Baisse du niveau : mythe ou réalité ?

Facebooktwittermail

En 2023, l’APED organisait une large enquête d’opinion auprès des enseignants belges au sujet du « niveau de l’enseignement ». Vis-à-vis de l’affirmation « le niveau de l’enseignement diminue », 81% des enseignants flamands et 65% des francophones affirmaient être « entièrement d’accord » ou « plutôt d’accord ». Est-ce que ce jugement colle avec la réalité ?

Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°99, septembre 2024 (pp. 5-12).

Au fil de cet article, nous essayerons d’objectiver ce ressenti, en rassemblant des faits et des chiffres sur l’évolution du niveau de l’enseignement.

Le niveau n’est pas l’unique indicateur de qualité…

Tout d’abord, certains relativisent l’importance d’une discussion sur le « niveau » de l’enseignement, arguant du fait que la qualité ne dépend pas uniquement du volume ou de la profondeur des connaissances et des compétences acquises. Il est évident que beaucoup d’autres facteurs contribuent en effet à la qualité de l’enseignement, à commencer, par exemple, par l’état des infrastructures mises à disposition : des locaux de cours adaptés, chauffés et ventilés, des espaces de récréation verts, des repas complets à la cantine, des installations sportives, la possibilité d’étudier à l’école en dehors des heures de cours, l’accompagnement et la remédiation, la présence d’une bibliothèque, des excursions, etc. De plus, la qualité d’une école se mesure également à la manière dont les élèves sont impliqués dans son fonctionnement démocratique, à quel point ils ont l’opportunité de mettre des projets sur pied, de faire preuve d’engagement social, bref, de recevoir une éducation qui met l’accent sur le soin que l’on porte à l’autre, sur la solidarité, et l’harmonie entre le développement personnel et le progrès collectif. Parler du niveau ne doit pas faire oublier ces autres aspects essentiels d’une école en bonne santé !

Cela ne signifie pas pour autant que la question du niveau n’est pas importante. Ici, nous définirons la « qualité » à partir de ce que nous considérons comme étant les objectifs fondamentaux de l’enseignement. Pour l’Aped, l’École a pour rôle de transmettre à tous les jeunes les connaissances et les compétences nécessaires pour comprendre et changer le monde. Afin de participer de manière significative à une société démocratique en tant que citoyen, il est nécessaire de disposer de connaissances pertinentes sur cette société, pour en appréhender les défis. Une formation générale ambitieuse est nécessaire, en ce compris les composantes polytechniques, artistiques et psychomotrices. Parler d’un enseignement de qualité suppose bel et bien un niveau ambitieux.

La question du niveau n’est d’ailleurs pas sans lien avec les nombreux autres aspects cités ci-dessus, qui déterminent la qualité de l’école : un cadre sain et un bon climat de participation et d’engagement contribuent indubitablement à pousser « le niveau » vers le haut.

Le niveau baisse ou le niveau est trop bas ?

Dans cet article, nous nous concentrerons sur la question de savoir si le niveau de notre enseignement a baissé. Cependant, indépendamment de la réponse à cette question, nous devons d’abord faire le constat que notre enseignement actuel ne remplit pas ses missions, si on le met en relation avec ce qu’un des pays industrialisés les plus riches au monde, confronté à de gigantesques attentes et défis sociétaux, pourrait offrir à sa jeunesse.

  • À l’issue de l’enseignement obligatoire, les « savoirs citoyens critiques » des élèves présentent de très grosses lacunes. Nous l’avons observé notamment à l’occasion de trois enquêtes menées par l’Aped (2008, 2015, 2019), chacune auprès d’environ 3000 élèves, au sujet de l’histoire de la planète et de l’humanité, du changement climatique, de l’énergie, des développements technologiques, économiques et politiques importants, etc.
  • Notre enseignement produit beaucoup d’analphabètes technologiques. Il y a trop peu de jeunes qui bénéficient d’une formation technique variée.
  • Une partie des jeunes n’est pas capable de lire, écrire et compter de manière suffisante pour être autonome dans la société d’aujourd’hui. L’enseignement obligatoire belge produit donc également un groupe considérable de (semi-)analphabètes tout court.

