L’équipe politique[[Cette équipe est constituée de dix professionnels de l’éducation : enseignants des niveaux primaire, secondaire, supérieur et universitaire, inspecteur, conseiller pédagogique, formateurs d’enseignants, sociologue.]] de ChanGements pour l’égalité (CGé) s’est emparée de la proposition du Ministre Marcourt de participer à l’évaluation de la formation initiale des enseignants dans la perspective de l’objet social du mouvement, à savoir, favoriser l’égalité et la démocratie à l’école en Communauté Française.
Nos expériences diverses avec les professionnels de l’enseignement nous amènent au constat que beaucoup d’acteurs du système scolaire ne sont pas conscients des mécanismes qui produisent les inégalités et en particulier ceux qui sont générés au cœur de la classe par l’enseignant, en toute bonne foi. D’autres en sont conscients, mais restent démunis en termes de moyens d’action concrets pour agir au sein de leur classe ou de leur école.
Pour CGé, il est donc évident que la formation initiale doit mieux préparer les enseignants à faire apprendre tous les élèves, quels que soient leur origine socio-économique, culturelle et leur genre, dans une perspective de réussite ; et ceci, en vue d’enrayer un système éducatif qui continue à reproduire, voire renforce, les inégalités sociales. Nous voulons des enseignants compétents pour faire face aux inégalités !
Pour ce faire, nous pensons qu’il faut mettre l’accent, dans la formation initiale, sur trois compétences fondamentales du métier : faire apprendre, gérer le groupe classe et les relations interpersonnelles et être conscient de son rôle social.
Dans cet article, nous développons ce que nous entendons par chacune de ces compétences et nous faisons part de quelques suggestions concrètes de mise en œuvre d’une réforme de la formation initiale.
Des spécialistes de l’apprentissage pour tous les élèves
Aujourd’hui, face à la diversité des publics que l’école doit accueillir jusqu’à 18 ans, le métier d’enseignant change de paradigme. Au-delà de la transmission des savoirs, l’essentiel du métier consiste à trouver des chemins adaptés pour accompagner la construction des savoirs à travers les erreurs et les obstacles sociocognitifs rencontrés par les élèves. Il s’agit donc, dans la formation des maîtres, de mettre le focus sur les stratégies et les difficultés d’apprentissage des élèves, d’amener les futurs enseignants à comprendre le point de vue de l’apprenant et d’ainsi devenir des facilitateurs d’apprentissage qui savent choisir la pédagogie la plus appropriée en fonction du contexte.
Pour ce faire, la compétence de base des enseignants est la maîtrise des contenus d’enseignement, au-delà des savoirs scolaires proprement dits. Pour chacune des disciplines enseignées, il s’agit de comprendre en profondeur les fondements et le sens des concepts de base ainsi que leur articulation. Un travail sur les nœuds de compréhension des matières ainsi que sur les différentes étapes de construction des concepts est indispensable. Faute de quoi il n’est pas possible de comprendre les erreurs des élèves et de les accompagner sur le chemin de la réussite. Ce n’est que sur cette base solide que les enseignants vont pouvoir construire des séquences didactiques qui donnent du sens aux apprentissages et prennent en compte les difficultés des élèves.
Au-delà de la maîtrise des savoirs, la formation doit se préoccuper de comment les élèves peuvent accéder à ces savoirs, en particulier les élèves dont la culture familiale est éloignée de la culture scolaire. Pour ce faire, il s’agit d’utiliser les résultats des recherches en sciences de l’éducation à propos des rapports aux savoirs et à l’école des milieux populaires et les traduire en termes didactiques. La maîtrise de ces apports par tous les enseignants est un maillon crucial de la rencontre entre l’école, les jeunes et leurs familles afin de rendre efficaces les apprentissages scolaires pour tous.
