A Anvers, le 10 octobre dernier, je participais à un débat sur le niveau de l’enseignement. Le modérateur posait trois questions aux participants du panel. (1) Le niveau d’éducation est-il en baisse ? (2) Quels sont les éléments qui expliquent cette évolution ? (3) Que pouvons-nous faire pour élever le niveau ? Dans cet article, j’apporte quelques éléments de réflexion autour de ces trois questions.
Un article initialement publié dans L’École démocratique, n°92, décembre 2022, pp. 6-10.
Les progressistes doivent-ils débattre du « niveau » de l’enseignement ?
Ne sommes-nous pas en train de faire le jeu du ministre de la N-VA, Ben Weyts, en nous concentrant sur la question du « niveau » ? La qualité de l’éducation peut-elle se réduire à la quantité ou à la complexité des acquis ?
En effet, de nombreux autres facteurs déterminent la qualité d’une école : le chauffage et la ventilation des salles de classe, la qualité du repas offert (s’il y en a un), la cour de récréation spacieuse et verte (ou non), l’aide aux élèves en difficulté, l’offre périscolaire (école ouverte), l’espace laissé aux élèves pour prendre des responsabilités ou mener des actions sociales…
Mais cela n’enlève rien à l’importance cruciale du niveau. Si, comme l’affirme l’Aped, nous voulons une éducation qui donne à tous les jeunes les armes intellectuelles pour comprendre et changer le monde, un haut niveau de connaissances, de perspicacité, de savoir-faire est indispensable. C’est précisément la raison pour laquelle nous ne devons pas laisser le monopole de la discussion sur le niveau aux défenseurs d’un enseignement élitiste.
Ambition et égalité, un niveau élevé pour tous
Pour l’Aped, il ne peut y avoir d’éducation de qualité si de larges segments de la jeunesse en sont exclus. C’est le message de notre pétition et de notre campagne « Ambition et égalité sociale pour l’éducation », lancées en 2020. Ce message contraste avec celui des relais de l’élite et des politiciens de droite, pour qui la critique de la baisse du niveau s’accompagne de la minimisation, voire de la négation, des inégalités sociales dans l’éducation. Ce message est également pertinent à la lumière du rapport « Beter Onderwijs » de la commission dirigée par Philip Brinckman. La commission Brinckman part du principe que le niveau de l’enseignement flamand est en baisse depuis plus de 20 ans. Le rapport contient des dizaines de recommandations pour renverser la vapeur. Toutefois, la principale faiblesse de ce rapport réside dans le fait qu’il contourne la réalité centrale de la ségrégation sociale. Celle-ci est pourtant particulièrement élevée dans notre système éducatif (flamand comme francophone), en raison de la combinaison unique de caractéristiques structurelles telles que le libéralisme de la politique d’inscription, le choix précoce des études, la concurrence entre les réseaux … C’est précisément cette ségrégation qui renforce l’inégalité sociale et fait que presque nulle part ailleurs que chez nous l’origine sociale ne détermine autant les performances scolaires.
Le rapport Brinckman consacre plusieurs pages à la chute des scores moyens flamands aux tests PISA entre 2000 et 2018 : 9 points de moins pour la culture scientifique, 15 points pour la culture mathématique et 30 points pour les compétences en lecture. Cependant, l’écart entre le score moyen des quartiles le plus riche et le plus pauvre est de 115 points et celui entre le score moyen en ASO (enseignement général) et en BSO (enseignement professionnel) – étant donné la composition sociale très différente de ces deux formes d’enseignement – est de 180 points. L’inquiétude suscitée par la baisse du niveau scolaire devrait donc appeler en premier lieu des mesures visant à combler ce fossé social.
Le niveau est trop bas
La question de savoir si le niveau de l’enseignement a globalement baissé ou augmenté au cours des 20 ou 40 dernières années appelle par ailleurs une réponse nuancée : l’évolution n’est pas la même dans toutes les matières ou domaines d’apprentissage. Toutefois, il ne fait guère de doute que le niveau actuel ne répond pas aux principaux défis et attentes de la société.
Ainsi, à la fin de l’enseignement obligatoire, les connaissances porteuses de « citoyenneté critique » présentent de grandes lacunes chez beaucoup d’élèves. Les enquêtes de l’Aped (2008, 2015, 2019) auprès de plus de 3 000 élèves du troisième degré dans plus de 100 écoles secondaires (flamandes et francophones) l’illustrent à chaque fois. Par exemple, un diplôme d’enseignement secondaire ne garantit pas que l’on sache par quel pays le Congo a été colonisé, et encore moins que l’on comprenne quel rôle l’exploitation du Congo a joué dans le développement économique de la Belgique. Nombreux sont les élèves qui ne savent pas d’où vient la population noire des États-Unis, si le christianisme existait avant l’islam, si l’empreinte écologique d’un Belge est plus importante que celle d’un Chinois…
Par ailleurs, notre système éducatif produit de nombreux analphabètes technologiques. Rares sont en effet les jeunes qui reçoivent une formation technique polyvalente.
Enfin, une partie des jeunes ne sait pas lire et calculer suffisamment pour être autonome dans la société actuelle. Selon PISA, plus de 15% des élèves belges n’atteignent pas le niveau de base requis.
Outre de nombreux analphabètes politiques et technologiques, notre enseignement obligatoire produit donc aussi un groupe considérable de (quasi) analphabètes tout court. Que le niveau ait baissé ou augmenté au cours des dernières décennies, il reste beaucoup à faire pour fournir à tous les jeunes les connaissances et les compétences nécessaires pour comprendre le monde.