De la difficulté de chiffrer « le niveau »

Il est possible de mesurer précisément la taille ou le poids moyens d’élèves d’un certain âge et d’exprimer cette valeur par un nombre. En revanche, il est illusoire de penser qu’on peut faire de même avec le niveau d’un système d’enseignement : ce à quoi on fait référence en parlant de « niveau » ne peut pas être déterminé sans équivoque au même titre que la taille. La manière de tester et d’évaluer n’est d’ailleurs pas fixée de manière universelle, loin de là. Pour cette raison, nous souhaitons résister à la tentation de réduire « le niveau » à un nombre. C’est une des réserves que nous formulons au sujet des célèbres enquêtes PISA, qui mesurent les capacités mathématiques, scientifiques et de lecture chez les élèves de 15 ans, et expriment leurs scores sous forme d’un certain nombre de « points », dont la moyenne avoisine les 500. Cela ne signifie pourtant pas qu’un score de 550 comparé à un score de 500 représenterait une augmentation de niveau de 10%, bien que 550 soit mathématiquement 10% plus élevé que 500. Le fétichisme du nombre qui caractérise ces enquêtes est également critiquable à d’autres égards : certains spécialistes, dont le célèbre magazine britannique The Economist, dans un article du 7 juillet 2024 sur la baisse des résultats PISA, affirment qu’une diminution de 20 points dans PISA correspondrait à un an de retard scolaire. D’autres, cependant, soutiennent que ce serait plutôt 30, ou même 40 points, qui correspondraient à un retard d’un an.

C’est pourquoi nous nous devons de garder une certaine réserve en ce qui concerne les affirmations quantitatives au sujet du niveau dans le domaine de l’enseignement. Néanmoins, s’il est compliqué de quantifier « le niveau » de manière absolue, il n’est pas impossible de l’estimer et de le comparer. Quand on entend un ministre francophone parler néerlandais à la télévision, on peut se faire une bonne idée de son niveau de maîtrise de la cette langue après à peine quelques minutes. De la même manière, un(e) enseignant(e) sera capable de déterminer assez rapidement si un élève connait ses tables de multiplication, les règles d’orthographe ou un vocabulaire donné. Quand un test est bien conçu, il peut fournir une information pertinente et relativement précise sur le « niveau » atteint. Les résultats d’études internationales telles que PISA, PIRLS ou TIMSS, des « sondages » flamands (entre 2002 et 2022) ou encore des épreuves centrales de notre enseignement belge francophone peuvent donc bel et bien fournir des informations utiles sur l’évolution du niveau dans les 15 ou 25 dernières années. Pour ce qui est de la France, des études existent, qui remontent encore plus loin dans le temps.

Les riches données françaises

En France, il existe une tradition plus longue de recherche comparative dans le temps. Par exemple, un service spécialisé du ministère de l’Éducation, la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) organise régulièrement des tests portant sur la maitrise de la lecture, de l’écriture, de l’arithmétique et des sciences. Le ministère s’assure que les échantillons sont représentatifs et que les tests comportent soit les mêmes questions, soit des questions de même niveau de difficulté.

Le graphique ci-dessous (Chabanon et al., 2019) montre les résultats de tests de calcul comparables à la fin de l’enseignement primaire (CM2), c’est-à-dire chez les élèves de 11 ans. Le recul est très frappant : le score moyen aux épreuves de calcul est passé de 250 en 1987 à 210 en 1999, 202 en 2007, et la dégradation s’accélérant à nouveau dans la dernière décennie, 176 en 2017. On remarque que la note moyenne de 1987 correspond à un score parmi les meilleurs en 2017. En d’autres termes, la plupart des élèves de 2017 ont des résultats inférieurs au score moyen des élèves interrogés en 1987.

Le graphique suivant montre l’évolution selon la profession du chef de ménage. On voit que tous les milieux sociaux sont concernés par la baisse des performances scolaires, dans des proportions globalement comparables, même si c’est un peu moins le cas des enfants de cadres et de professions supérieures.

Les données dont on dispose concernant les performances en maths en fin de collège (l’enseignement secondaire inférieur, c’est-à-dire chez les élèves de 15 ans) ne portent que sur la période 2008/2014. Elles confirment, pour un laps de temps aussi court, la régression observée au CM2 : le score moyen des élèves est en baisse significative, la proportion d’élèves de niveau faible passant de 15 à 20 %, la corrélation entre réussite en maths et origine sociale se renforçant, même si aucun milieu social n’échappe à la tendance à la baisse des performances.

