Les réponses à certaines questions de notre enquête ne manquent pas de susciter quelque inquiétude et mettent ainsi en évidence d’importantes lacunes dans la formation des enseignants.
Cet article fait partie d’un dossier paru dans l’Ecole démocratique (n°96, décembre 2023, pp. 3-13) synthétisant les résultats de notre grande enquête sur le ressenti des enseignants quant au niveau des élèves.
Moins d’un enseignant sur deux (42%) est conscient du fait que les difficultés d’apprentissage chez les élèves ne sont que rarement le résultat d’un « déficit de capacités intellectuelles ». En Flandre, cette conscience tombe même à 28%, contre 54% en Communauté française… Ce qui reste très élevé. En effet, lorsqu’on sait à quel point la réussite scolaire est, particulièrement en Belgique, corrélée statistiquement à l’origine sociale, les croyances notées ci-dessus reviennent à considérer que les enfants des classes populaires auraient, en général, moins de « capacités intellectuelles » que les autres.
De même, le fait que près d’un tiers des répondants rejette la thèse de l’éducabilité de tous les enfants (« tous capables ») a de quoi nous inquiéter. Et on frémit littéralement quand on voit que 80% des instituteurs maternels se disent « plutôt » ou « tout à fait d’accord » avec l’idée « il y a des manuels et des intellectuels ».
Tout cela témoigne pour le moins de sérieuses lacunes dans la formation initiale des enseignants. Il y faudrait une beaucoup plus solide formation relative aux causes et mécanismes de l’échec scolaire. Une formation qui les rende capables de résister à cette idéologie des « dons » qui se répand à nouveau et se trouve, il est vrai, parfois véhiculée jusque dans les ministères, quand ils nous rebattent les oreilles avec leurs discours sur les « talents » et les « intelligences manuelles »…
Comme le note très justement un répondant : « Une école juste ne délègue pas ses missions aux parents. Les difficultés scolaires sont de la responsabilité des enseignants, pas des parents ». Or, ici aussi, il se trouve 34% d’enseignants pour estimer « souvent » que les parents d’élèves n’aident pas assez leurs enfants. Et c’est chez ceux travaillant en milieux défavorisés que la thèse est la plus répandue. Cela peut sembler logique puisque ces parents-là sont plus éloignés de l’école, qu’ils n’en maîtrisent pas les codes, qu’ils ne parlent pas la langue scolaire, qu’ils ont souvent des emplois pénibles ne leur laissant que peu de temps pour suivre la scolarité de leurs enfants et apportent donc fatalement moins d’aide à leurs enfants que les parents plus aisés (qui peuvent aussi faire appel à un soutien extra-scolaire payant). Mais c’est également troublant parce qu’on pourrait s’attendre à ce que les enseignants soient conscients que les parents de classes populaires ont justement moins la possibilité d’aider les jeunes sur le plan scolaire et qu’on ne peut donc guère leur reprocher de ne pas le faire « assez ».
Là encore, une meilleure formation initiale devrait permettre de déraciner de telles idées.
Mais sans doute les cursus suivis dans les sections pédagogiques des Hautes Écoles ne sont-ils pas seuls en cause. Les enseignants de ces sections qui ont participé à notre enquête estiment que le niveau du recrutement d’étudiants devrait également être revu à la hausse. « La « baisse de niveau » est clairement sensible à la Haute École où j’enseigne », écrit l’un d’eux, « car le profil des étudiant(e)s est de plus en plus problématique. L’essentiel des candidat(e)s, issu(e)s de l’enseignement technique ou professionnel, s’inscrivent en filière pédagogique après avoir échoué ailleurs ».