L’activité et les capacités physiques de nos jeunes sont en régression, ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes de santé et de bien-être psychologique. MR et Engagés semblent avant tout miser sur le sport d’élite pour favoriser la pratique sportive de la population générale, jeunes en tête. Cette stratégie a pourtant fait preuve de son inefficacité… Pour reprendre la formule de Philippe Descamps (2024) dans les pages du Monde Diplomatique, la théorie du ruissellement est tout aussi inepte en matière sportive que dans la sphère économique.
Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°100, décembre 2024 (pp. 26-28).
En 2017, une enquête internationale de grande ampleur rassemblant 177 études réalisées auprès d’un demi-million de jeunes de 9 à 17 ans mettait en exergue la baisse continue de leurs capacités physiques depuis une cinquantaine d’années (Santi, 2017). Cette régression est à la fois indicatrice d’une diminution de l’activité physique des jeunes et d’une progression corollaire des problématiques liées au poids. Un adolescent belge sur quatre est ainsi en surpoids, et 5,8 % de nos ados sont mêmes obèses (Sciensano, s.d., a) ; on observe parallèlement une dégradation de l’activité physique dans notre pays depuis que celle-ci est mesurée (Sciensano, s.d., b). Pour les adultes, la situation est plus préoccupante encore, avec un Belge sur deux en surpoids, et 15,9 % de personnes obèses. Notons que la problématique est fortement marquée socialement : si 38 % des personnes hautement qualifiées bougent au moins 30 minutes par jour, seules 20 % des personnes les moins qualifiées satisfont à cette recommandation (Sciensano, s.d., b). Cette situation a d’évidentes conséquences sanitaires : « la pratique d’une activité physique régulière s’avère bénéfique tant pour le corps que pour l’esprit. Celle-ci diminue, en effet, le risque de maladies cardiovasculaires, de diabète, de certains cancers, d’anxiété et de dépression. Elle améliore, en outre, l’endurance et permet de garder un poids adéquat. L’adoption d’un style de vie sédentaire a, d’autre part, été associée à un risque accru de maladies chroniques et de problèmes psychologiques. Chez les jeunes plus particulièrement, la sédentarité est aussi souvent liée au développement de l’obésité » (De Ridder & al., 2016, p. 97).
Ecrans, environnements peu sûrs, insistance sur la compétition…
Les causes apparaissent diverses. Sans grande surprise est pointé du doigt le temps passé par les ados belges (14-17 ans) devant les écrans, qui est d’environ 200 minutes par jour du lundi au vendredi, et même d’approximativement 300 minutes par jour durant le week-end (De Ridder & al., 2016). Sciensano (s.d., b) met également en cause la mécanisation des transports (notamment dans le cadre des trajets domicile-école), tandis que l’OMS (2019) regrette l’insuffisance « d’environnements sûrs pour que les jeunes puissent marcher et faire du vélo sans surveillance ». Des recherches se sont également penchées sur les raisons de l’abandon du sport à l’adolescence (pour une analyse détaillée, voir Sarrazin & Guillet, 2018). Parmi celles-ci, la concurrence d’autres activités, mais aussi la perte du plaisir, elle-même souvent liée à l’emphase mise sur la compétition sportive (« trop de pression », « manque de temps de jeu », « manque d’habileté »…) ou à un climat perçu comme malsain au sein du club sportif (avec l’entraineur et/ou les coéquipiers/-ères). Le coût financier est également invoqué.