En sciences aussi, les performances des élèves de 3ème (fin du collège) sont en baisse en 2018, alors qu’elles étaient restées stables entre 2007 et 2013 (…) À nouveau, la baisse concerne tous les élèves, quel que soit le niveau social moyen des collèges.

On observe également une tendance à la baisse pour la langue maternelle, à la fois à la fin de l’enseignement primaire (CM2) et à la fin du collège. Le tableau ci-dessous montre les résultats de la dictée à la fin du primaire. En 1987, 26 % des élèves faisaient au moins 15 erreurs, ils sont 63 % en 2021. Il s’agit pourtant de la même dictée. Le déclin est important et général, quel que soit l’âge, le sexe ou l’origine sociale. Une orthographe grammaticale déficiente qui est significative pour l’évolution générale de l’écriture… (Eteve et al., 2022)

Répartition du nombre d’erreurs obtenues à la dictée (en %)
≤ 2 erreurs ≤ 5 erreurs ≤ 10 erreurs ≥ 15 erreurs ≥ 25 erreurs
1987 12,9 30,7 58,1 26,2 6,9
2007 5,8 15,6 36,6 45,7 13,2
2015 2,0 7,7 24,4 59,4 22,7
2021 1,9 7,0 21,9 63 27,5

 

En pointant du doigt cette perte de maîtrise de l’orthographe, nous n’entendons pas surdéterminer l’importance de celle-ci dans la construction d’une pensée informée, autonome et critique. Nous savons par ailleurs qu’une large part du camp progressiste est mobilisée depuis longtemps autour d’une simplification du code orthographique, ceci afin d’en faciliter l’appropriation par tout un chacun. Nous n’entrerons pas ici dans ce débat… Simplement, force est de constater que le recul de l’importance reconnue à la maîtrise de l’orthographe ces dernières années – au profit d’autres savoirs ou disciplines – ne s’est pas traduit par une amélioration significative des performances scolaires dans ces autres domaines, comme l’indiquent les différentes études rapportées dans cet article. À cet égard, la perte de maîtrise de l’orthographe paraît donc illustrative d’une tendance générale – un exemple qui revêt, il est vrai, un caractère spectaculaire dans cette étude.

En fin de collège, les données sont moins riches et portent sur une moins longue période. Selon une enquête de la DEPP menée en 2015 concernant les « compétences langagières et la littéracie », 25% des étudiants soumis au test maîtrisent les compétences attendues ; 60 % d’entre eux ont des résultats insuffisants mais qui n’interdisent pas la poursuite d’études ; et 15% n’ont aucune maîtrise ou une maîtrise réduite de ces compétences. De leur côté, les enquêtes PISA menées par l’OCDE auprès des jeunes de 15 ans font état d’une baisse sensible des performances en « compréhension de l’écrit » entre 2000 et 2009, qui s’est poursuivie depuis lors de façon très atténuée : la part des élèves de bas niveau passe de 15% en 2000 à 20% en 2009, puis à 21% en 2018.

Le sociologue français Jean-Pierre Terrail, conclut : « Le système d’enseignement français se porte mal. Certes, depuis 1985 le taux de bacheliers est passé de 35 à 80 % d’une classe d’âge. Mais paradoxalement, dans le même temps, le niveau des élèves, mesuré à la sortie du primaire ou du collège, n’a cessé de se dégrader. (…) Bien que plus marquée pour les milieux populaires, la baisse concerne tous les élèves dans tous les milieux sociaux, au point que l’on peut désormais parler d’une véritable « tolérance à l’ignorance », sans doute souvent malheureuse, de la part de l’institution. Les inégalités scolaires, déjà considérables, se sont encore creusées. » (Terrail, 2021)

En Flandre

Entre 2002 et 2022, le Département flamand de l’éducation a organisé des « sondages » auprès d’élèves de l’enseignement primaire et secondaire afin de mesurer dans quelle mesure les « objectifs finaux » (équivalent flamand de nos « socles de compétences ») étaient acquis dans certains domaines d’apprentissage ou matières. Ces coups de sonde donnent en principe une image plus fiable que les enquêtes internationales, parce qu’ils évaluent la maîtrise des objectifs tels qu’ils sont définis dans les référentiels flamands. Dans ces sondages — comme dans les enquêtes internationales —, on travaille avec un échantillon représentatif d’élèves. En principe, les « objectifs finaux » devraient être acquis « au niveau de la population », ce qui est couramment interprété de façon informelle comme « 75 % des élèves ». Or, les sondages ont montré que nombre de ces objectifs sont atteints par moins de 75 %.

