Johan De Wilde : Quelle logique derrière le déclin de la qualité de l’éducation ?

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Par Johan De Wilde, formateur d’enseignants à la Haute Ecole Odisee, co-président de Velov (Association des formateurs d’enseignants de Flandre), président de la LOP[1] de l’enseignement secondaire d’Alost.

Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°99, septembre 2024 (pp. 33-34).


Cet article fait partie d’un dossier consacré à la baisse du niveau. Consultez les autres articles du dossier pour une vue plus générale:

  1. Baisse du niveau: mythe ou réalité ?
  2. Baisse du niveau: comment en est-on arrivé là ?
  3. Le niveau: un concept réactionnaire ?
  4. Niveau: les conditions de l’ambition

Regards extérieurs

Découvrez aussi les principaux résultats de notre enquête « niveau » réalisée auprès des enseignants belges.


 

« La qualité de l’éducation est en déclin ». Dans cette phrase, les philosophes reconnaissent une proposition, une déclaration, qui contient une affirmation de vérité. Attention, vous pourriez lire la même phrase comme un fait, ou même comme une déclaration évidente. « Visiblement, la qualité de l’éducation est en baisse, pour qui me prenez-vous ? » Jusqu’à nouvel ordre, il ne s’agit que d’une affirmation. En effet, le philosophe en nous ne peut considérer l’expression « la qualité de l’éducation en déclin » comme un fait ou une connaissance que si cette affirmation est d’abord étayée par des preuves convaincantes.

Il existe certainement des arguments en faveur d’une baisse de qualité. Par exemple, les résultats de nos élèves aux tests standardisés portant sur un nombre limité de domaines de compétences cognitives semblent décliner depuis deux décennies. Aucun professionnel de l’éducation sérieux ne peut affirmer que la baisse des résultats aux tests ainsi constatée en langue maternelle et en mathématiques, par exemple, n’est pas inquiétante, ni qu’elle n’est pas révélatrice d’un problème de qualité de l’éducation. La question demeure cependant de savoir si cela constitue une preuve concluante à la fois pour les professionnels de l’éducation impliqués et pour les philosophes. On ne peut évidemment y répondre que si le concept de « qualité éducative » a été défini au préalable.

En effet, vous pouvez donner plusieurs interprétations à la notion de qualité éducative. Gert Biesta, par exemple, estime que l’éducation doit qualifier les étudiants, les socialiser et en faire des citoyens. Ceux qui, comme lui, définissent les objectifs éducatifs de manière large voudront peut-être identifier d’autres indices d’un déclin de la qualité de l’éducation. Même ceux qui pensent que l’éducation doit strictement qualifier les étudiants peuvent demander des preuves supplémentaires. Qu’en est-il des connaissances et des compétences dans le domaine de l’éducation musicale et de la compréhension du monde dans l’enseignement primaire ? Ou qu’en est-il des compétences très spécifiques à la profession dans des domaines à finalité professionnelle ? Poser ces questions est plus facile que d’y répondre, et certainement pas la même chose que de prétendre que notre éducation obtient de bons résultats dans tous ces domaines. Si l’un conclut trop vite à une baisse de la qualité de l’éducation, l’autre ne peut prétendre sans justification que tout va bien.

Concernant l’affirmation « l’éducation est en déclin », une réflexion critique inspirée par la logique ne peut suffire. Aussi limité que soit le signal provenant de la baisse des résultats des élèves aux tests standardisés de compétences cognitives spécifiques, il est pertinent et ne peut être ignoré. Cela s’applique particulièrement à ceux qui accordent de l’importance à l’égalité et à l’égalité des chances. Après tout, les mêmes tests montrent que les enfants des parents ayant les revenus les plus faibles obtiennent les pires résultats aux tests.

En y regardant de plus près, je mets d’abord en perspective l’exactitude de l’affirmation selon laquelle « la qualité de l’éducation est en déclin », puis j’indique que je trouve également ces signaux alarmants et socialement pertinents. Si je suis extrêmement gêné par de nombreuses déclarations publiques sur « le déclin de la qualité de l’éducation », c’est moins avec la déclaration en tant que telle que j’ai un problème qu’avec les remèdes que certains proposent d’y apporter.

Il est également possible de faire passer notre analyse au travers de lunettes logiques. Ainsi, vous pouvez évaluer la tenabilité d’un raisonnement implicite « si-alors ». « Si » la qualité de l’éducation diminue, « alors » l’intervention A, B ou C doit être mise en œuvre dans notre éducation. Spécifier A, B et C n’est pas chose facile : en effet, il y a bien souvent plus de solutions proposées qu’il n’y a de lettres dans notre alphabet. Comme, par exemple, offrir plus d’heures de langue maternelle et de mathématiques, faire en sorte que les enseignants utilisent un enseignement beaucoup plus direct, réformer la formation des enseignants, attirer davantage d’intervenants extérieurs, punir financièrement les parents ne maîtrisant pas la langue d’enseignement ou encore abolir les livres à compléter.

Si l’on se donne la peine de découper le raisonnement implicite en trois étapes et de l’expliciter, ses lacunes apparaissent clairement. Allons-y.

1. Si la qualité de l’éducation diminue…,

2. alors il y a une (ou plusieurs) cause(s) spécifique(s) à cela, à savoir A, B, C ou… Z.

