Bien qu’au point de vue juridique l’égalité des droits entre les hétéros et les LGBT (2) ait beaucoup progressé ces dernières années en Belgique, l’hétérosexisme et l’homophobie sont encore trop répandus, particulièrement à l’école (3).
En effet, et toutes les études le montrent, l’école est le premier lieu d’insécurité des jeunes LGBT, qui peuvent y être victimes d’homophobie, surtout de la part des pairs mais aussi de l’institution elle-même ou de ses représentants (encadrement, administration…), qu’elle se présente sous la forme d’intimidation, de harcèlement, de rejet, d’agressions verbales, de violences physiques (corporelles ou envers les effets personnels : vols, détériorations).
Des conséquences plus graves qu’il n’y parait
La pression homophobe a pour conséquences :
– une baisse de l’estime de soi,
– un mal-être pouvant aller jusqu’à la dépression,
– de la révolte,
– des idées suicidaires,
– une baisse des résultats scolaires, allant parfois jusqu’à l’échec,
– des conduites à risques tels que la consommation de médicaments et de drogues, des tentatives de suicide et des suicides réussis (3 à 6 fois plus élevés que chez les hétéros (4)),
– de l’absentéisme (de 2 à 4 fois plus élevé que chez les hétéros (5)) pouvant aller jusqu’au décrochage scolaire; ces jeunes quittent alors l’école plus tôt avec peu de qualification (6).
Une remarque ou une réflexion prononcée négligemment ou ironiquement par un élève ou un prof à l’encontre d’un élève gay, sans aller nécessairement jusqu’à la véritable injure, peut être lourde de conséquences, surtout à l’adolescence, période où se construit l’identité. Plus simplement encore, le professeur qui soupire en levant les yeux au ciel et en haussant les épaules face à un élève en difficulté, ne l’aura certes pas insulté directement. Mais toute la classe aura été confortée dans sa pensée, entretenue par des rumeurs, que cet élève est faible, voire nul, parce qu’il est homosexuel.
Benoît ROOSENS, de CGé (7), rappelle que la formation initiale et continue des enseignants sur toutes les questions de genre est indispensable pour les conscientiser et leur apprendre à réagir et à ne pas reproduire les stéréotypes (interaction avec les élèves, matériaux pédagogiques…) Dans le même sens, Didier ERIBON décrit comment la société impose une identité négative par l’injure. Pour le jeune, la seule solution en vue d’un épanouissement personnel est de se reconstruire une identité positive, reconstruction qui passe souvent par la ville et la rencontre avec d’autres homos (associations, quartiers gay trop souvent caricaturés en ghettos, bars ou boîtes gay toujours assimilés à des lieux de vice… Voir son chapitre « La ville et le discours conservateur » (8)).
Une question taboue ?
Bien sûr, même pour un hétéro, l’adolescence peut être difficile. Certains diront dès lors que la question de l’homosexualité ne doit pas être abordée à l’école. Nous réfutons cette façon de voir les choses, tant il apparaît que l’homophobie entraine des difficultés spécifiques. Ainsi, lorsqu’un jeune se découvre homo à l’adolescence, il se retrouve confronté à un problème supplémentaire par rapport aux ados hétéros : l’absence de modèles homos, les pressions à la conformité hétéro…
Par ailleurs, l’homophobie touche plus de monde qu’on le croit. Il y a évidemment les professeurs et les élèves LGBT. Mais aussi des hétéros, et tout jeune qui ne se comporte « pas comme tout le monde », même temporairement (différences de look, de sensibilité, de voix, de centres d’intérêt, de comportement). Par exemple, une fille qui refuse les avances de garçons ou une autre qui aime le foot est traitée de lesbienne, un garçon peu intéressé par le sport ou efféminé est une tapette, etc. Les amis, les frères et sœurs, et les enfants d’homos, peuvent aussi souffrir d’homophobie. Une enquête des Femmes Prévoyantes Socialistes (FPS) souligne que voir deux gays qui s’embrassent dans la rue choque moins (32%) que d’avoir un parent homo (57%) ou, dans une moindre mesure, un frère homo (36%). On se rend compte dès lors du malaise que peuvent vivre les frères ou les enfants de personnes homosexuelles. Autre raison de traiter la question à l’école : le taux de tentatives de suicide ou de suicides dépend directement de la souffrance liée à l’homophobie, taux plus élevé encore chez les lesbiennes que chez les gays (Saewyc et al. 2007).
