La fin des nominations pour les profs : une fausse bonne idée… impayable !

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Le 3 décembre dernier, nous avons publié une carte blanche dans Le Soir, avec mes collègues Branka Cattonar, Professeure de sociologie (UCLouvain), Xavier Dumay, Professeur de sciences de l’éducation (UCLouvain), Vincent Dupriez, Professeur de sciences de l’éducation (UCLouvain), Christian Maroy, Professeur de sociologie (UCLouvain) et Annelise Voisin, Professeure de sciences de l’éducation (ULiège). Au-delà du principe de la suppression dun statut construit au fil du temps, pour protéger les enseignants des aléas politiques et locaux, cette mesure (un CDI offert à tous dès la sortie des études et lentrée dans la carrière) est tout bonnement impayable, si elle vise effectivement à améliorer la situation de tous les enseignants, en leur garantissant au moins un niveau salarial identique à celui actuellement donné et une retraite comparable à celle à laquelle ils peuvent aujourdhui prétendre… Le CDI semble bien un miroir aux alouettes que tente de faire briller le Gouvernement aux yeux des plus jeunes collègues, en les opposant à leurs ainés…

Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°100, décembre 2024 (pp. 23-25).

Dans sa déclaration de politique communautaire (DPC, 2024), le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a fait de la lutte contre la pénurie ainsi que le renforcement de l’attractivité du métier d’enseignant sa priorité première. Sont notamment proposées neuf mesures visant à moderniser et simplifier les statuts, à ajuster les débuts et fins de carrière ou encore à mieux monitorer les congés, absences et autres indisponibilités. Mais c’est sans nul doute la mesure visant l’engagement des nouveaux enseignants sous la forme d’un contrat à durée indéterminée et la promesse de mettre fin progressivement au régime statutaire qui fait couler le plus d’encre.

Le passage d’un régime statutaire à un régime contractuel est-il à même de réduire les pénuries enseignantes ? Nous ne le pensons pas. Nous suggérons au contraire que la fin du régime statutaire serait une erreur et que donner des CDI à tous les enseignants nouvellement engagés à partir de septembre 20271 en les privant progressivement de toute nomination est impraticable sans modifications profondes de l’organisation du système scolaire et des marchés de l’emploi des enseignants… et sans un sérieux refinancement (C@fé de l’INAS, épisode n°41). Les expériences de dérégulation des conditions d’emploi menées dans d’autres systèmes éducatifs (Angleterre, France, notamment) devraient nous inciter à la prudence, tant elles ont eu des effets contre-productifs sur la précarisation de l’emploi et du travail (Dumay, à paraître).

Les pénuries, pourtant, sont bien réelles, et sans nul doute un véritable enjeu des politiques d’éducation des prochaines années. Bien qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, il soit difficile d’avoir une estimation précise de l’ampleur des pénuries enseignantes – nous ne bénéficions pas d’un indicateur du nombre de postes/heures d’enseignement non-pourvus –, les indicateurs de l’enseignement montrent que le recours aux enseignants engagés avec un titre de pénurie excède les 20 % pour les maîtres de seconde langue, les maîtres de philosophie et citoyenneté, les maîtres de morale ou de religion et les instituteurs en immersion linguistique dans l’enseignement fondamental, tandis que dans l’enseignement secondaire, les catégories parmi les plus touchées sont les professeurs de pratique professionnelle, de philosophie et citoyenneté, de mathématiques et de langues.

Un enjeu social et symbolique fort

Même si les chiffres les plus récents relatifs aux inscriptions dans les formations initiales en enseignement sont préoccupants, les recherches menées en FWB ont largement souligné les difficultés de stabilisation des nouveaux enseignants comme une source plus importante des pénuries. L’amélioration des conditions difficiles d’entrée dans le métier est donc un enjeu majeur, comme le souligne à juste titre la déclaration de politique communautaire, mais cela ne suppose pas pour autant une dérégulation de la poursuite de la carrière, bien au contraire.

En Belgique, le statut (ou plutôt les statuts, car ils restent légèrement différents selon les réseaux d’enseignement) de la profession enseignante s’est construit très progressivement au fil des lois organiques sur l’enseignement, des guerres scolaires, et d’une prise en charge publique égale de l’ensemble des salaires des enseignants, quel que soit leur employeur, public ou non. Il répond à un enjeu fondamental qu’il convient ici de rappeler : il permet à l’Etat et aux pouvoirs organisateurs de proposer un régime commun et une échelle barémique identique à toutes les personnes assumant la même fonction en contrepartie d’une protection forte de l’emploi (accès à la nomination) favorisant des carrières longues et protégeant les personnels des aléas d’un changement dans les majorités politiques ou de décisions locales arbitraires. Il agit comme un signal, un contrat social qui témoigne de la confiance de la collectivité et des autorités envers une profession remplissant des fonctions fondamentales. Le statut représente donc un enjeu social et symbolique fort, avec lequel il est risqué de jouer, particulièrement au vu de l’érosion récente des inscriptions en formation initiale des enseignants.