Les adolescentes victimes des stéréotypes de genre
Notons que les filles sont particulièrement touchées par l’abandon sportif à l’adolescence, et que ceci semble être la conséquence des considérations genrées qui s’abattent sur elles à cet âge. La sociologue du sport Catherine Louveau (citée par Alfonsi, 2022) indique que les adolescentes ont intériorisé que « le sport, ce n’était pas pour les filles (….) Les filles sportives s’entendent dire qu’elles sont trop musclées, que ce n’est pas beau… Beaucoup de gens n’acceptent pas de les voir tomber, se salir ou prendre des coups (…). Elles cherchent à construire leur féminité, avec l’idée que les garçons ne vont pas aimer la force ou la puissance. Elles cherchent à devenir de vraies filles qui ne soient pas tout le temps en survêtement ». A cela s’ajoute encore le fait que les filles soient soumises à des diktats d’esthétisation et à des pressions sur leur physique qui peuvent créer des complexes et les éloigner des sports parce qu’elles sont « embarrassées par leur corps » ou au motif que certains sports ne seraient pas féminins.
La DPC ‘MR-Engagés’ à côté de la plaque
En matière de « sport pour tous », la Déclaration de Politique Communautaire du nouveau gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne semble pas être l’œuvre des meilleurs ingénieurs du pays… Quelques déclarations d’intention généreuses dénuées de mesures concrètes, et des volontés de « réorganisation » qui fleurent bon la défiance, la privatisation et les coupes budgétaires (« audit de l’ADEPS », « promotion de la fonction de bénévole », « extension du système des flexi-jobs au monde sportif », « optimisation des ressources disponibles », « diversification du financement des clubs afin qu’ils ne soient pas dépendants des seuls pouvoirs publics », « amélioration du modèle économique du monde sportif », « promotion du sport auto-organisé », fusion de fédérations sportives ayant des « disciplines similaires », etc.). Absolument rien de significatif en revanche sur les causes principales du marasme de l’activité physique (emphase sur la compétition, stéréotypes de genres pesant sur les filles, environnements peu sûrs, difficultés d’accès au sport pour les catégories populaires, etc.)
Finalement, les seuls qui semblent trouver grâce aux yeux du duo Bouchez-Prévot sont les sportifs de haut niveau, auxquels le gouvernement souhaite accorder un « soutien renforcé ». MR et Engagés entendent aussi promouvoir la dispendieuse « organisation d’évènements sportifs à dimension internationale ». Théorie du ruissellement du sport d’élite qui favoriserait le « sport pour tous ». Sauf que, comme le montre Descamps (2024), le sport d’élite ruisselle autant sur le sport pour tous que les cadeaux fiscaux faits aux entreprises ne ruissellent sur les travailleurs. « Notre revue systématique n’a pas montré d’effet immédiat ou différé de l’accueil de manifestations sportives, de la réussite sportive ou du rôle de modèle du sport d’élite dans l’augmentation de la pratique d’activités physiques des jeunes ou des adultes. Aucun bénéfice n’a été observé, que ce soit au niveau local ou à grande échelle. (…) La promotion du sport d’élite n’est pas susceptible d’augmenter la pratique dans la population. Les décideurs et les responsables politiques devraient donc être conscients [de ses] effets limités (…) sur l’amélioration des modes de vie actifs » écrivent les chercheurs (Lion & al., 2023) qui se sont penchés sur la question. Si l’on observe parfois un boom des adhésions à une discipline sportive à la suite de l’exploit d’un athlète national, celui-ci s’avère très temporaire et « ne touche que la population déjà sportive » (Descamps, 2024, p. 11). Pire, poursuit Descamps, « le spectacle sportif professionnel célèbre le culte du corps, de la victoire. Il encourage les cadences infernales, (…) voire le dopage. Autant d’ingrédients incompatibles avec la dimension ludique et collective sur laquelle repose le sport de masse. Pour devenir olympiques, nombre de disciplines (…) renoncent à ce qui fait leur originalité : l’amusement, la confrontation avec les éléments, l’inconnu, les aléas. A contrario, les Jeux Olympiques [et le sport d’élite] imposent un cadre repoussant : obligation d’un environnement artificiel et standardisé, culture de l’antagonisme, de l’automatisme et de l’individualisme ».
MR et Engagés envisagent par ailleurs des « campagnes de sensibilisation ». Suffirait-il de « mieux communiquer » à propos des vertus de la pratique sportive pour la promouvoir ? Non, disent les chercheurs; il s’avère que les campagnes centrées sur les comportements individuels ont un impact proche du néant… (Descamps, 2024).
