DPC 2024 : comme quoi il y a toujours moyen d’empirer les choses…

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Ça n’a pas été long ! Avec l’alliance MR-Engagés, annoncée dès le lendemain des élections régionales, on s’attendait à une vague de mesures réactionnaires dans l’enseignement francophone. Il n’a pas fallu longtemps pour en avoir la confirmation. La Déclaration de Politique Communautaire (DPC) du 11 juillet dernier s’attaque de front aux droits et aux conditions de travail des enseignants, soumet encore un peu plus l’école aux diktats des patrons, rend le Pacte d’Excellence plus imbuvable qu’il ne l’était déjà et va sans doute réussir l’exploit de rendre encore moins équitable un système éducatif qui est déjà le plus inégalitaire d’Europe.

Dès l’introduction, le ton est donné :

« Le Gouvernement nentend pas que l’école fasse des efforts budgétaires non concertés, disproportionnés ou injustes au regard de leurs (sic) nombreuses missions. Mais il souhaite construire avec les acteurs de lenseignement un accord (sur) la mise en œuvre dune gestion plus efficace, plus raisonnée et équitable des moyens disponibles » (p12)

Que voilà une façon bien jolie d’annoncer que l’on va imposer à ces « acteurs » de sérieux sacrifices. Les attaques à venir visent principalement trois cibles : les enseignants, les élèves des classes populaires et l’École elle-même, comme institution publique.

Cible n°1 : les profs !

La mesure la plus radicale est sans doute la liquidation du statut des enseignants, du moins pour ceux qui n’ont pas encore été nommés. On nous annonce en effet « lengagement des nouveaux enseignants sous la forme dun contrat à durée indéterminée, avec une augmentation de lordre de deux heures hebdomadaires (avec assouplissement possible en début et en fin de carrière), et ce afin de mettre fin progressivement au régime statutaire »  (p14).

Adieu donc à la sécurité d’emploi, censée compenser les maigres salaires des enseignants. Et deux heures de cours par semaine en plus pour tous les nouveaux engagés sous CDI (et pour les nommés qui accepteraient d’abandonner leur statut pour passer sous CDI). Pour certains ce sera davantage que deux heures, car le gouvernement envisage aussi « des différences de charge de travail entre les enseignants de disciplines différentes selon limportance du temps quils doivent consacrer à la préparation de leurs cours, au suivi des étudiants et à des activités de correction » (p13). Au passage, on a là une belle mise en oeuvre de la devise : « divide et impera » !

Et si cela ne suffit pas, on va aussi « autoriser les enseignants qui le souhaitent à prester plus facilement des heures supplémentaires » (p13)

Ce n‘est pas tout. Vous êtes instituteur ou régent et vous avez décidé de suivre un master pour améliorer votre formation et bénéficier ainsi du barème 501 ? Pas de chance. Le gouvernement MR-Engagés « limitera la possibilité dobtenir un barème 501 via lobtention dun master, en dehors du secondaire supérieur. Pour les enseignants bénéficiant déjà de ce barème, ou celles et ceux qui voudraient y prétendre, il sera demandé deffectuer des tâches supplémentaires (…) afin de justifier le surplus de rémunération ». (p14)

Quant aux universités qui décernent des masters en pédagogie, leurs responsables seront heureux d’apprendre en quelle haute estime les tient le nouveau duo à la tête de la FWB :  « la formation continue des enseignants au moyen de stages et de modules spécifiques et adaptés à la réalité vécue par chaque enseignant doit être privilégiée par rapport aux masters en pédagogie. De nouvelles compétences et connaissances devront ici être abordées prioritairement comme l’éducation aux médias, utilisation des outils numériques et de lintelligence artificielle, climat scolaire, gestion de classes (en particulier multiculturelles), montée des extrémismes, harcèlement scolaire, etc.). » (p14). 