On ne peut rejeter la question de l’homophobie dans la seule sphère privée, car elle dépasse le problème psychologique individuel de l’adolescent. C’est au contraire une question sociale, comparable à toute forme de discrimination, comme le racisme (9) ou le sexisme… A cet égard, il est à noter que les lesbiennes sont victimes d’une double discrimination puisqu’elles appartiennent à deux groupes socialement considérés comme inférieurs, parfois même par les gays eux-mêmes. Autre double discrimination : les jeunes homos de l’enseignement professionnel, parce que cette filière concentre des jeunes de milieux défavorisés et parce que l’acceptation de l’homosexualité y est plus faible que dans le général (enquête des FPS) (10).
L’homosexualité n’est pas le problème
En fait, l’homosexualité n’est pas un problème en soi, c’est son acceptation sociale qui pose problème. A cet égard, les résultats de l’enquête des FPS sont révélateurs : la plupart des personnes sondées déclarent ne pas avoir de problème avec l’homosexualité, mais n’accepteraient pas d’avoir un enfant homosexuel.
L’école ne remplit pas son rôle et ne rencontre pas les objectifs définis par l’APED : elle reste un instrument de reproduction sociale, alors qu’elle doit lutter contre la pression à la conformité et les inégalités subies par les jeunes homos. A ce propos, il faut tordre le cou à un des arguments les plus répandus du discours conservateur, à savoir que seule l’hétérosexualité serait « naturelle » et donc « saine ». Certains vont même jusqu’à dire que la seule famille légitime serait : un papa, une maman et des enfants. Nous ne pouvons adhérer à une telle vision, plus que simpliste, quand on se rend compte de la complexité des comportements sociaux humains qui doivent être resitués dans une perspective historique et analysés sur les plans philosophique et politique. Dans le cadre limité de cet article, nous ne pouvons pas développer d’avantage, mais nous vous renvoyons à toute la littérature sur le sujet (à commencer par Didier ERIBON). Rappelons tout de même qu’un homo ne choisit pas de l’être. Tout ce qu’il est amené un jour à choisir, c’est de s’accepter et de vivre ce qu’il est, en toute dignité, ou de ne pas le faire. Dans le premier cas, il sera confronté à l’homophobie et aux discriminations contre lesquelles tout mouvement progressiste a le devoir de lutter.
Quelques axes pour l’aborder à l’école
Bien que l’homosexualité soit de plus en plus souvent évoquée à l’école, dans certains cours du moins, elle est encore trop souvent abordée de façon négative et envisagée comme un problème et non en vue d’une compréhension de cette réalité et d’un soutien aux jeunes homos (11). En outre, l’homosexualité féminine est largement passée sous silence, comme dans la société en général, où elle est invisible. Citez-nous trois lesbiennes célèbres…
La difficulté d’évoquer l’homosexualité à l’école ou d’y lutter contre l’homophobie se différencie de la question du racisme : le professeur ou l’élève qui réagit contre des propos racistes, même non soutenu par ses pairs, ne sera pas automatiquement discrédité, tandis que le défenseur des gays ou des lesbiennes se verra souvent soupçonné d’être homosexuel lui-même et se verra décrédibilisé, les LGBT appartenant à un groupe inférieur, selon les lois de l’hétérosexisme ; il pourra même être taxé de faire du prosélytisme. Il faut bien sûr pouvoir dépasser ce stade. Pourtant, fort heureusement, lorsque des actions sont entreprises à l’école, des résultats sont obtenus. On pourra en trouver un exemple dans l’entretien avec Nathalie et dans d’autres études, comme celle effectuée par le GRIS-Montréal. Celle-ci rapporte que « selon les jeunes interrogés dans le cadre du 2005 National School Climate Survey américain, ces efforts [de lutte contre l’homophobie] font la différence. Et ils le font d’autant plus lorsque ces initiatives sont appuyées de politiques claires interdisant spécifiquement la discrimination et le harcèlement sur la base de l’orientation sexuelle au sein de l’établissement scolaire » (12).