En 2021 a eu lieu le quatrième sondage pour les « objectifs finaux » de mathématiques en 6e primaire. Sur les 21 sections de l’épreuve, il n’y en a que 5 où au moins 75 % des élèves atteignent les objectifs, et 6 où moins de la moitié y parviennent. Par rapport aux précédents sondages de mathématiques de 2009 et 2016, on note un déclin dans 13 sections, un progrès dans 4 et un statu quo dans les 4 dernières. Le pourcentage d’élèves considérés comme ayant globalement atteint le niveau requis en mathématiques, en 6e année primaire, est ainsi passé de 72 % en 2002 à 62 % en 2017.

Un sondage similaire, portant sur la maîtrise du français en 6e année de l’enseignement primaire a montré qu’en 2017, 45 % des élèves atteignaient les objectifs de fin d’études en lecture, tandis que 69 % maîtrisaient les objectifs de compréhension à l’écoute. Par rapport à 2008, on observe un recul important du taux de réussite global : de 93 % à 56 %.

Pour la compréhension à la lecture en néerlandais, le nombre d’élèves qui maîtrisent les objectifs de fin d’études passe de 89 % à 84 % entre 2007 et 2018. Pour la compréhension à l’audition, de 87 % à 82 %.

En revanche, les performances en matière d’acquisition et de traitement d’informations avec les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont stables entre 2012 et 2021 : 82% atteignent les objectifs minimaux.

Des sondages similaires ont eu lieu dans l’enseignement secondaire. Au troisième degré de l’enseignement professionnel, le nombre d’élèves qui atteignent les objectifs de « cours généraux » (traitement de l’information, lecture, écoute et calcul) est passé de 45 % en 2013 à 36 % en 2021.

En 2022 a eu lieu le premier sondage portant sur les nouveaux objectifs finaux en mathématiques pour l’enseignement secondaire de premier degré (divisé en une filière A et une filière B). Les objectifs « de base » (ceux qui devraient être atteints par 100% des élèves) sont atteints par 82 % à 96 % des élèves en filière A, et par seulement 41 % à 70 % en filière B. En ce qui concerne les objectifs spécifiques à chacune des filières, ils sont atteints par 51 % des élèves A et 47 % des élèves B. En 2008-2009, ces taux de réussite étaient pourtant encore de 57 % dans les deux filières.

Pour l’acquisition et le traitement de l’information avec les TIC, en 2e année secondaire, la proportion d’élèves qui obtiennent les objectifs finaux est passé de 61 % (2004) à 57 % (2011).

En résumé, nous pouvons dire que 20 ans de sondages flamands (entre 2002 et 2022) ont montré que de nombreux aspects des objectifs finaux ne sont pas atteints « au niveau de la population » et qu’il y a presque toujours une tendance à la baisse.

En Fédération Wallonie-Bruxelles

À la fin de la 6e année primaire, tous les élèves de l’enseignement francophone participent à trois épreuves en vue d’obtenir le CEB (certificat d’études de base). Fin juin 2024, 51.473 élèves ont participé à ces tests. 87,22 % d’entre eux ont obtenu le certificat. Pour le français, le score moyen était de 70,98 %, pour les mathématiques de 73,99 % et pour l’«éveil » (histoire, géographie, sciences) 78,40 %. Les résultats de ces tests effectués depuis 2008 sont stables dans le temps : les fluctuations annuelles ne dépassent pas quelques pourcents, à la hausse ou à la baisse, à la fois pour le taux de réussite global et pour les trois domaines. Ainsi, en 2008, 87,7 % des élèves ont obtenu le CEB et les scores moyens étaient de 70,9 % pour le français, 70 % pour les mathématiques et 73,3 % pour l’éveil.

Depuis 2013, à la fin du premier degré de l’enseignement secondaire francophone, les élèves passent des tests dans quatre disciplines pour obtenir le CE1D (certificat d’enseignement secondaire du premier degré). Entre 70 et 80 % des élèves obtiennent généralement le CE1D, mais à peine 35 à 50 % réussissent les quatre tests (français, mathématiques, langues étrangères, sciences). En 2024, seulement 36 % des élèves ont réussi chacun des quatre tests.