D’ailleurs, à quoi bon toutes ces formations ? On a prolongé la formation initiale des instituteurs et régents de 3 à 4 ans. Eh bien, MR et Engagés ont décidé que cette quatrième année était une belle opportunité pour disposer de main d’oeuvre gratuite. Ils envisagent en effet la « possibilité, dans le cadre dune révision de la formation initiale des enseignants, pour les étudiants de dernière année de se voir confier des activités denseignement dans le cadre de leurs stages » (p14). Étudiants, suivez bien le cours des événements. Jadis, vous étiez formés en 3 ans puis vous pouviez travailler et gagner votre vie. On a jugé (non sans raison) que 3 ans de formation c’était un peu court. Mais maintenant vous aurez de nouveau 3 ans de formation, puis vous travaillerez gracieusement pendant (une partie de) votre quatrième année.

Cible n°2 : les élèves (et parents) des classes populaires

Est-il nécessaire de le rappeler à nos lecteurs que l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles est l’un des plus inégalitaires d’Europe ? Nulle part ailleurs les élèves issus des milieux les plus pauvres ne sont à ce point parqués en écoles-ghettos ; nulle part ailleurs l’écart de performances avec les élèves de familles riches n’est aussi grand que chez nous. Cette réalité est connue depuis longtemps et a contraint les gouvernements précédents à prendre, au moins en apparence, des mesures pour y remédier. 

On peut en citer trois. Premièrement, la discrimination positive, qui revient à donner un peu plus de moyens et/ou d’encadrement aux écoles qui travaillent avec des publics particulièrement « défavorisés ». Deuxièmement, les décrets « inscriptions », qui devaient amener un (tout petit) peu de régulation dans le marché scolaire et étaient censés ainsi diminuer la ségrégation sociale entre écoles. Troisièmement, il y a la mesure phare du Pacte d’Excellence : la prolongation du tronc commun jusqu’à la troisième année secondaire.

Ces mesures, à l’Aped nous n’avons pas manqué de les critiquer. Non parce qu’elles étaient mauvaises mais parce qu’elles étaient largement insuffisantes et peu efficaces. La discrimination positive est une façon de gérer la ghettoïsation du tissu scolaire, mais elle ne s’y attaque pas. Les décrets « inscriptions », parce qu’ils ne concernaient que la première année secondaire, parce qu’ils maintenaient la primauté du choix parental sans réserver d’emblée une place pour chaque enfant et parce qu’ils régulaient mais ne créaient pas de la mixité, n’ont jamais été en mesure de réduire la ségrégation. Quant à la prolongation du tronc commun, nous avons toujours dit qu’elle ne pouvait être couronnée de succès qu’à la double condition de s’attaquer aux ségrégations et inégalités dès la maternelle et le primaire et de séparer structurellement le tronc commun du secondaire supérieur.

Voyons maintenant ce que nous promet le nouveau gouvernement. 

Concernant la discrimination positive (D+), il écrit que « lefficacité du fonctionnement actuel de ce dispositif nest pas démontrée pour linstant. Une évaluation et, le cas échéant, une réforme devra être prévue ». (p17) On envisage donc d’abandonner la D+, mais on cherchera en vain dans la DPC ce qu’on prévoit pour s’attaquer aux ghettos. On abandonne une rustine inefficace, mais on n’entreprend rien pour réparer le pneu.

Concernant les inscriptions scolaires, la DPC… est muette ! Le MR n’a jamais cessé de tonner contre toute forme de régulation du marché scolaire. Mais il réalise probablement que supprimer purement et simplement le décret « inscriptions » reviendrait à replonger dans le chaos, les passe-droits, les files déguisées de jadis. Il faut donc trouver une porte de sortie honorable… et réaliste. Chez Les Engagés on est sans doute encore un peu plus en porte-à-faux : d’un côté on est très proche des directions et PO de l’enseignement libre qui ne cachent pas leur hostilité à ces décrets ; mais d’un autre côté, feu le CDH a largement participé, même au poste de ministre, à leur mise en oeuvre. Sans doute Maxime Prévot veut-il se donner un peu de temps pour faire avaler à son aile « gauche » la couleuvre d’un renoncement au décret « inscriptions ». Lisons donc ce que la DPC ne dit pas : le décret « inscriptions » actuel est condamné, mais l’heure et le mode d’exécution restent à déterminer.