De toute évidence, la lutte contre l’homophobie est à replacer dans un contexte plus large de lutte contre les discriminations (racisme, sexisme, orientation sexuelle, …), avec ses particularités, comme nous l’avons vu. Une lutte efficace nécessitera des matériaux pédagogiques, des formations, et une intégration dans le projet d’école, de manière à ce que tous les acteurs soient impliqués.
Quelques associations LGBT
– Arc-en-ciel Wallonie
– Alliàge
– Brussels Gay Sports
– Communauté du Christ Libérateur
– CHE (Cercle Homo Etudiant de l’ULB)
– CHEL (Cercle Homo Etudiant de Liège)
– CHL (Cercle Homo Etudiant de Louvain-la-Neuve)
– Merhaba (lesbigays originaires du Maghreb ou du Moyen Orient)
– Tels Quels (centres à Bruxelles et en Wallonie)
– Ex æquo (prévention VIH / sida)
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Notes :
(1) Citation du livre de Didier ÉRIBON, Réflexions sur la question gay, Fayard, 1999. Nous ne saurions trop vous recommander la lecture de ce livre. Sur près de 500 pages, l’auteur développe remarquablement une analyse générale de l’homosexualité sur les plans sociologique, politique, historique et psychologique. C’est une somme indispensable sur le sujet. Ses références sont e.a. Michel FOUCAULT, Pierre BOURDIEU, Jean-Paul SARTRE…
(2) LGBT = lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres.
(3) Une enquête réalisée en 2005 et 2006 par la Fédération des Centres de Planning Familial des Femmes Prévoyantes Socialistes (FPS) sur La perception de l’homosexualité chez les jeunes de 13 à 21 ans conclut que trois jeunes sur cinq obtenaient un indice faible à très faible sur l’échelle d’acceptation de l’homosexualité. « On ne peut dès lors conclure à une acceptation générale de l’homosexualité. »
(4) Sur le suicide des jeunes LGBT, voir :
– la synthèse de la journée d’études organisée en 2001 par les Facultés universitaires Saint-Louis, Vulnérabilité des jeunes gays et lesbiennes et risque de suicide – Etat de la question et pistes de prévention ;
– Michel DORAIS, Mort ou fif – la face cachée du suicide chez les garçons.
(5) Selon une étude américaine (Reis et Saewyc, 1999), citée dans le rapport de recherche canadien, L’homophobie pas dans ma cour !, du GRIS-Montréal (Groupe de Recherche et d’Intervention Sociale gaies et lesbiennes).
(6) L’association française SOS-Homophobie a réalisé une enquête en milieu scolaire disponible sur leur site web. Les conséquences de l’homophobie sont e.a. mal-être, déprime (indiqué par 35 % des répondants), baisse des notes et/ou échec scolaire (24%), révolte (21%).
(7) CGé = ChanGement pour l’égalité, mouvement socio-pédagogique avec lequel collabore régulièrement l’APED.
(8) Voir Didier ÉRIBON, Réflexions sur la question gay, déjà cité.
(9) Avec une nuance : le jeune noir sera toujours soutenu au moins par sa famille, ce qui sera moins souvent le cas pour un jeune LGBT.
(10) Voir également les intéressantes analyses de CGé, spécialement dans le n° 170 de la revue Trace, les articles de Jacques CORNET :
– L’effaceur d’Anne, sur la double discrimination en rapport avec le genre et la position socialement défavorisée ;
– L’avenir de l’homme a trop d’avance, sur les stéréotypes de genre beaucoup plus marqués dans l’enseignement professionnel.
(11) Une étude belge (Pelleriaux et al. 2003), citée par ILGA-Europe (dans Social exclusion of young lesbian, gay, bisexual and transgender (LGBT) people in Europe, ILGA-Europe, IGLYO, 2006), rapporte que seulement 23% des jeunes pensent qu’une information suffisante sur les LGBT est donnée à l’école et seulement 1/5e disent que les enseignants en parlent en termes positifs !
(12) C’est l’auteur qui souligne.