La promotion de l’activité physique passe par l’Ecole
Nous ne prétendons pas ici apporter de solution définitive pour favoriser l’activité physique du plus grand nombre ; nous n’en avons pas l’expertise. Il nous semble toutefois que l’Ecole doit faire sa part en la matière. On trouve, au sein des établissements scolaires, des équipements sportifs et des environnements sûrs pour permettre aux jeunes de faire du sport et d’être actifs physiquement. L’Ecole est aussi ce lieu où l’on peut démonter les idées préconçues sur les stéréotypes de genres en matière sportive, et où l’on pourrait faire l’expérience d’une activité sportive régulière qui poursuivrait d’autres fins que la compétition. L’Ecole est enfin l’endroit privilégié pour permettre à tous les jeunes, quels que soient leur origine sociale, d’accèder à la pratique sportive.
L’Ecole pourrait donc devenir un instrument de démocratisation de l’activité physique ; il faudrait pour cela lui en donner les moyens. En encadrement bien sûr. En temps aussi : on ne peut augmenter le temps dévolu à la pratique sportive en rognant sur les autres disciplines scolaires. Mais on peut en revanche élargir le temps scolaire, comme on peut également ouvrir l’école le soir, le week-end et pendant les congés pour que s’y pratiquent toutes sortes d’activités, dont des activités sportives. Ceci s’intègrerait parfaitement dans la proposition d’ « Ecole ouverte » que l’Aped soutient depuis des années (Mottint & al., 2021).
Références
Alfonsi, M. (2022). À l’adolescence, pourquoi le sport est délaissé par les filles. En ligne sur le site de Huffington Post : https://www.huffingtonpost.fr/life/article/a-l-adolescence-pourquoi-le-sport-est-delaisse-par-les-filles_208499.html
De Ridder, K, Bel, S, Brocatus, L, Lebacq, T, Ost, C & Teppers, E. (2016). Enquête de consommation alimentaire 2014-2015. Bruxelles : WIV-ISP.
Descamps, P. (2024). Introuvable ruissellement du sport d’élite. Le Monde Diplomatique, mai 2024, p. 11.
Lion, A., Vuillemin, A., Léon, F., Delagarelle, C. & van Hoye, A. (2023). Effect of elite sport on physical activity practice in the general population : A systematic review. Journal of Physical Activity and Health, 20 (1), 77-93.
Mottint, O., Henrotay, P.-Y. & Wallemacq, R. (2021). L’Ecole ouverte: enjeux et perspectives concrètes. L’école démocratique, n°86, 4-9.
OMS (2019). D’après une nouvelle étude dirigée par l’OMS, la majorité des adolescents du monde ne sont pas assez actifs physiquement, ce qui met en danger leur santé actuelle et future. En ligne : https://www.who.int/fr/news/item/22-11-2019-new-who-led-study-says-majority-of-adolescents-worldwide-are-not-sufficiently-physically-active-putting-their-current-and-future-health-at-risk
Santi, P. (2017). Santé : les enfants ne bougent pas assez. En ligne sur le site du journal Le Monde : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/08/29/avec-le-test-du-bip-bip-on-acheve-bien-les-enfants_5177791_1650684.html
Sarrazin, S. & Guillet, E. (2018). Mais pourquoi ne se réinscrivent-ils plus ! : Variables et processus de l’abandon sportif. In Théorie de la motivation et pratiques sportives (pp. 221-254). Paris : PUF.
Sciensano (s.d., a). Surpoids et obésité en Belgique. En ligne : https://www.sciensano.be/fr/sujets-sante/obesite/chiffres
Sciensano (s.d., b). Activité physique. En ligne : https://www.sciensano.be/fr/sujets-sante/activite-physique#pourquoi-l-activit-physique-doit-elle-tre-encourag-e-