Des questions budgétaires et organisationnelles

En outre, bien que le CDI en lieu et place d’un engagement en qualité de temporaire puisse apparaître comme un avancement pour la qualité de l’emploi des nouveaux entrants, il nous semble essentiel de relever qu’il est en réalité impraticable de manière généralisée en faveur de tout nouvel engagé sans changements organisationnels majeurs. En Fédération Wallonie-Bruxelles, il n’existe pas un seul marché du travail des enseignants, mais de multiples marchés du travail correspondant entre autres aux frontières des pouvoirs organisateurs et aux fonctions à assumer dans les établissements2. Plus les pouvoirs organisateurs sont petits, plus il leur sera complexe d’offrir des CDI à tous les nouveaux enseignants alors que dans de nombreux cas, leur problème majeur aujourd’hui est de trouver des remplaçants quand des titulaires sont en congé, pour cause de maladie, de maternité ou tout autre motif. Comme l’ont exprimé de nombreux chefs d’établissement, proposer un CDI dans ces contextes représenterait un pari particulièrement risqué et par ailleurs coûteux, car les besoins à combler sont souvent des besoins de courte durée. Faute d’une réorganisation complète des pouvoirs organisateurs, conduisant à des pôles d’emploi beaucoup plus larges, le CDI risque donc d’être le plus souvent un CDD. Par ailleurs, alors que le gouvernement de la FWB souligne avec raison les contraintes budgétaires en présence, il a été souligné3 qu’un passage généralisé du régime statutaire à des CDI entraînerait un surcoût annuel majeur pour la FWB pour assurer aux enseignants le maintien du niveau barémique actuel, compte tenu des charges plus élevées liées aux emplois non statutaires, les mêmes conditions d’exercice et de retraite. Alors, que dire d’une revalorisation barémique ! Le passage vers un régime contractuel pose des questions budgétaires et organisationnelles qu’il est urgent d’examiner sous peine de produire des effets contreproductifs (dégradation des conditions d’emploi et de travail, plus grande volatilité de la force de travail, etc.) déjà bien mis en évidence dans d’autres systèmes éducatifs. Une approche brutale et dogmatique n’est donc pas de mise.

Des solutions plus pertinentes

Pour conclure, nous ne voudrions toutefois pas laisser penser que le régime actuel de gestion des carrières est adéquat. La combinaison d’un très grand nombre de petits employeurs éparpillés sur le territoire et d’un statut qui ne peut pas assurer à tous les enseignants une situation satisfaisante rend le début de carrière particulièrement défavorable. Cela doit donc être repensé de manière à améliorer la situation peu favorable des néo-enseignants, sans pour autant mettre à mal les acquis obtenus très progressivement en faveur des plus anciens, au risque d’accroître les départs prématurés en cours de carrière et d’aggraver la pénurie.

Nous regrettons que le basculement proposé du régime d’emploi des enseignants en FWB capte l’attention politique au détriment de solutions plus pertinentes face aux pénuries enseignantes, et plus profondément encore, d’une réflexion sur le souffle et l’orientation à donner aux carrières enseignantes pour répondre à la complexification croissante du métier. Celle-ci pourrait notamment s’inspirer de dispositifs de gestion de carrière tels que développés dans certains pays comme la Corée du Sud ou le Japon, où la carrière est structurée en étapes correspondant à diverses prises de responsabilités dans et hors de la classe auxquelles les enseignants accèdent en témoignant de leur évolution professionnelle et non sur base de l’ancienneté seulement. Le Pacte pour un enseignement d’excellence avait initié cette réflexion en FWB également, dès l’avis n°3 du Groupe central. Il serait dommage, par excès de brutalité, en opposant les plus jeunes aux plus expérimentés, que toute évolution soit rendue impossible alors que notre système éducatif, ses enseignants et leurs élèves méritent bien mieux.

Nous vous recommandons la vidéo d’un entretien très instructif avec Régis Dohogne. Si ce nom ne dit peut-être rien aux plus jeunes, il rappelle aux anciens un temps où les enseignants avaient réussi à créer un rapport de forces vis-à-vis des décideurs. L’homme est particulièrement bien placé pour analyser la proposition de la nouvelle majorité. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est remonté, l’ancien secrétaire général de la CSC-Enseignement, qui était aux commandes lors des grèves de 1990 et de 1996, et reste un fin connaisseur des statuts des enseignants et de leurs implications techniques.

 

Notes

(1) Comme l’indique la Ministre Glatigny dans son interview lors du journal de 13 heures de la RTBF (26 novembre 2024) : https://auvio.rtbf.be/media/videos-d-info-reaction-de-la-ministre-glatig…

(2) Il existe ainsi plusieurs centaines d’employeurs, soit autant que de pouvoirs organisateurs, dont certains de très petite taille, principalement dans le réseau libre et dans l’enseignement fondamental.

(3) Cf. notamment Le Soir du 08/10/2024.

Références

– C@fé de l’INAS épisode n°41. « Que cache la DPC (2024-2029) en matière de statut des enseignants ? ». Interview de R. Dohogne. https://youtu.be/K0T2CR-uBwg?si=cPiE-Oi6tbpxvC1m8

– Déclaration de Politique Communautaire (2024-2029). Avoir le courage de changer pour que l’avenir s’éclaire.

– Dumay, X. (à paraître). The liberalization of teacher employment regimes in Europe. Oxford University Press.

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