Voilà maintenant plus d’un an que le mouvement dans l’enseignement est en cours. Après les manifs de masse, les professeurs sont allés interpeller les présidents du PS, d’Ecolo et du MR. Leurs deux principales revendications restent les mêmes : réduction de la taille des classes et refus de l’évaluation/sanction. Concentrons-nous cette fois sur la question de l’évaluation.
Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°93, mars 2023 (pp. 20-21).
Au moment où nous écrivons ces lignes, la ministre Caroline Désir (PS) doit faire de nouvelles propositions et nous ne savons pas si elles pourront apporter l’apaisement souhaité auprès des enseignants. Mais, au fond, quel est le problème ?
Il faut d’abord éviter les caricatures lues fréquemment sur les réseaux sociaux ou dans des prises de parole : non, les enseignants ne refusent pas d’être évalués. Ni d’ailleurs d’être sanctionnés en cas de faute.
Rappelons premièrement que dans l’enseignement, comme dans tous les autres secteurs, des procédures disciplinaires existent. Elles peuvent déboucher sur des sanctions formelles après avoir suivi tout un processus dont, bien sûr, l’écoute du principal intéressé. La gamme des sanctions va du simple rappel à l’ordre à l’exclusion définitive si la faute peut être qualifiée de « grave ». Cette procédure est potentiellement applicable à tous les enseignants, y compris donc à ceux qui sont nommés. Elle n’est en rien affectée par ce qui nous occupe ici.
Le futur décret concerne les enseignants qui « dysfonctionnent » dans l’exercice de leur métier sans pour autant commettre de faute disciplinaire. Bref, on parle des « mauvais profs ». Est-ce qu’ils existent ? Oui, comme il existe de mauvais architectes, de mauvais plombiers, de mauvais avocats, etc. En principe, néanmoins, on ne découvre pas qu’un enseignant « dysfonctionne »après vingt ans de carrière ! S’il y a un gros problème, le service d’inspection ou la direction de l’école devraient avoir pu le constater à temps, c’est-à-dire avant de procéder à la nomination. Un non renouvellement de contrat suffit alors à régler le problème.
Mais oui, reconnaissons-le, même s’ils sont loin de constituer une majorité, il existe des professeurs nommés qui, pour diverses raisons, ont des problèmes avec l’exercice du métier. Parfois, les évolutions sont trop rapides et l’adaptation est difficile. Quelle peut alors être la solution ? Proposer un accompagnement, des formations à suivre et accorder de la bienveillance à quelqu’un qui, souvent, s’il se sent soutenu, montrera de la bonne volonté. C’est d’ailleurs ce que prévoit le futur décret. Mais, là où le bât blesse, c’est qu’il prévoit que si la procédure est insuffisante, on pourrait mettre fin aux fonctions et écarter l’enseignant.
En quoi est-ce problématique ? D’abord, il s’agit d’un fameux coup de canif dans le principe de la nomination. Celle-ci perd son statut de protection si un enseignant peut être écarté pour « dysfonctionnement ». Pourquoi en serait-il alors autrement pour les autres fonctionnaires ? Que signifie encore vraiment la nomination ? Il s’agit ni plus ni moins d’une attaque supplémentaire sur le statut de la fonction publique.
Mais il y a plus. On peut sérieusement douter de la sérénité d’un enseignant en processus d’accompagnement s’il se sent menacé d’exclusion en fin de procédure. Tout l’intérêt de l’accompagnement pourrait être perdu parce qu’un professeur appliquerait juste des recettes pour éviter des ennuis plutôt que de s’impliquer sereinement dans une amélioration durable de sa pratique.
Par ailleurs, il ne faut pas se le cacher, s’il y a une vraie opposition, c’est aussi parce que de nombreux enseignants n’ont tout simplement pas confiance. Qui va évaluer ? Qui va sanctionner ? Que va-t-on évaluer ? Si les évaluations pourront se faire via divers protagonistes, comme l’inspection ou les directions, il semble bien que la sanction reviendrait aux Pouvoirs Organisateurs (PO). La ministre le répète à l’envi pour dire que les craintes de pression sur le personnel par les directions sont non fondées. Ce n’est pas sérieux ! Sur quoi se baseront les PO pour justifier une sanction si ce n’est dans la grande majorité des cas sur un rapport de la direction ? Dans le Libre comme dans l’Officiel Subventionné (communes et provinces), les représentants des PO n’ont a priori aucune compétence pédagogique. Dans les faits, les directions pourraient donc avoir un moyen de pression sur des enseignants dérangeants en leur préparant un dossier à charge.
Et un dernier point, non des moindres. Que va-t-on réellement évaluer ? Sur quels critères ? Parce que les réformes se sont bousculées ces dernières années. Et le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne furent pas toutes couronnées de succès. Ne pensons qu’à celle de l’approche par compétences. En ce qui me concerne, j’ai toujours été très critique par rapport à cette approche. Et c’est un euphémisme de dire que je ne l’ai pas appliquée avec un zèle débordant. J’y ai même résisté par conviction. De plus en plus, ses excès sont d’ailleurs pointés du doigt. Aurais-je pu être écarté pour « mauvaise volonté évidente » si le futur décret avait été en vigueur ? Me reviennent les propos un peu dépités d’un inspecteur à propos d’un enseignant : « Avant, je lui aurais fait un bon rapport. Maintenant, avec la grille d’évaluation que je suis obligé d’appliquer, je vais lui faire un mauvais rapport » ! Je trouve ça grave, mais encore plus grave si ça peut déboucher sur une sanction. Car un enseignant pourrait s’entêter, par conviction, à ne pas appliquer une approche qu’il juge néfaste pour ses élèves. Serait-il juste qu’il soit sanctionné ?
La sentence selon laquelle « les profs ne veulent pas être évalués » est juste caricaturale et ne permet pas d’appréhender tous les termes d’un débat qui n’est pas si simple. Ce modeste article y aura, je l’espère un peu contribué.