Etre des praticiens réflexifs ? Chiche !

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Enseigner peut être un métier passionnant, un des plus beaux du monde… Métier collaboratif, varié, créatif, riche de sens, résolument tourné vers l’avenir, combinant la maîtrise des savoirs et les savoir-faire pédagogiques, métier utile et précieux dans une société qui veut progresser, socialement et culturellement… 

Ah, si l’on nous faisait confiance et si l’on nous donnait un cadre et des conditions de travail répondant aux immenses promesses et besoins de la jeunesse qui nous est confiée ! Quelle énergie serait alors libérée, comme le prouvent les innombrables réussites d’enseignants et d’enfants réunis dans des projets progressistes. Voici réunies quelques balises récoltées dans la littérature de l’Aped.

Une école démocratique dans une société démocratique

Avant tout, il faudrait s’entendre sur les finalités de l’enseignement dans une société démocratique. Pour nous, pas question d’aider le Monde à continuer d’aller comme il va actuellement. Au contraire, la mission principale de l’Ecole est d’outiller tous les enfants pour leur permettre d’exercer une citoyenneté critique. D’où notre revendication : ambition et équité pour l’éducation !

Les écoles, socialement mixtes, doivent donner à tous une formation générale et polytechnique de haut niveau. Elles doivent être le plus ouvertes possible. Les jeunes y passent le plus clair de leur temps, elles doivent être confortables et agréables. La taille des classes, surtout dans le fondamental, doit être réduite. Voilà pour le cadre général posé dans notre Mémorandum de 2020[1]. Où nous précisons notre vision du métier.

Laisser les enseignants enseigner

  • Les enseignants n’ont pas besoin qu’on leur dicte une façon d’enseigner car il n’existe pas de panacée pédagogique. Une méthode efficace, employée par un professeur dans des conditions d’encadrement données, face à un groupe d’élèves déterminé, peut s’avérer totalement inopérante si elle est mise en œuvre par un professeur différent, dans un contexte différent. Les écoles et les enseignants doivent dès lors disposer d’une large autonomie pédagogique à condition de couvrir le programme. La diffusion de « bonnes pratiques » doit être encouragée mais pas imposée.
  • Les enseignants n’ont pas besoin qu’on leur impose l’usage de technologies à la mode. Tablettes, ordinateurs et autres tableaux interactifs peuvent certes être des outils précieux mais ne peuvent pallier le manque d’enseignants ou apparaître comme un des principaux outils permettant la différenciation au sein des classes et la gestion de l’hétérogénéité des élèves. Même l’OCDE reconnait que « les ressources investies dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) ne sont pas liées à une amélioration des résultats [aux tests PISA] des élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences ». Selon ce rapport, les résultats sont légèrement meilleurs pour les élèves utilisant modérément les ordinateurs par rapport à ceux utilisant souvent les ordinateurs.
  • Les enseignants n’ont pas besoin qu’on multiplie à l’excès les batteries de tests standardisés. Qu’ils soient formatifs ou certificatifs, ces tests doivent rester des instruments permettant aux enseignants d’évaluer leurs pratiques et de faire progresser leurs élèves. Ces évaluations ne peuvent avoir pour objectif de classer les établissements en renforçant le marché scolaire et la compétition.
  • Les enseignants n’ont pas besoin qu’on les enferme dans des contrats d’objectifs ou un « New Public Management » inspiré du secteur privé. Une phase de diagnostic peut certes être bénéfique pour prendre conscience des forces et faiblesses de son école. Qui pourrait en effet être contre la diminution du redoublement et du décrochage ? Contre l’amélioration des savoirs et des compétences ? Contre la réduction des différences de résultats entre les élèves favorisés et défavorisés ? Contre l’inclusion ou contre l’accroissement du bien-être à l’école ? Fixer des objectifs est louable. Mais sans moyens supplémentaires, il est fort à craindre que les enseignants s’épuiseront et subiront un accroissement de la pression et du stress lié à la crainte de ne pas atteindre les objectifs fixés. L’efficience du système éducatif, terme cher à McKinsey, ne peut être une fin en soi.
  • Les enseignants ont besoin de bonnes conditions de travail, d’un minimum de respect et d’un salaire décent. Ils ont besoin de programmes clairs et d’une plus grande liberté pour les mettre en œuvre. Ils ont enfin besoin d’une formation initiale solide et, tout au long de la carrière, d’une aide, tant de la direction que des collègues, ou d’une formation continue répondant aux besoins réels rencontrés sur le terrain.

De la formation des enseignants

En 2011, nous participions à l’évaluation de la formation initiale des enseignants (EFI). Une occasion de clarifier notre position en la matière. Voilà ce que nous écrivions à l’époque.

« L’Aped en appelle à une approche matérialiste, philosophique, politique et progressiste du métier.

Matérialiste : tous les enseignants doivent connaître l’histoire de l’enseignement, les différentes politiques d’enseignement possibles et leurs résultats respectifs, les moyens qui lui sont réellement octroyés, ses structures, le rapport entre résultats scolaires et déterminants sociaux, etc.

Philosophique et politique : il faut à tous un cours de philo, une connaissance des principaux courants politiques et socioéconomiques – capitalisme/néolibéralisme, keynésianisme, socialisme/communisme -, une approche critique de la « démocratie » de marché, une réflexion sur l’impossibilité d’une neutralité politique, sur les valeurs philosophiques et politiques qui sous-tendent les différentes politiques d’éducation, sur le droit à la critique et à la résistance – par rapport à des prescrits sources d’inégalités, par exemple -, une familiarisation aux outils d’analyse statistique, historique, etc.

Progressiste : la formation initiale devra déconstruire les clichés obscurantistes et construire les notions d’éducabilité de tous, de l’intérêt de la mixité sociale, de l’apprentissage par les pairs, de l’interculturalité, etc. »

Pratiques pédagogiques : retrouver un équilibre

On nage en plein dogmatisme de l’approche par compétences, et en plein relativisme du « feu d’artifice » permanent de l’animation (où toutes les méthodes se vaudraient, tant que les jeunes « accrochent »). Tout ça au détriment d’une véritable relation pédagogique, visant à atteindre des objectifs cognitifs.

Nous prônons depuis des années un équilibre dans les pratiques. Les futurs enseignants doivent être préparés à une large autonomie en la matière. Ça suppose une vaste connaissance des pédagogies et méthodologies, une réhabilitation des sciences de l’éducation, une option pour les pédagogies qui construisent du sens… Pour les apprentis enseignants, des allers-retours entre terrain et recul réflexif, des formules collectives d’accompagnement dans les établissements. Pour les formateurs d’enseignants, il s’agira de sortir de leur tour d’ivoire, par le biais de collaborations beaucoup plus étroites entre eux, les stagiaires et les enseignants de terrain (pourquoi pas en construisant et en expérimentant des séries de cours).

Des enseignants plus forts dans leurs matières

La formation est souvent trop légère dans les matières (disciplinaires). Une évidence pour les régents, mais pas que pour eux. En effet, à tous les niveaux, l’approche par compétences « mange » une énergie et un temps fous, au détriment des contenus enseignés. Nous prônons une formation disciplinaire solide, via des cours structurés et structurants et via l’apprentissage de méthodes de recherche rigoureuses.

Notes

  1. Ambition et équité pour l’éducation, mémorandum de l’Aped, 2020 : https://www.skolo.org/2020/02/18/memorandum-ambition-et-equite-pour-leducation/

 

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