À la fin de la 6e et de la 7e année secondaire, les élèves passent des tests de français et d’histoire (dans les filières de transition) en vue d’obtenir le CESS (certificat d’enseignement secondaire supérieur). En 2023, 86,5 % des élèves ont réussi l’épreuve d’histoire, 85,1 % le français dans les filières de transition et 74,9 % le français dans les filières de qualification. Depuis la première édition du CESS en 2015, il n’y a pas eu de fluctuations majeures, la baisse de la période covid étant compensée en 2023 (les résultats de 2024 ne sont pas encore connus au moment où nous écrivons ces lignes).

Pour autant que les tests inter-réseaux pour le CEB, le CE1D et le CESS soient représentatifs, les résultats semblent indiquer que le niveau est resté assez stable au cours des 10 à 15 dernières années. Soulignons toutefois que la recherche comparative (voir, entre autres, PISA, PIRLS) montre que le niveau de l’enseignement francophone est toujours inférieur au niveau flamand.

D’autre part, il n’est pas du tout garanti que le niveau de difficulté des épreuves soit resté stable d’une année à l’autre. Par exemple, l’épreuve du CEB est pré-testée chaque année sur un échantillon d’élèves et il est donc probable que des questions qui s’avèreraient trop ardues soient modifiées ou éliminées en amont de l’épreuve. On peut par conséquent faire l’hypothèse que le niveau de difficulté du CEB est adapté — sciemment ou non — pour obtenir toujours un taux de réussite aux alentours de 90%.

PISA

Depuis plus de vingt ans, les pays de l’OCDE et plusieurs dizaines d’autres participent à des tests auprès d’élèves de quinze ans. Et ce, dans trois disciplines : la lecture, les mathématiques et les sciences. Lors de la première étude PISA, le score moyen de tous les élèves participants a été normalisé à 500 dans chaque domaine, et l’écart-type à 100 (cela signifie grosso modo qu’environ deux tiers des élèves ont obtenu entre 400 et 600 points). Ces tests triennaux sont conçus de manière à ce que les résultats soient comparables dans le temps.

En règle générale, lors de la publication des résultats de PISA, les médias accordent une grande attention au classement des pays. Cependant, les différences de score moyen entre les pays sont beaucoup plus faibles que les différences au sein d’un même pays entre les élèves d’origine sociale plus riche et plus pauvre ou entre les élèves de l’enseignement général et professionnel. Les enseignements belges, flamand comme francophone, font partie des systèmes éducatifs européens où les scores PISA sont le plus étroitement corrélés à l’origine sociale des élèves. Dans le cadre de cet article, nous nous limiterons néanmoins à certaines constatations liées à l’évolution du niveau.

Dans les graphiques suivants (Baye et al., 2023), nous voyons que dans chacun des domaines testés, les résultats PISA ont diminué pour l’enseignement flamand (la ligne supérieure), l’enseignement francophone (la ligne inférieure) et pour la moyenne de 25 ou 30 pays de l’OCDE (ligne pointillée). La quatrième ligne concerne l’évolution de l’éducation germanophone dans notre pays. Nous voyons que le score flamand est encore toujours supérieur au résultat des francophones et que ce dernier reste inférieur à la moyenne de l’OCDE.

Evolution des compétences en lecture (PISA)

 

 

 

En lecture, la moyenne des compétences des pays de l’OCDE est passée de 504 à 482 points entre 2000 et 2022. La moyenne flamande est nettement supérieure à la moyenne de l’OCDE en 2000 (535 points), mais diminue régulièrement jusqu’au niveau moyen de l’OCDE en 2022. L’enseignement francophone part d’un niveau très bas en 2000 (478 points) et reste à peu près au même niveau en 2022 (474 points) après des fluctuations à la hausse et à la baisse.

Pour la culture scientifique, on constate pareillement une baisse de 500 à 490 points pour l’ensemble des pays de l’OCDE entre 2006 et 2022. L’enseignement flamand chute de 529 à 499 points. Dans l’enseignement francophone, il y a de nouveau des fluctuations limitées autour d’un score médiocre, avec une baisse globale de 486 à 479 points.

Enfin, pour la culture mathématique, on note une nette tendance à la baisse entre 2003 et 2022, aussi bien pour l’ensemble des pays de l’OCDE (de 500 à 479 points) que pour la Flandre (de 553 à 501 points) et la FWB (de 498 à 474 points).

