Les avis des répondants à propos des référentiels et programmes pourraient, à première vue, sembler un peu paradoxaux. D’un côté, ils sont deux fois plus nombreux à les trouver « trop lourds » (30%) que « trop légers » (14%). Mais d’un autre côté, ils sont aussi deux fois plus nombreux à les trouver « trop faciles » (22%) que « trop exigeants » (10%).
Cet article fait partie d’un dossier paru dans l’Ecole démocratique (n°96, décembre 2023, pp. 3-13) synthétisant les résultats de notre grande enquête sur le ressenti des enseignants quant au niveau des élèves.
Mais cette contradiction n’est qu’apparente. Le premier avis concerne l’aspect quantitatif, le volume des référentiels, la quantité de « matière », de sujets qu’on y aborde. Le second concerne leur niveau de difficulté, leur niveau d’exigence qualitative.
Un enseignant explique : « J’ai l’impression qu’on en demande beaucoup plus, mais que tout est très superficiel et qu’on ne travaille plus en profondeur. Jadis, on se concentrait sur les matières essentielles, mais de façon approfondie, afin de les maîtriser. Maintenant on aborde de tout, mais il n’y a pas le temps de vraiment apprendre, de répéter, d’exercer, de sorte qu’à la fin il ne reste pas grand chose ». Cet autre est encore plus clair : « Les programmes d’apprentissage sont à la fois trop légers (ils mettent la barre beaucoup trop bas) et surchargés. »
Le semblant de paradoxe disparaît d’ailleurs totalement lorsqu’on interroge les impressions des enseignants quant à l’évolution de long terme de ces référentiels. 34% déclarent alors que les programmes actuels sont moins exigeants que ceux qu’ils ont connus comme élèves dans leur jeunesse (contre 21% qui pensent le contraire) et 40% considèrent que ces programmes sont devenus moins exigeants (contre 14% qui disent : « plus exigeants »). Ce dernier point de vue est un peu plus fort en FWB qu’en Flandre. C’est pourtant un enseignant flamand qui écrit : « J’enseigne depuis 40 ans. J’ai donc pu observer une longue évolution. La différence est immense. Il y a 25 ans, mes propres enfants devaient connaître beaucoup plus que les élèves d’aujourd’hui et le niveau moyen des classes était nettement plus élevé ».
Seuls les instituteurs maternels font exception et considèrent généralement que les référentiels sont devenus plus volumineux et plus exigeants.
Les compétences au péril des savoirs
Une tendance lourde dans le jugement des référentiels est la désapprobation assez générale de l’orientation sur les compétences. Les enseignants estimant que les programmes comportent trop de compétences et pas assez de connaissances sont trois fois plus nombreux que ceux qui pensent le contraire. « Les nouveaux programmes, écrit un professeur, sont excessivement axés sur les compétences, c’est-à-dire sur l’accomplissement de tâches. Or j’estime que la maîtrise d’une matière passe aussi par autre chose : par exemple la compréhension des subtilités que peut contenir un énoncé (scientifique ou autre), la discussion libre entre professeur et élèves, l’éveil à la remise en question des idées… ». « On évacue presque systématiquement les savoirs au profit des compétences, estime cet autre. Le problème est qu’il est très difficile de cibler pourquoi une compétence n’a pas été acquise: l’élève ne comprend pas? N’a pas étudié ? A manqué un enchaînement ? Ne serait-ce que pour des raisons diagnostiques et pour des raisons d’équité (j’étudie, je réussis), les savoirs devraient être rétablis ».
Si l’on met ceci en regard des deux points précédents, il est probable que l’avis « référentiels trop volumineux » porte parfois sur la longueur des exposés détaillant la façon d’exercer de multiples compétences et non sur le volume des savoirs à transmettre ou à faire découvrir.
Seuls les instituteurs maternels semblent moins critiques concernant cette orientation des référentiels sur les compétences. Il est sans doute normal que l’attachement aux connaissances y soit moins important que, par exemple, l’intérêt pour certaines « compétences sociales » (comportement, attitudes) ou « pratiques ». Inversement, ce sont les professeurs du secondaire général qui s’en plaignent le plus. Les professeurs travaillant en milieu défavorisé sont également un peu plus critiques sur l’approche par compétences que les autres.
« En français, le programme se limite à cerner quelques compétences générales (lire, argumenter, résumer, etc.) et des exercices infantilisants qui ne relèvent pas à mon sens de la véritable maîtrise de la langue (présenter un livre dans une vidéo). Exit donc les exercices les plus aboutis comme la dissertation ou le commentaire de texte à la française. En général, l’exigence de structure passe à la trappe. »