D’un point de vue méthodologique, il importe d’apprendre comment mettre tous les élèves en activité en classe en choisissant des situations ou des problèmes pertinents qui fassent sens pour eux et soient centrés sur les contenus d’apprentissage tout en se gardant des situations essentiellement utilitaristes. Au-delà de la mise en activité, il s’agit de savoir conduire un processus d’apprentissage depuis le questionnement jusqu’à la mise en place d’un savoir construit et compris par tous en passant par la prise en compte des tâtonnements et des erreurs des élèves.
Tout au long de ce processus, il est essentiel d’enseigner aux élèves à voir, comprendre et apprendre les savoirs et les compétences qui sont au second plan, derrière les tâches scolaires et les exercices à faire. Il s’agit d’aider les élèves à démêler l’apprendre du faire et donc de rendre explicites les stratégies d’apprentissages indépendamment de la matière, afin que les enfants puissent comprendre comment on apprend.
En résumé, l’essentiel est donc d’apprendre aux futurs enseignants comment partir des élèves là où ils sont, c’est-à-dire, s’appuyer sur les connaissances et les compétences socioculturelles des élèves tout en exigeant d’eux d’entrer dans la culture de l’Écrit, d’aller vers l’Universel et la construction de l’Abstrait. Toutes ces compétences sont capitales pour atteindre une réelle maîtrise des savoirs scolaires et permettre l’émancipation des plus défavorisés.
Des éducateurs garants du groupe-classe
Au cœur du travail de la classe, l’enseignant est sans cesse amené à assurer les conditions de l’apprentissage collectif dans la classe. Il est le garant de la sécurité des personnes et du groupe. La fonction d’enseignant est donc indissociablement liée à un rôle d’éducateur.
Il s’agit de consacrer une part importante de la formation initiale des enseignants aux questions relatives à la dynamique de groupe et à la gestion égalitaire de la classe. Un travail de fond est nécessaire tant pour prendre conscience de ses propres comportements verbaux et non verbaux que pour débusquer les stéréotypes présents aussi bien chez les enseignants que chez les élèves. C’est au sein même de la vie et du travail des groupes d’étudiants qu’on peut travailler ces réalités avec des temps d’analyse réflexive de la vie des groupes ainsi que la mise en place de lieux de parole et de prise de décisions collectives.
La question de l’autorité est un enjeu majeur du métier d’enseignant. Les étudiants devraient sortir de leurs études avec la conviction que l’autorité n’est pas naturelle, mais le fruit d’un travail permanent au sein des équipes éducatives. Pour les amener à cela, nous suggérons de mettre en place tout au long de la formation un travail d’analyse des incidents critiques vécus en stage, d’initier les étudiants à différentes approches psychorelationnelles, de fournir des outils d’intervention et de résolution des conflits, de réfléchir sur la place des règles dans la vie d’un groupe et sur le rôle des sanctions en cas de transgressions. Sans initier les enseignants à ces fondements de la socialisation, ils ne pourront pas développer de pratiques alternatives à celles qu’ils ont connues eux-mêmes.
Des acteurs sociaux
En formant les jeunes d’aujourd’hui, les enseignants sont les architectes et les maçons de la société de demain. Les choix qu’ils font dans leur classe sont des choix politiques. Et pourtant, ils sont trop peu nombreux à comprendre le sens et le rôle de leur action tant au sein de la classe qu’au niveau de la société. Ils n’ont pas conscience des rapports de forces entre dominants et dominés auxquels ils participent, qu’ils le veuillent ou non. Un regard éclairé sur ces réalités sociales permettrait à chaque enseignant d’avoir une position critique sur sa pratique et sur celle de son école afin de favoriser l’égalité pour tous à un niveau systémique.
Le postulat d’éducabilité de tous les apprenants est un des fondements du métier d’enseignant. Une conviction profonde en la capacité de chacun à apprendre est un élément indispensable à la construction de l’estime de soi des élèves, préalable à toute démarche d’apprentissage.