Enfin, concernant la prolongation du tronc commun, la DPC est cette fois tout à fait claire.  Ses auteurs soulignent la « difficulté majeure de nombre de jeunes adolescents dès la fin de la 2e secondaire et lincohérence de les contraindre à poursuivre un tronc commun en 3e secondaire si leur profil ou aspiration ne les y incitent pas. Le Gouvernement adaptera cette 3e secondaire pour en faire davantage une réelle année de transition en conservant un socle allégé dactivités communes et en y accroissant significativement la part des activités orientantes » (p21). C’est ce qu’on appelle un enterrement de première classe. Là où le Pacte péchait par manque de réalisme, ne se donnant pas les moyens de réussir la prolongation du tronc commun sans nivellement par le bas et sans sélection camouflée, la nouvelle coalition décrète qu’on va continuer de faire comme on a toujours fait : les bons élèves (entendez, statistiquement, les enfants des classes moyennes et supérieures) continueront d’aller dans le général à 14 ans et ceux qui ont une prétendue intelligence pratique, ceux que leur « profil ou aspiration n’incitent pas » à aller vers l’enseignement supérieur (entendez, statistiquement, les enfants des classes populaires) iront dans le qualifiant.

À défaut de donner à l’école les moyens de la réussite pour tous, on va lui redonner les moyens de sélectionner plus sévèrement. Ainsi le nouveau gouvernement souhaite-t-il « conserver en fin de 6e année primaire le caractère certificatif du CEB et élargir les épreuves en intégrant la dimension polytechnique et pluridisciplinaire du tronc commun ». Il compte également « mettre en place en fin de 3e année primaire une évaluation externe commune portant sur la maîtrise des compétences de base », sans toutefois préciser si cette évaluation serait certificative. Mais on peut le craindre puisqu’il dit aussi vouloir « supprimer le mécanisme des évaluations externes non certificatives ».(p 20-21)

La DPC prévoit encore, à côté d’un CESS commun aux deux voies (transition et qualification), un certificat de transition ou un certificat de qualification. Le CESS du qualifiant ne donnerait accès à l’enseignement supérieur (type long ou court) qu’à condition que le domaine envisagé dans le supérieur soit en continuité avec le certificat de qualification obtenu. Cela va donc restreindre grandement le choix d’études de ces élèves. Cette mesure est tout à fait discriminante.

Quant aux parents de milieux modestes, ils n’ont pas non plus été oubliés par ce gouvernement de droite puisqu’il « évaluera également les mesures de gratuité relatives aux fournitures scolaires de la 1ère maternelle à la 3ème primaire et le cas échéant adaptera cette mesure » (p 16). Parions que le cas échoira très vite…

Cible n°3 : l’École (comme institution publique)

La vision du nouveau gouvernement sur le rôle et l’essence du système éducatif est diamétralement opposée à notre vision d’une école démocratique. Nous souhaitons une école publique, commune, engagée dans l’institution d’une citoyenneté critique par une instruction générale et polytechnique. Voyons ce qu’il en est.