Afbeelding 111

En résumé, depuis le début de ce siècle, les scores PISA des pays de l’OCDE ont régulièrement diminué pour chacun des trois domaines. La plupart des pays régressent, souvent de manière significative, seuls quelques-uns progressant. Parmi les plus fortes baisses — pour les trois domaines — nous trouvons les Pays-Bas, la Finlande, l’Allemagne, la France (régression limitée toutefois pour les sciences) et la Flandre. La Fédération Wallonie-Bruxelles enregistre également un déclin dans les trois domaines, dans une moindre mesure que la Flandre, mais en démarrant de niveaux très faibles.

La recherche PISA ne couvre pas tout le domaine des mathématiques, des sciences, de la lecture et de la maîtrise du langage, et aucun des autres domaines d’apprentissage. Dès lors, nous ne pouvons certainement pas considérer PISA comme le thermomètre ultime du niveau de l’enseignement. Mais on ne peut pas non plus prétendre que PISA ne mesure rien de pertinent. La tendance baissière observée dans la plupart des pays participants, en particulier dans notre éducation flamande et francophone, pour les trois domaines, est un feu clignotant rouge que l’on ne saurait ignorer.

PIRLS & TIMSS

En 2021, la Flandre a participé pour la troisième fois à l’étude PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study), une enquête internationale sur la compréhension de la lecture chez les élèves de 10 ans (quatrième année primaire). Par rapport à l’édition 2006, les performances flamandes ont diminué de 22 points en 2016 et de 14 points en 2021. Seuls les Pays-Bas et la Finlande ont diminué encore plus fortement en 2021. Alors qu’en 2006, 49 % des élèves atteignaient un niveau élevé en lecture, ils ne sont plus que 29 % en 2021. Le pourcentage de lecteurs « avancés » a fortement diminué, le pourcentage « en dessous du niveau de lecture le plus bas » a fortement augmenté.

L’éducation francophone a participé à PIRLS en 2006 (500 points), 2011 (506 points), 2016 (497 points) et 2021 (494 points). Par rapport à la Flandre, nous constatons donc de nouveau une baisse limitée depuis 2006. Le score moyen de l’enseignement francophone (494 points) en 2021 reste cependant inférieur à celui de l’enseignement flamand (511 points).

En 2003, 2011, 2015, 2019 et 2023, la Flandre a participé à TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study), une enquête internationale sur le niveau de maîtrise des mathématiques et des sciences à l’âge de 10 ans (quatrième année primaire). L’éducation francophone, quant à elle, n’a participé qu’en 2023 (les résultats de TIMSS-2023 ne seront pas publiés avant décembre 2024).

Là encore, le score moyen flamand pour les mathématiques est en baisse : 551 points en 2003, 549 en 2011, 546 en 2015 et 532 en 2019. Idem pour les sciences : 518, 509, 512, 501.

Conclusion

Lorsque, dans notre enquête de 2023, 72 % des enseignants belges se disent d’accord avec l’affirmation « le niveau de l’enseignement diminue », ils ne formulent manifestement pas seulement un sentiment subjectif ou un préjugé largement partagé. Leur jugement est en effet corroboré par les résultats des enquêtes internationales et, pour ce qui concerne la Flandre, par les « sondages » effectués ces dernières années.

Certes, les résultats des études internationales pour l’enseignement francophone indiquent une baisse moins prononcée qu’en Flandre. Aussi la « baisse du niveau » a-t-elle été un thème moins débattu ces dernières années qu’en Flandre. Cela explique aussi pourquoi, dans notre enquête, « seulement » 65 % des enseignants francophones (contre 81% des Flamands) se disent d’accord avec la thèse « le niveau baisse ». Mais si l’enseignement francophone a diminué un peu son retard sur la Flandre, ce n’est pas parce que son niveau aurait augmenté, mais parce que, partant de très bas, il a moins diminué que dans le nord du pays. Triste consolation…

De plus, les scores PISA montrent que cette baisse est internationale et les résultats pour la France semblent indiquer qu’elle pourrait s’inscrire dans un processus de long terme, bien au-delà des 20 années observées par PISA, TIMSS, PIRLS ou les évaluations belges.

Peut-on pour autant parler d’une tendance générale à la baisse ou bien y a-t-il des domaines où le niveau aurait augmenté au cours des dernières années ? Pour des raisons évidentes, les compétences en TIC se sont sans doute été élevées. Eventuellement aussi la maîtrise orale de l’anglais. Dans notre enquête de 2023, peu d’enseignants mentionnent une augmentation générale du niveau, mais de nombreux collègues soulignent quand même des évolutions positives dans des matières ou des domaines d’études spécifiques. Citons ici trois courts témoignages.

