C’est au tour de nos confrères et consoeurs français de se voir proposer un Pacte enseignant ! Et, selon les retours du terrain, il est très fraîchement accueilli par les travailleurs concernés…
Le pacte enseignant, késako ?
La posture jupitérienne du président Macron est connue. En matière scolaire, il se pique de vouloir rien moins qu’une « révolution », dont le coeur serait le fameux pacte enseignant. L’enjeu annoncé ? Une sorte de donnant-donnant. Le gouvernement augmente la rémunération des enseignants, aujourd’hui parmi les plus mal payés d’Europe. En retour, les enseignants signataires s’engagent à augmenter les performances de l’éducation nationale en termes de réussite scolaire, de lutte contre les inégalités et d’insertion dans l’emploi.
Pap Ndiaye, alors encore ministre, l’avait claironné au printemps : pour que cela fonctionne, il faut que 30 % des enseignants s’engagent dans la démarche. Son successeur, Gabriel Attal, a du souci à se faire : la proposition ne séduit absolument pas. Pourquoi ?
Un principe général : « Travailler plus pour gagner plus »
« Le principe général du pacte, vu du côté des personnels, est assez simple : il s’agit, pour celles et ceux qui s’y engageront, d’accepter des tâches supplémentaires en échange d’une rémunération spécifique. Chaque type de tâche, qu’on a déjà pris l’habitude d’appeler « briques », implique d’effectuer 18 ou 24 heures annuelles en plus. Chaque « brique », quel que soit son volume horaire, est rémunérée 1 250 euros brut par an, répartis sur neuf mois (d’octobre à juin). Chaque enseignant peut choisir de s’engager pour une seule « brique » ou pour plus – le maximum étant en lycée professionnel, où l’on peut cumuler jusqu’à six « briques », soit 7 500 euros brut annuels. On peut aussi prendre des « bouts de brique » dans certains cas, mais pas pour les missions jugées prioritaires comme les remplacements de courte durée dans le secondaire ou le soutien en mathématiques et en français au collège pour les professeurs des écoles. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une augmentation qui permettrait aux professeurs d’être payés plus pour le même travail, mais d’une nouvelle forme du « travailler plus pour gagner plus », visant à imposer des tâches supplémentaires à des professionnels qui travaillent déjà, selon les chiffres du ministère, entre 42 heures (secondaire) et 43 heures (primaire) hebdomadaires. On est donc loin de la revalorisation générale et inconditionnelle promise depuis plusieurs années. Sans compter l’aspect sexiste de la chose dans une profession très féminisée où les femmes auront encore moins de possibilités d’effectuer un surplus de travail – constat déjà vérifié pour ce qui est des heures supplémentaires, pour ne prendre que cet exemple. » (Olivier Chartrain, L’Humanité, 04/09/23)
Boucher les trous
Le ministre a annoncé triomphalement « un professeur devant chaque classe » pour la rentrée. Traduction concrète ? Pour les professeurs des écoles (instituteurs) signataires du pacte, en priorité aller effectuer du soutien en mathématiques et en français pour les élèves de 6e au collège. Dans le secondaire, priorité aux remplacements de courte durée. Ça a l’air simple, comme ça, mais ça soulève des questions : par exemple, si ces missions prioritaires ne sont pas remplies, les enseignants ayant signé pour d’autres « briques » pourront-ils se voir contraints de les assurer ? Dans le cas où un enseignant n’a pas eu l’opportunité d’effectuer ses heures de remplacement, doit-il en rembourser la rémunération ?… Mais surtout, il y a comme un gros malaise sur le plan pédagogique : remplacer un professeur de maths par un professeur d’anglais, qui fera une heure d’anglais, cela ne compensera pas l’heure de maths perdue. Plus fondamentalement, aller faire du soutien en 6e ne compensera pas les inégalités sociales et scolaires qui, faute de moyens, posent problème en amont du collège.
A ce stade, on peut faire l’hypothèse que le Pacte ne vise pas à remonter la pente après des décennies de désinvestissement de l’Etat dans l’enseignement, mais plutôt à passer le message que tout dépendrait de la bonne volonté des enseignants.
Lycée professionnel : sortie par la porte, la réforme revient par la fenêtre
En lycée professionnel (LP), le diable est dans les détails. Avec des journées de grève massivement suivies, les personnels avaient rejeté avec force la réforme du LP voulue par le gouvernement. Sans avoir l’air d’y toucher, des propositions allant dans le sens d’une réforme que l’on croyait morte de sa belle mort refont leur apparition dans le Pacte. Exemples : assurer des cours en effectif réduit pour des élèves en difficulté… à la place – et non en plus – des heures de cours normales ; transformer les professeurs de LP en promoteurs de l’apprentissage en assurant des heures de « découverte des métiers » en collège ; assurer le suivi d’élèves en grande difficulté (« décrocheurs »)… à la place des dispositifs actuels, insuffisants et sous-financés ; proposer des suivis postbac et en insertion professionnelle ; développer des « certificats de spécialisation » à bac + 1 en remplacement des mentions complémentaires actuelles, mais sans les financements dont celles-ci disposent aujourd’hui.
Sous des dehors de bricolage, l’éclatement du cadre de travail du service public de l’éducation nationale
On l’aura compris, le pacte peut faire penser à un vaste bricolage, un de plus, qui ne résoudra en rien les problèmes connus de l’éducation nationale. En fait, il ne faut pas s’y tromper : c’est à une profonde transformation que l’on assiste. A petite dose pour commencer, c’est bien tout un système scolaire qui est en menacé. Olivier Chartrain : « Car, à la mission de service public, portée par des personnels formés, exercée dans un cadre d’emploi sécurisé assurant la liberté pédagogique de celles et ceux qui l’assurent, le pacte et ses « briques » ne substituent rien de moins qu’un paiement à la tâche (ou à la mission), annualisé, où la commande l’emporte sur toute autre considération, où l’enseignant n’est plus le concepteur de ses cours mais une sorte particulière de personnel contractuel. Des emplois bien réels – de coordination et de suivi de projet, d’orientation, soutien ou remédiation, théoriquement assurés aujourd’hui par des conseillers d’orientation, des conseillers principaux d’éducation, des enseignants spécialisés, des directeurs de formation professionnelle en LP… – risquent de se trouver rapidement menacés. Au passage, en choisissant parmi les demandeurs qui aura sa ou ses « briques »… et la rémunération qui va avec, les supérieurs hiérarchiques (personnel de direction en lycée et collège, inspecteurs en primaire) acquerront un pouvoir direct sur le salaire des professeurs. Il ne faut donc pas s’y tromper : ce que le pacte porte en lui comme la nuée l’orage, c’est l’éclatement du cadre de travail du service public de l’éducation nationale. C’est le germe de la contractualisation généralisée dans l’éducation, aujourd’hui limitée à une partie de l’enseignement privé, celle qui est dite « sous contrat ». Un vieux fantasme porté depuis des lustres par les idéologues ultralibéraux – et que le Grenelle de l’éducation, organisé en 2021 par Jean-Michel Blanquer, avait remis en avant, pour arracher l’éducation des mains de ceux qui en sont aujourd’hui les derniers garants : le personnel, en général, et les enseignants en particulier. »
Source : L’Humanité, 4 septembre 2023