Par Moritz Lennert, Secrétaire général de ChanGements pour l’égalité (CGé)
Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°99, septembre 2024 (pp. 35-36).
Cet article fait partie d’un dossier consacré à la baisse du niveau. Consultez les autres articles du dossier pour une vue plus générale:
- Baisse du niveau: mythe ou réalité ?
- Baisse du niveau: comment en est-on arrivé là ?
- Le niveau: un concept réactionnaire ?
- Niveau: les conditions de l’ambition
Regards extérieurs
- Philippe Meirieu : Niveau de qui ? Niveau de quoi ?
- Moritz Lennert (CGé) : Le niveau baisse ?
- Anne Morelli : Et si la nostalgie pouvait nous aider… ?
- Johan de Wilde: Quelle logique derrière le déclin de la qualité de l’éducation ?
Découvrez aussi les principaux résultats de notre enquête « niveau » réalisée auprès des enseignants belges.
La question du niveau des élèves préoccupe beaucoup d’acteurs de l’enseignement et a pris une place importante dans les débats politiques. Le sujet provoque souvent de fortes émotions, touchant à nos peurs pour nos enfants et leur avenir. Cela rend souvent difficile un débat un peu plus objectif.
Selon les résultats PISA, le niveau des élèves aurait connu une assez remarquable stabilité en Fédération Wallonie-Bruxelles entre 2000 et 2018, pour ensuite, comme partout, connaître une baisse liée à la crise COVID. Malheureusement, cette stabilité se situe à un assez bas niveau comparé à des pays similaires. Ce bas niveau s’explique essentiellement par la grande différence entre les résultats des différentes classes sociales, qui se marque plus concrètement par un très grand écart entre l’enseignement général, et les autres filières d’enseignement, mais aussi, par exemple, entre les élèves ayant redoublé et les autres. Si on ne prend que l’enseignement général, les résultats PISA sont clairement au-dessus de la moyenne de l’OCDE. Idem si on prend les 25 % d’élèves les plus riches. La première question qui se pose donc est la représentation du niveau des élèves que la société nous renvoie en comparaison avec des chiffres plus différenciés.
Ensuite, la question d’une baisse de niveau renvoie immédiatement à la définition du niveau et à sa mesure. Ici nous sommes de nouveau sur un plan souvent très émotionnel : qu’est-ce qu’il est important d’apprendre dans notre société aujourd’hui ? Quel est le socle commun que tous les enfants doivent maîtriser ? Ce dernier temps, il est admis assez généralement que la partie commune de l’enseignement doit contenir des aspects polytechniques, pas uniquement intellectuels, mais aussi manuels et artistiques. Mais alors, cela veut-il dire augmenter la durée de l’école pour pouvoir ajouter encore de nouvelles matières, ou faut-il alors accepter que dans les apprentissages destinés à l’ensemble des élèves un certain rééquilibrage est nécessaire ? Accepter que certains concepts en mathématique, en français et en histoire soient abandonnés, ou laissés pour plus tard, pour faire de la place pour l’ébénisterie, l’informatique et la danse ? Une fois le poids des matières définies, se pose la question des contenus : est-il plus important d’apprendre la date d’apparition et la localisation des capitales et la formule de la dérivée d’une fonction logarithmique que ce que la géographie peut nous apprendre sur les rapports sociaux d’une société ou de comprendre les mathématiques comme une langue qui nous permet l’expression de concept de façon concise et précise ? L’un ne va souvent pas sans l’autre (comment comprendre les enjeux du conflit israélo-palestinien sans avoir un minimum d’informations sur l’histoire de la région et sans comprendre de quelle rivière et quelle mer certains parlent?), mais de nouveau un équilibre est à trouver. Et qui dit équilibre dit sacrifice de l’un au détriment de l’autre dans un contexte de temps et d’énergie d’attention limitée (les discussions autour des nouveaux référentiels l’ont bien montré). Il est clair aussi qu’évaluer la connaissance de la localisation des capitales est beaucoup plus facile qu’évaluer la compréhension des rapports sociaux imprimés dans l’espace géographique. Dans ce contexte, difficile d’évaluer l’évolution du niveau.
Dans notre contexte sociétal, la question des inégalités est d’abord un problème de différentiel avant d’être un problème absolu. C’est parce que certains apprennent (beaucoup) plus que d’autres qu’ils ont un avantage énorme dans le reste de leur vie ce qui leur permet de se démarquer socialement. Et ce démarquage social se transmet de génération en génération, grâce à notre système scolaire (un service public, rappelons-le !), reproduisant ainsi les inégalités sociales. Un des leitmotivs de CGé est « reconnaître et exiger ». Cela veut dire que nous estimons que le système scolaire doit reconnaître les différents points de départ des élèves et en tenir compte pour amener tous à un socle commun de connaissance, avec ce que cela implique comme différenciation de l’enseignement (donc des moyens) pour arriver aux mêmes apprentissages. Mais cela veut aussi dire que cette reconnaissance ne doit pas se traduire en une baisse d’exigence (« Ce n’est pas grave si tu n’arrives pas aussi loin en chimie que les autres, tu as d’autres qualités »). Nous partageons clairement avec l’APED l’idée qu’il ne faut à aucun prix brader la qualité de l’enseignement au nom d’une démocratisation. Mais cette démocratisation pose aussi la question des priorités dans un contexte de ressources limitées (pour l’augmentation desquelles nous devons évidemment aussi lutter) : quelle doit être notre priorité, amener tous les élèves à un socle de base commun, ou pousser certains le plus loin possible ? Dans ce contexte, notre choix est d’abord le socle commun. Si l’élite socio-économique creuse un peu moins l’écart, tant mieux dans une optique de réduction des inégalités.
Source du graphique : https://www.pisa-fwb.uliege.be/cms/c_12149256/fr/pisafwb-premiers-resultats-pisa-2022