique ;
– Une formation à la pratique et à son analyse critique et réflexive.
Avec de tels objectifs, difficile d’imaginer se limiter à une formation de type court, même si l’actuelle formation poursuit déjà certains de ces objectifs. Cela ne suppose donc pas que tout ce qui est fait actuellement doive être abandonné ou que l’université doive s’arroger la responsabilité exclusive de cette formation. Il devrait s’agir de coopérer en permettant à chaque opérateur, y compris la promotion sociale, pour la formation des enseignants des disciplines techniques, par exemple, de faire profiter de son expérience et de ses compétences.
Si une réforme réellement ambitieuse peut prendre du temps, on pourrait aussi avancer plus vite sur certains chantiers, par exemple la formation des enseignants du spécialisé qui sont majoritairement… des enseignants formés comme leurs collègues de l’ordinaire, ni plus, ni moins. Ce serait une belle occasion pour les opérateurs de renforcer leurs collaborations, avant de se lancer dans une formation de masse, obligatoire pour tous.
D’autres aspects, souvent négligés lors des réformes, devraient aussi attirer l’attention des décideurs. L’un de ces aspects concerne les futurs formateurs des enseignants « à mastériser ». Si on ne veut pas se limiter à offrir une formation « sur le tas », en plaçant en stage les nouveaux collègues, il faudra former de réels didacticiens des disciplines, ce que ne font que très partiellement les universités (les moyens étant très limités, on préfère y former un physicien qui fait de la recherche… en physique, qu’un physicien qui se spécialise dans l’enseignement et la didactique de sa discipline). Ce n’est certainement pas non plus le CAPAES (Certificat d’aptitude pédagogique approprié à l’enseignement supérieur) qui permet aujourd’hui aux futurs formateurs d’enseignants d’acquérir une expertise dans le domaine de la didactique de leur discipline. Une formation spécifique dans ce domaine s’impose pourtant. Enseigner les mathématiques à de futurs comptables, cela ne demande pas les mêmes compétences que d’enseigner les mathématiques à des instituteurs qui devront eux-mêmes les enseigner à des élèves, parfois même en difficulté ! Pourtant, on peut se retrouver formateur d’enseignants en haute école alors même qu’on vient de terminer son master, qu’on n’a aucune expérience de l’enseignement (pas même une agrégation et quelques heures de stage) et aucune (zéro donc) formation dans le domaine de la didactique de sa discipline… Pas étonnant dès lors que ce dont ces « formateurs » se rappellent avoir vécu à l’école et à l’université constitue la seule bouée de sauvetage pour ces malheureux collègues qui ne doivent pas seulement enseigner leur discipline, mais enseigner la manière de l’enseigner à d’autres.
Les quelques éléments évoqués dans les lignes qui précèdent devraient convaincre chacun qu’il convient de se mettre en mouvement… notre enseignement mérite une réforme en profondeur de la formation des maîtres qui passera par son allongement (et non l’inverse)… Mais cela ne suffira pas… il conviendra aussi de s’intéresser aux formateurs de ces futurs collègues… et de s’atteler sérieusement à une réforme des titres et des conditions de travail (surtout en début de carrière… ce qui pourrait bien aider à régler les fins de carrière, sans continuer à favoriser une hémorragie coûteuse des ainés). Une réforme en profondeur de la formation des maîtres ne pourra pas se faire à coup de slogans ou de dogmes… elle se fera en mettant à plat les compétences véritablement nécessaires pour l’exercice de la profession et les moyens de les acquérir. Il faudra, pour une fois, faire l’économie… des guerres de chapelles et de territoires pour mobiliser chacun dans cette perspective. Il est sans doute à craindre en effet qu’il manque plutôt de bras (et de têtes) alors que certains semblent pourtant ne penser qu’à protéger un pré carré ou un statu quo favorable.
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Cet article fait partie d’un dossier consacré à la réforme de la formation des enseignants. Pour consulter les autres articles, suivez les liens :
– Formation des enseignants : l’Aped circonspect . C’est quand qu’on va où ? par Philippe Schmetz
– EFI, késako ? par Philippe Schmetz
– Il est sans doute urgent… de s’y mettre , par Marc Demeuse
– Réforme et revalorisation de la formation initiale des maîtres et des régents, position de la CGSP-enseignement, par Christiane Cornet
– Former les enseignants à faire apprendre tous les élèves, position de CGé, par Anne Chevalier
– Céderons-nous aux vents mauvais ?, réflexion sur la formation des maîres en France, par Alain Beitone