En guise d’école commune, on va nous servir une véritable bi-polarisation en deux réseaux concurrents. D’un coté le couple MR-Engagés compte fusionner les réseaux officiels, mais d’un autre côté il va organiser, en face de ce réseau officiel unique, un puissant réseau « libre » mieux financé. « Le Gouvernement entend mettre fin à la discrimination historique de traitement et de financement entre les réseaux libre et officiel en matière de taux de subventionnement par élève et de taux de subventionnement en infrastructures ». (p26) On aurait au moins pu espérer qu’en échange de ce cadeau l’enseignement libre serait obligé d’abandonner une partie de son pouvoir, par exemple en devant suivre les mêmes programmes que l’officiel et en devant organiser tous les cours de religion, comme l’officiel. Mais au contraire, « le gouvernement garantira l’autonomie pédagogique des fédérations de pouvoirs organisateurs du libre quant à l’organisation pratique de l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté » (p20). On aurait également pu demander que les bâtiments de l’école libre, qui seront donc de plus en plus généreusement entretenus, rénovés ou agrandis avec des fonds publics, deviennent dès lors progressivement une propriété de l’État. Mais cette perspective n’a pas effleuré l’esprit du MR et, encore moins, des Engagés.

La concurrence entre réseaux et entre écoles sera renforcée par les mesures relatives au travail des directions d’écoles. Elle jouiront de plus d’autonomie et  « le Gouvernement entend (en faire) de véritables cadres de la gestion d’établissement, autonomes et disposant du temps et des moyens pour exercer un leadership éducatif et pédagogique affirmé. » (p 24)  Demain, votre directeur devra se considérer comme le patron d’une petite entreprise en concurrence avec d’autres, chargé de mener « ses » professeurs à la baguette.

Quant à ce que cette école doit enseigner, les pistes de la DPC sont vraiment bien éloignées de notre vision d’une formation générale et polytechnique. Au primaire on se concentrera sur les incontournables « apprentissages de base » (comme si découvrir un peu de sciences et d’histoire n’était pas un apprentissage de base !). Pour la fin du tronc commun la DPC parle bien de « formation polytechnique ». Mais quand on gratte un peu le concept, on se retrouve à des lieues de ce que nous avons toujours défendu, à savoir la découverte des bases scientifiques et techniques des grands moyens de production modernes : de l’artisanat à l’industrie chimique, de l’agriculture à la cybernétique. Ici, au MR et chez les Engagés, le concept « polytechnique » ne recouvre qu’un instrument d’orientation vers les filières qualifiantes. S’ils veulent « veiller à la mise en œuvre effective des apprentissages polytechniques et artistiques » ce n’est que pour « développer les talents et accompagner l’orientation » (p17)

De même, lorsqu’on envisage d’obliger chaque jeune à effectuer « un stage d’observation de 5 jours dans le monde du travail ou associatif, pour donner à l’élève l’occasion de partager le quotidien de professionnels de différents secteurs », ce n’est pas conçu comme un élément crucial de la formation du citoyen mais seulement comme un moyen de « préciser son projet d’orientation » (p18). Raison pour laquelle on prévoit ce stage « avant la fin du tronc commun ».

Enfin, dans les années qui suivent le tronc commun, l’ambition du nouveau gouvernement est très clairement de creuser l’écart entre les filières de transition vers le supérieur et les filières qualifiantes. Ces dernières feront de plus en plus appel au système de l’alternance (même si le gouvernement ne prévoit aucune mesure pour contraindre les employeurs à ouvrir suffisamment de postes à cette fin). En revanche on leur offre sur un plateau un « certificat de qualification dont les épreuves seront co-construites avec les acteurs des secteurs professionnels ». En clair : c’est le patronat qui décidera ce que leurs travailleurs devront apprendre et ce qu’ils ne devront surtout pas apprendre.

Et pour faire bonne mesure, l’École aura aussi pour mission de « lutter contre les extrémismes et les populismes ». La DPC ne précise pas qui déterminera ce qui est « extrémiste » ou « populiste ». Gageons qu’on y inclura, outre l’extrême droite, tout ce qui est un peu trop radicalement à gauche, tout ce qui milite avec un peu trop d’ardeur en faveur l’environnement, tout ce qui proclame avec un peu trop de force les droits du peuple Palestinien. Mais visera-t-on aussi l’extrémisme ultra-libéral ?

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.