« Le niveau a certainement baissé en termes de connaissances en mathématiques et en néerlandais. Mais cela a été compensé par d’autres connaissances qui n’étaient pas mesurées à l’époque. La conscience sociale, la connaissance des religions et des cultures, les compétences informatiques, les compétences sociales, les capacités de conversation… ont certainement augmenté par rapport au passé. Peut-être devrions-nous parler davantage d’un niveau d’éducation changeant plutôt que d’un niveau d’éducation en baisse. »

« S’il s’agit de savoir pur, de connaissances que les élèves peuvent produire : oui, le niveau diminue. S’il s’agit davantage de compétences (sociales, informatiques, de recherche, de travail en groupe, etc.), les étudiants peuvent faire bien plus qu’avant, alors non, le niveau monte ici. »

« La connaissance de la grammaire française et néerlandaise s’est détériorée. Dans d’autres domaines, le niveau a augmenté. Par exemple, les jeunes sont bien plus doués pour s’adresser à un groupe et faire valoir leur opinion. Le niveau en sciences humaines s’est élevé. »

Pour le reste, l’hypothèse selon laquelle la baisse du niveau dans les domaines de base tels que la lecture, l’écriture et les mathématiques aurait été compensée par une élévation générale des niveaux d’apprentissage dans d’autres matières ou dans de prétendues « compétences génériques » (réflexion critique, communication…) nous semble particulièrement douteuse, car les connaissances et les compétences de base sont des conditions préalables à l’avancement dans d’autres domaines. Est-il crédible d’espérer que des progrès auraient été réalisés dans les domaines où nous ne disposons pas de preuves alors qu’une baisse du niveau a été constatée dans à peu près tous les domaines où nous avons des données objectives ?

Le pédagogue flamand Pedro De Bruyckere, directeur de « Leerpunt », écrivait le 8 décembre 2023 sur son blog : « Si PISA était le seul berger à crier au loup, nous pourrions avoir des doutes quant à sa pertinence. Mais ce n’est pas le cas. PIRLS, TIMSS, qui sont des tests comparatifs internationaux avec une approche très différente de PISA, montrent les mêmes évolutions. Les sondages internes en Flandre vont dans le même sens. Aux Pays-Bas, les données relatives à l’alphabétisation illustrent la même tendance. Une chose est sûre : le problème semble être beaucoup plus profond que ce que dévoile PISA. PISA réduit les compétences linguistiques à la compréhension de la lecture. Pour ma part, j’ai examiné les résultats mesurés en interne en Flandre et aux Pays-Bas pour les autres compétences linguistiques et je dois dire : Houston, we have a problem ! »

Un paradoxe ?

Nous avons constaté que le niveau atteint dans de nombreux domaines de base à un certain âge dans l’enseignement primaire et secondaire a diminué au cours des dernières années. Mais dans le même temps, la massification de l’éducation a fait en sorte qu’on n’a jamais délivré autant de diplômes qu’aujourd’hui. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, beaucoup d’enfants n’avaient même pas suivi l’enseignement primaire (en Belgique, l’enseignement obligatoire jusqu’à 14 ans a été mis en œuvre en 1919). Avant la Seconde Guerre mondiale, une petite minorité seulement suivait l’enseignement secondaire jusqu’à 18 ans. La massification de l’enseignement secondaire s’est poursuivie régulièrement jusqu’à l’obligation scolaire à 18 ans en 1983. Depuis lors, plus de 85 % obtiennent un diplôme ou un certificat d’enseignement secondaire supérieur. Il fut un temps où l’enseignement universitaire était interdit aux filles, alors qu’elles y sont aujourd’hui majoritaires. La massification du supérieur se poursuit encore : jamais autant de jeunes n’ont commencé des études supérieures et jamais autant de diplômes n’ont été décernés. En raison de cette massification, le niveau d’éducation moyen de notre population a donc continué d’augmenter. Nous ferons néanmoins deux remarques sur cette évolution positive.

  • Premièrement, la massification ne peut être assimilée à la démocratisation de l’éducation. Il existe toujours une forte détermination sociale dans l’accès aux connaissances et dans l’acquisition des diplômes les plus « prestigieux ».
  • D’autre part, l’élargissement de l’accès à l’enseignement et aux diplômes a été accompagné d’une réduction du niveau réel de connaissances atteint pour un certain âge et un certain domaine d’études. Cette évolution concerne tant l’enseignement obligatoire que le supérieur, où de nombreux étudiants mettent davantage de temps à obtenir le même diplôme.