Notez que j’avais jusqu’à présent sauté l’étape des causes. Après tout, j’ai indiqué que c’était les remèdes proposés qui me gênaient. Ce que je veux dire par là, c’est que de nombreuses personnes qui prônent des solutions n’identifient pas clairement la cause du déclin de la qualité de l’éducation.

Certes, avec certains des remèdes proposés, il n’est pas si difficile de remplir soi-même la cause manquante. Par exemple, les partisans d’une réforme de la formation des enseignants seront sans aucun doute d’avis que la mauvaise formation des enseignants explique les mauvais résultats des élèves, tout comme les partisans de l’interdiction des livres à compléter seront d’avis que leur utilisation est la meilleure explication de la baisse de la qualité de l’éducation. Cependant, ce qui n’est pas forcément clair, c’est ce qui précisément ne va pas dans la formation des enseignants ou dans les livres à compléter.

3. puis A’, B’, C’,… Z’ résoudront ce problème et la qualité de l’éducation s’améliorera considérablement.

Il est important de noter que le niveau logique du raisonnement « si-alors » est plus élevé qu’une simple connexion plausible entre les différents éléments. Dans ce contexte, nous sommes en droit d’attendre de quelqu’un qu’il démontre comment tel remède peut transformer le déclin de la qualité de l’éducation en une amélioration.

    • Vous attendez une théorie de l’amélioration. Comment la mise en œuvre étape par étape de A’, B’ ou C’ conduira-t-elle finalement à une amélioration des performances d’apprentissage ? Par exemple, si la formation des enseignants s’améliore en termes de … Avec certains remèdes, on se demande parfois si leurs défenseurs seraient prêts à se lancer dans un tel exercice de réflexion, qui aurait pourtant en principe dû être mené préalablement.
    • Une théorie de l’amélioration considère généralement différents facteurs et leurs interactions, ce que la plupart des remèdes couramment proposés ne font pas. Par exemple, nous savons, grâce aux recherches, que les enseignants et les écoles optent souvent pour les livres à compléter pour telles raisons, alors qu’ils conduisent (dans tel sens et dans telle mesure) à de moins bons résultats d’apprentissage… Pour garantir l’abandon de cette pratique, il faut d’abord faire ceci et ensuite cela.
    • Il convient également de noter que les causes et les remèdes couramment proposés font généralement abstraction non seulement des facteurs purement éducatifs, mais également du contexte dans lequel l’éducation a lieu. Ce n’est que sporadiquement que des causes sociales sont avancées pour expliquer la baisse des résultats des tests. On accorde beaucoup moins d’attention à la manière dont les facteurs éducatifs et non éducatifs interagissent. Peut-être qu’un remède intrinsèquement utile dans un certain contexte manque la cible, malgré une solide théorie pédagogique de l’amélioration, parce que quelque chose de différent est nécessaire à ce moment-là pour ce groupe-là, quelque chose qui n’est tout simplement pas approprié dans d’autres contextes.
    • Les remèdes sont présentés comme pédagogiques et, dans la plupart des cas, ils le sont dans une large mesure. Il n’en est par contre pas ainsi du lien entre une exigence linguistique (maîtrise de la langue d’enseignement par les parents) et une éventuelle sanction financière. J’avais déjà laissé entendre que ce n’était pas toujours le cas. Mais d’autres propositions peuvent également être présentées non seulement dans une logique pédagogique, mais aussi dans une logique politique ou idéologique. Il n’y a rien de mal à cela, en soi. Il est légitime que les faiseurs d’opinion, les hommes politiques et les professionnels de l’éducation, par exemple, promeuvent leur propre langue comme élément unificateur au sein de la communauté, ou trouvent inquiétant que beaucoup d’argent soit versé aux éditeurs et autres nouveaux acteurs de l’éducation qui souhaitent créer une marché éducatif lucratif avec des livres à compléter sophistiqués ou des outils numériques. L’idée est qu’en tant que professionnels de l’éducation et citoyens, outre la dimension éducative, pédagogique ou sociale d’une proposition, nous reconnaissions également la charge politique ou idéologique et en discutions également.

Demander une théorie de l’amélioration est un tremplin vers quelque chose qui, à mon avis, est encore plus important, à savoir dire et répéter que nous exigeons une politique cohérente à long terme, qui engage toutes les parties prenantes. Aucun acteur ne comprend le défi éducatif auquel nous sommes confrontés dans toute sa complexité, et encore moins ne pourrait, seul, mettre en œuvre les solutions. Nous sommes nombreux à le répéter. Penser et travailler ensemble n’est pas toujours facile, mais nous n’avons pas d’alternative. Lors d’un débat sur l’éducation à l’approche des élections, j’ai entendu des hommes politiques plaider brièvement en faveur d’une telle approche, jusqu’à ce que d’autres s’en moquent en arguant que quiconque veut penser à tout avec tout le monde et aborder tout en même temps fait du surplace. Il nous appartient de faire comprendre que faire de la gonflette avec des remèdes partiels et mal préparés équivaut essentiellement pour les hommes et les femmes d’État à se caricaturer eux-mêmes.

Notes

  1. Dans une LOP, les représentants de toutes les écoles d’une municipalité ou d’une région et leurs partenaires se rencontrent.

 

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