L’année dernière à pareille époque, le décret « Inscriptions » de Marie Arena avait fait couler beaucoup d’encre. Les files observées devant quelques écoles réputées avaient eu un effet médiatique inespéré pour ses opposants. Elles eurent la peau du décret et … de la Ministre de l’Education. Son successeur, Christian Dupont, remplaça le décret tant décrié par un autre, bientôt baptisé « Mixité Sociale ». Malgré la suppression du principe « premier arrivé, premier servi » et donc la fin des files, il semble que ce nouveau décret soit amené à subir des critiques au moins aussi violentes que le précédent.
Il nous paraît urgent, tout à la fois, de prendre la défense des objectifs de ce texte … et de critiquer sa timidité, qui pourrait se révéler contre-productive.
Rappelons d’abord qu’il s’agit de lutter contre les inégalités sociales criantes qui caractérisent l’enseignement en Communauté Française. Tous les experts s’accordent à faire de notre système ultra libéral d’inscription des élèves une des causes majeures de ces inégalités. L’Aped a même pu démontrer il y a quelques années (1) qu’il existait un lien étroit entre le système d’affectation et le degré d’inégalités du système éducatif des différents pays ou Régions de l’OCDE. En bref, plus un système est régulé en ce qui concerne les inscriptions, moins il est source d’inégalités. En effet, dans un système libéral, tous les parents ne disposent pas des mêmes atouts pour exercer leur liberté de choix. Ceux-ci sont notoirement fonction de leur origine sociale. Ce qui entraîne l’apparition d’écoles très typées (homogènes). Pour caricaturer, des « écoles de riches » et des « écoles de pauvres ». Toutes les études montrent que plus il y a de mixité sociale en classe, moins il y a d’inégalités. Sans que le niveau moyen s’en ressente. Bien au contraire. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de la volonté affichée de réguler davantage le système.
Il est sans doute bon de rappeler ce qui provoque l’ire de certains : l’éventualité d’un tirage au sort dans les quelques établissements où les demandes sont excédentaires par rapport aux places disponibles. Dans le Soir du 21 octobre, Madame della Faille parlait de « profonde injustice ». En quoi un tirage au sort serait-il injuste ? Comment alors départager les demandes excédentaires ? La Plate-forme de lutte contre l’échec scolaire, dont fait partie l’Aped, a déjà répondu à la plupart des objections en cette matière (2).
Là où les propos de Madame della Faille deviennent franchement curieux, c’est lorsqu’elle accuse le décret de n’être « qu’idéologique ». N’est-il pas idéologique de considérer qu’ « il y aura des milliers d’enfants qui ne seront pas à leur place et qui seront malheureux » ? Ne serait-ce pas sous-entendre que les enfants de milieux populaires n’ont pas leur place dans les « bonnes » écoles ? Procès d’intention ? Comment interpréter alors sa demande de « diriger les enfants vers les écoles qui correspondent le mieux à leurs attentes et à leurs capacités » ? Les opposants au décret semblent d’ailleurs se retrouver sur ce point, puisque Madame Pollet soutient que « toutes les écoles ne sont pas adaptées à tous les enfants » et que « beaucoup d’enfants vont souffrir de n’être pas à leur place ». Vous pensiez que ces parents s’inquiétaient parce qu’ils avaient un petit risque de ne pas pouvoir inscrire leurs enfants dans l’école d’élite de leur choix ? Vous n’y êtes pas. Ce qui leur pose problème, c’est que des enfants de milieux populaires risquent d’y être malheureux parce qu’ils ne seront pas à leur place ! Mais c’est quoi « leur place » ? Celle qu’ils auront dans la société, évidemment. Pas besoin pour eux de suivre un programme ambitieux en économie, géographie, histoire ou sciences. Ils n’en auront pas besoin pour travailler à la chaîne ! Ils doivent en savoir plus pour jouer leur rôle de citoyens ? Allons donc, quelle utopie ! Et d’ailleurs, ils ne feront –dixit Madame Pollet- que « baisser le niveau des écoles dites bonnes ».
Est-ce à dire pour autant que l’Aped se félicite du décret ? Malheureusement non. De nombreux parents, de toutes origines sociales, se posent des questions. Hakim Hedia, le représentant de la Fapeo, dit que « les parents ont peur ». Que faire alors pour, à la fois, rassurer les parents et viser l’objectif de mixité ? Je voudrais réitérer une proposition qui fait partie du programme en dix points de l’Aped, « Vers l’école commune ».
Pourquoi ne pas réserver, jusqu’à une certaine date, une place à chaque élève – et ce dès l’école primaire – dans une école proche de son domicile ? Le critère d’attribution serait double. Géographique, bien sûr. Mais aussi de mixité sociale. C’est tout à fait réalisable. Particulièrement dans les grandes villes où les quartiers plus ou moins favorisés ne sont somme toute pas si éloignés les uns des autres. Passé la date fixée, les parents pourraient toujours faire usage de leur liberté de choix car des raisons objectives (lieu de travail, etc.) peuvent le justifier. Avec un tel système, toutes les écoles seraient socialement mixtes (avec des nuances régionales bien sûr). Les inégalités diminueraient et le niveau moyen augmenterait. La crainte de certains parents de voir leurs enfants se retrouver dans une « école poubelle » disparaîtrait. Cela déchargerait les établissements de tout un travail administratif. Et cela rassurerait la grande majorité des parents, tout en les déchargeant d’un corvée pénible pour beaucoup : trouver une école convenable où il y ait de la place. Madame Pollet applaudirait certainement à ces mesures, puisque sa fille « ne perdrait pas ses amis ». Elles n’auraient plus ni l’une ni l’autre d’ « angoisses ». Et le souci maternel de « mettre son enfant dans une école de son quartier » serait satisfait. Question environnement, une étude de l’ULB a démontré que 20 % des embouteillages dans Bruxelles sont dus aux scolarisations qui se font parfois à l’autre bout de la ville.
Outre le fait qu’il apporterait la sécurité aux parents et aux écoles, il y a fort à parier que ce système serait bien plus efficace en matière de mixité sociale que ce qui nous est proposé. Car, à y regarder de plus près, ce décret qui fait tant hurler n’affecte que marginalement le libéralisme des inscriptions scolaires. Un libéralisme qui est en train de montrer l’étendue de ses ravages dans l’économie. Un libéralisme – les études comparatives sur les systèmes éducatifs le révèlent – tout aussi dévastateur dans l’éducation. Mais là, la Belgique « se distingue » plus encore que tous les pays industrialisés. Il est temps d’empoigner le taureau par les cornes, si nous voulons éviter, comme le craint très justement Madame della Faille, que « la Belgique soit la risée des pays voisins ».
Notes :
(1) : La catastrophe scolaire belge, Aped, 2003
(2) : Le Soir, 29/10