Le récit qui suit est le premier d’une série que nous espérons foisonnante. Nous y relaterons des expériences pédagogiques porteuses d’émancipation. L’école commune que nous appelons de nos voeux peut être le lieu où les jeunes construisent des savoirs qui donnent force pour comprendre le monde et participer à sa transformation. Dans des conditions pourtant contraires, des équipes d’enseignants prouvent que ça peut marcher. Imaginez ce qu’il serait possible de faire dans un contexte vraiment favorable…
Cet article a été initialement publié dans L’École démocratique, n°93, mars 2023 (p. 16).
Louis Teyssedou est professeur de lettres et d’histoire au lycée technologique Edouard-Gand (Amiens)[1]. Son idée, c’est de mettre les élèves en recherche sur des matériaux d’histoire locale. Puis de les impliquer dans la diffusion des savoirs ainsi constitués. Vu l’ampleur du projet, il fait appel à ses collègues, mais aussi aux archives départementales, aux associations et autres centres culturels… Bref, de l’école ouverte du meilleur aloi !
En 2021, il met ses élèves au travail sur l’ancienne usine textile Cosserat, dont la friche est proche de l’établissement. Deux siècles durant, celle-ci a produit du velours de haute qualité. Employant à son apogée jusqu’à 1400 travailleurs, elle a définitivement fermé ses portes en 2012. En fouinant dans les archives, notamment photographiques, en se rendant sur place, en rencontrant d’anciens travailleurs, les étudiants découvrent la condition ouvrière aux XIXème et XXème siècles. Un travail qui débouche sur la publication d’un petit livre retraçant l’histoire de l’usine et le contexte de l’industrie textile. Mais ce n’est pas tout. Une classe réalise une vidéo, avec un François Morel en voix off. Des élèves coécrivent une pièce de théâtre avec une compagnie locale. Des chutes de velours sont confiées à la section textile-habillement qui confectionne des étuis pour le livre et des vêtements originaux, présentés dans une exposition. Les élèves d’arts graphiques, quant à eux, publient des planches de BD.
En 2022, Teyssedou récidive. Les recherches de l’année précédente lui avaient fait découvrir des clichés d’un certain Raoul Berthelé, un soldat affecté à un petit hôpital mobile dans la région d’Amiens en 1915. Muni d’un appareil Vérascope[2], il avait pris des milliers de clichés de l’arrière-front – dont quelques-uns à l’usine Cosserat. Six mois de travail seront nécessaires à l’enseignant et à ses élèves pour monter une exposition exceptionnelle – « Amiens et la Grande Guerre, 1915-1918 » – et rédiger le livret pédagogique à destination des enfants du primaire qui viendront la visiter.
Mathéo, élève de première en filière « animation » : « Cette exposition est l’aboutissement de six mois de boulot. On a fait des recherches pour compléter les légendes, peint les cadres, collé les photos et on était là tôt ce matin pour l’accrochage. »
« On est content de transmettre tout ce qu’on a appris aux petits qui viennent visiter l’exposition, ça rejoint notre formation d’animateurs. En plus, en faisant de l’histoire de manière active, on retient mieux », complète Nohéline.
« Ce qui me touche le plus, c’est que la famille du photographe soit venue de l’autre bout de la France pour découvrir les clichés de son aïeul, renchérit Maurine. C’est vraiment une sacrée aventure dans laquelle notre prof d’histoire nous a embarqués. Et grâce aux clichés de Raoul Berthelé, j’ai un autre regard sur la Première Guerre mondiale, et aussi sur ma ville, qui a tellement changé depuis. »
Pour en savoir plus
Louis Teyssedou, L’autre guerre. Les visages de l’arrière-front. Les Editions de l’Atelier, 2022. 25,00 euros
Sur le site du Lycée Edourd-Gand : projet de classes « De Cosserat Tu Causeras »
- L’essentiel des informations contenues dans cette évocation viennent d’un article de l’Humanité, mars 2022, du site internet du lycée et des réseaux sociaux (pages Facebook des expositions, etc.) ↑
- Deux objectifs contigus permettent de créer un effet « 3D », à l’époque déjà. ↑