En conclusion, le niveau d’éducation de la population pourrait encore augmenter très fortement si la massification de l’enseignement supérieur s’étendait aux couches de la population actuellement sous-représentées et si les exigences de qualité d’il y a 20 ou 40 ans étaient rétablies.

 

« Le niveau baisse », énième rabâchage dune rengaine nostalgique ?

Il parait que Platon, à moins que ce ne fût Socrate ou Hésiode, déplorait déjà la « baisse du niveau », voire la déliquescence de la jeunesse. Et qu’en conséquence, prétendre aujourd’hui que le niveau a baissé, ce ne serait qu’ânonner une fois de plus un vieux refrain réactionnaire. Nous avouons ne pas être très au fait de l’opinion que Platon entretenait à propos de la jeunesse de son temps. Mais quand bien même aurait-il  diagnostiqué à tort un déclin des connaissances à son époque, cela ne démontrerait pas pour autant que tout diagnostic similaire posé aujourd’hui serait nul et non avenu. De même, nous réfutons l’idée selon laquelle toute analyse mettant en exergue une régression du niveau serait forcément réactionnaire. Le progressisme ne consiste pas à se convaincre d’une réalité favorable qui n’a pas cours, mais nous oblige au contraire à chercher la plus grande exactitude dans le diagnostic, indispensable pour faire advenir des jours plus favorables. En actant la baisse de niveau, nous ne prétendons pas qu’il a existé un « âge d’or » scolaire où tout était idyllique, et auquel il faudrait donc revenir illico pour enfin regoûter aux neiges d’antan. Toute l’histoire de la pédagogie témoigne de la difficulté intemporelle de l’acte d’enseigner, et il n’est pas question pour nous d’en appeler au retour à l’école « Vieille France ». Enfin, faire le constat de la baisse du niveau ne consiste jamais à stigmatiser les élèves, qui ne peuvent en aucun cas être tenus pour responsables d’une crise scolaire qui les précède et les dépasse. C’est notamment notre considération pour ces jeunes qui nous interdit d’en rabattre sur les exigences et les ambitions.

Olivier Mottint

 

Et dans l’enseignement supérieur…

« J’enseigne en première année en bachelier de sciences humaines et sociales. Je lis plein de trucs sur la question de la maîtrise des maths dans le secondaire. Je ne sais pas honnêtement si c’était mieux avant. Ce que je constate, c’est que, dans mon cours de 1ère, j’ai une petite minorité d’étudiant.es qui arrivent surentrainé.es, pour qui le cours de stat est trop facile, pas assez mathématique à leur goût et qui remettent des travaux de dingues faisant appel à des outils très avancés. Iels tapent peinard un 19 ou un 20. Et une vaste majorité d’étudiant.es qui ne savent pas convertir un nombre décimal en fraction, ne comprennent pas la signification de 0, ignorent la signification des nombres négatifs et la notion de chiffres significatifs, sont incapables de faire des multiplications de fractions, connaissent par cœur des formules qui ne veulent rien dire pour elleux (a plus b au carré, c’est a carré plus b carré plus deux abbés), ignorent comment calculer une aire ou un volume simples. Celleux-là sont forcément soumis à un choc effroyable en arrivant à l’université, et iels doivent bosser comme des dingues pour espérer réussir souvent plutôt péniblement. Et les moyens dont iels disposent ont à ce niveau un impact effrayant (plus iels sont précaires, moins iels ont de temps pour bosser leurs cours… et les organismes censés les soutenir, comme les CPAS, ont une lourde responsabilité dans l’histoire). Ce qui aboutit à de très très nombreux abandons – quasi systématiquement théorisés par elleux comme « je ne suis pas fait pour ces études » ou « je n’aime pas ces études, je me suis trompé d’orientation ».

Je ne peux pas décemment contrebalancer un tel abîme en termes de connaissances de base en math. Je ne fais le procès à personne de cette situation (qui est pour moi un problème structurel de l’enseignement, pas une question de responsabilité individuelle de profs). Mais la réalité concrète à laquelle je suis confronté est celle-là. Et elle est désespérante. »

Renaud Maes (Facebook, 18/01/2024)

 

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here