L’ensemble de cette posture éthique ne peut être construit et maintenu que dans la mesure où le travail de l’enseignant devient un vrai travail collectif. Pour être un praticien capable de se décentrer, on a besoin du regard bienveillant des autres. Pour garder son a priori d’éducabilité face aux difficultés réelles rencontrées, il est essentiel d’avoir le soutien des collègues. Pour lutter contre les inégalités de manière efficace, il faut pouvoir se concerter pour trouver des relais possibles à l’intérieur et à l’extérieur de l’école.
Comment former les enseignants à ces compétences ?
Sans nous prononcer sur une architecture précise de la future formation initiale, nous voulons souligner quelques points d’attention sans lesquels les objectifs précisés ci-dessus ne pourront pas être atteints.
Les compétences décrites sont des clés de l’exercice du métier de la maternelle à la fin du secondaire. La future réforme de la formation des maîtres devrait unifier les différents parcours actuels et organiser des temps de formation en commun à tous les futurs enseignants, quels que soient le niveau ou la matière pour lesquels ils se forment. Des objectifs de cours ambitieux devraient permettre de découvrir diverses manières de faire classe pour se rendre accessible à tous. Ce temps partagé sur des questions communes devrait induire un respect plus important pour les différents niveaux de formation et partant, une meilleure collaboration entre collègues.
Pour devenir praticien, nous préconisons un processus de va-et-vient entre une pratique de terrain, l’analyse de celle-ci et les apports de diverses disciplines de sciences humaines. Les cours théoriques et les temps de réflexion sont là comme points d’appui pour changer ou consolider les pratiques. Les séminaires sont des lieux où on peut mettre en pratique des pédagogies alternatives afin d’en faire soi-même l’expérience. Les lieux de stages ne doivent pas se limiter à l’école, mais s’étendre aux différents lieux de vie des jeunes.
Quelle que soit la durée de la formation initiale, il importe d’articuler celle-ci avec l’entrée dans le métier et la formation continue. En effet, il est évident que toutes les compétences ne sont pas définitivement maîtrisées en fin de formation. De plus, la recherche avance, le métier évolue, tout enseignant a par conséquent des choses à apprendre tout au long de sa carrière. Il faut donc que la formation initiale prépare à la formation continuée pour que chaque enseignant s’inscrive, lui aussi, dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie.
Une urgence
Préalablement à toute réforme de la formation initiale des enseignants, il est urgent de consacrer énergie et financement à la formation continuée de tous les acteurs éducatifs en charge de la formation et de l’accompagnement des enseignants et futurs enseignants (formateurs d’enseignants, maîtres assistants, maîtres de stage, directeurs, inspecteurs et conseillers pédagogiques). Il s’agirait de développer auprès des cadres, la capacité d’accompagner la réflexion sur les situations de terrain avec des outils d’analyse et d’intervention sur les aspects relationnels, pédagogiques, sociologiques et systémiques de l’école.
En effet, c’est en travaillant à partir des situations vécues au sein des classes et dans les écoles qu’il est possible de faire prendre conscience des différentes dimensions des inégalités et des changements primordiaux.
C’est à cette pratique de l’analyse réflexive des aspects pédagogiques et sociologiques indispensables à la réussite de tous qu’il faut absolument former tous les formateurs d’enseignants
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Cet article fait partie d’un dossier consacré à la réforme de la formation des enseignants. Pour consulter les autres articles, suivez les liens :
– Formation des enseignants : l’Aped circonspect . C’est quand qu’on va où ? par Philippe Schmetz
– EFI, késako ? par Philippe Schmetz
– Il est sans doute urgent… de s’y mettre , par Marc Demeuse
– Réforme et revalorisation de la formation initiale des maîtres et des régents, position de la CGSP-enseignement, par Christiane Cornet
– Former les enseignants à faire apprendre tous les élèves, position de CGé, par Anne Chevalier
– Céderons-nous aux vents mauvais ?, réflexion sur la formation des maitres en France, par Alain Beitone