Au volet « pédagogie » de notre enquête « niveau », nous avons voulu savoir, d’une part, comment les enseignants se positionnaient par rapport aux « grands » courants pédagogiques (grands par leur importance dans l’histoire de l’éducation moderne ou grands par les débats qu’ils cristallisent) et, d’autre part, quelles sont leurs propres conceptions et pratiques en ce domaine.
Cet article fait partie d’un dossier paru dans l’Ecole démocratique (n°96, décembre 2023, pp. 3-13) synthétisant les résultats de notre grande enquête sur le ressenti des enseignants quant au niveau des élèves.
Un usage stratégique des différentes pédagogies
Dans les commentaires qui pouvaient accompagner leurs réponses, l’écrasante majorité des enseignants promeut un certain éclectisme pédagogique, c’est-à-dire un recours souple et stratégique aux différentes pédagogies en fonction du moment de l’apprentissage mais aussi pour s’adapter aux caractéristiques fluctuantes du contexte, des matières à enseigner, des élèves, et même de l’enseignant. Cette majorité insiste largement sur l’importance d’une progression fondée sur le concret (manipulations, etc.), mais allant ensuite vers l’abstraction et sur l’intérêt de la construction des savoirs à condition de ne pas négliger la structuration et la répétition (drill, etc.) permettant d’asseoir les savoirs et savoir-faire.
« La meilleure pédagogie tire profit de méthodes plurielles. Il faut à la fois inclure l’élève et solliciter sa curiosité naturelle, mais aussi l’obliger à adopter une certaine structure et une certaine discipline. »
Liberté pédagogique
D’autre part, les enseignants, dans leur majorité, tiennent à ce que soit préservée leur liberté pédagogique. Ils ne veulent pas se voir imposer une pédagogie unique qui empêcherait la prise en compte de la complexité des situations, qui standardiserait les activités de classe, enfermerait enseignants et élèves dans une posture unique. Ils réclament, au contraire, une formation de qualité aux différentes pédagogies, et qu’on leur fasse confiance pour combiner les différentes approches en fonction de leurs limites et avantages respectifs.
« Je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas « une » « bonne » façon d’enseigner mais que la pédagogie utilisée doit s’adapter en fonction de la matière, du sujet, du groupe-classe, des difficultés ponctuelles rencontrées par les élèves, de leur âge, des affinités de l’enseignant, des conditions matérielles, des opportunités … bref, utiliser une « trousse pédagogique » variée me parait une meilleure option que de suivre les préceptes d’une seule vision. »
Ce graphique illustre notre analyse. Nous y avons synthétisé les avis des répondants en un indice numérique allant de -1 (très défavorable) à 1 (très favorable). Les valeurs du graphique ci-dessous sont les moyennes de ces indices pour chacune des pédagogies (les « sans avis » ont donc été omis dans ce calcul).
Des sensibilités pédagogiques différentes entre enseignants flamands et francophones
Trois pédagogies sortent du lot, avec des indices supérieurs à 0,4 : pédagogie active, pédagogie explicite et travail en ateliers. Trois autres pédagogies ont un indice moyen relativement positif, proche de 0,3 : Freinet, socio-constructivisme et classe flexible (en se souvenant toutefois qu’il y avait là beaucoup de « sans avis »). Montessori et l’approche par compétences s’en sortent avec un bilan tout juste positif alors que la pédagogie frontale et la classe inversée sont proches de zéro, signe que les avis positifs et négatifs se compensent.
On note toutefois des différences nord-sud. Ainsi, la pédagogie frontale est-elle plutôt rejetée du côté francophone (-0,16), alors qu’elle est assez largement plébiscitée en Flandre (0,38). Inversement, le socio-constructivisme est davantage approuvé en FWB (0,39) qu’en Flandre (0,13).
Sans grande surprise, les instituteurs de maternelle rejettent plus fortement que les autres l’approche frontale et plébiscitent davantage les pédagogies actives, le travail en ateliers, le socio-constructivisme, les pédagogies Freinet et Montessori. Inversement, les enseignants du secondaire général penchent davantage que les autres vers l’enseignement frontal et/ou explicite. On ne s’étonnera pas non plus de voir les professeurs du qualifiant apprécier le travail en ateliers et les pédagogies actives.