Il n’y a jamais eu autant de diplômes et pourtant le niveau a baissé ?
La génération actuelle d’élèves et d’étudiants atteint un niveau moyen d’éducation plus élevé que jamais. Au début du siècle dernier, à peine un jeune belge sur cinq terminait l’école primaire. Aujourd’hui, plus de 85% obtiennent un diplôme ou un certificat d’enseignement secondaire supérieur et plus de 60% entament des études supérieures.
Pourtant, il est tout aussi possible que le niveau de nombreuses matières dans un domaine d’étude similaire soit plus bas aujourd’hui qu’il y a 30 ou 50 ans. Le sociologue français Jean-Pierre Terrail (dont vous lirez un article dans ce dossier) décrit ce paradoxe : « Le système d’enseignement français se porte mal. Certes, depuis 1985, le taux de bacheliers est passé de 35 à 80 % d’une classe d’âge. Mais, dans le même temps, le niveau des élèves, mesuré à la sortie du primaire ou du collège, n’a cessé de se dégrader. Selon le service d’études du ministère, à l’entrée en sixième, les performances en calcul des bons élèves de 2017 atteignaient celles des élèves moyens de 1987; alors que la proportion d’élèves faisant plus de quinze fautes à la même dictée est passée de 25 à 60 %, la compréhension d’un texte écrit étant corrélée à près de 60 % aux capacités orthographiques. »[1]
On retrouve en Belgique nombre des phénomènes décrits par Terrail. Même si nous manquons de données statistiques provenant de nos ministères de l’éducation, il existe des indications indubitables d’une baisse du niveau de l’enseignement obligatoire dans plusieurs matières ou domaines d’apprentissage. Et il serait injuste d’en imputer la responsabilité à la seule prolongation de l’enseignement obligatoire jusqu’à 18 ans, cette mesure remontant à 40 ans déjà.
Des signes indéniables de baisse des normes dans de nombreux domaines
Les signaux d’alarme concernant la baisse du niveau de l’enseignement flamand sont devenus plus forts, surtout ces dernières années. En 2004, le titre de la note de politique générale du ministre Vandenbroucke était encore « Aujourd’hui champion en maths. Demain champion en matière d’égalité des chances ». Lors de la première enquête PISA (2000), les scores moyens des élèves flamands, en particulier pour la « culture mathématique », étaient parmi les plus élevés d’Europe, presque à égalité avec la Finlande, qui obtenait toutefois de bien meilleurs résultats en termes d’écarts sociaux entre les écoles et entre les élèves. Dans les enquêtes PISA ultérieures (2003, 2006, 2009, 2012, 2015, 2018), le système éducatif flamand a chaque fois obtenu de moins bons résultats en termes relatifs (dans le classement entre pays ou régions) et en termes absolus (nombre moyen de points). On constate une diminution assez importante du pourcentage des meilleurs résultats et une augmentation limitée du pourcentage d’élèves obtenant des résultats inférieurs au niveau de base. Certains y voient un nivellement, bien entendu un nivellement par le bas.
Les dernières éditions d’autres enquêtes internationales comparatives telles que TIMSS (arithmétique chez les élèves de 10 ans) et PIRLS (lecture chez les élèves de 10 ans) ont suscité un malaise encore plus grand quant aux performances flamandes.
En principe, les « Vlaamse peilingen » ou sondages flamands (échantillons organisés par le département de l’éducation auprès des élèves de l’enseignement primaire et secondaire) fournissent une image plus fiable que les enquêtes internationales, car ils se basent sur les « Vlaamse eindtermen » (objectifs de résultats flamands), identiques pour toutes les écoles. Ces Vlaamse peilingen renvoient une image plutôt sombre. D’une part, parce qu’il apparaît que des parties importantes des « eindtermen » – qui ont le statut d’objectifs minimaux – ne sont acquises que par une minorité d’élèves. Un test sur le français en sixième année de l’enseignement primaire (2018) a révélé que moins de la moitié des élèves atteignent les objectifs minimaux en lecture et en expression orale. D’autre part, parce que la tendance générale est à la baisse. Des tests sur les mathématiques en sixième année primaire ont été réalisés en 2017 et en 2021, avec à chaque fois des résultats inférieurs aux éditions précédentes. Le sondage 2021 pour PAV (« project algemene vakken » ou « projet formation générale ») dans le troisième degré du BSO (enseignement professionnel) était également plus mauvais que les précédents, qui présentaient déjà un niveau très bas. Notons au passage que chaque sondage confirme que l’origine sociale est le meilleur prédicteur de résultat.
Depuis 30 ans, le professeur Vanneste (Université d’Anvers) fait passer des tests de « français » aux étudiants au début de la « philologie romane ». Ses conclusions sont sans équivoque: les élèves, pourtant issus de l’enseignement général (ASO), parlent, écrivent et comprennent systématiquement moins bien le français. La connaissance du français semble également s’être détériorée chez bon nombre d’enseignants flamands. Selon certains, l’accent excessif mis sur les compétences et la négligence de la grammaire sont à l’origine de ce déclin général, mais des facteurs extérieurs à l’éducation (la diminution de l’importance sociale accordée au français et, plus précisément, dans la culture des jeunes) jouent peut-être un rôle plus important. L’importance sociale des langues classiques (latin et grec) a également diminué, ce qui se traduit par une réduction des heures et des exigences.
Des changements et des progrès aussi
Outre les signes indéniables de déclin, il existe également des domaines où les niveaux ont augmenté. Ou, lorsqu’il y a des changements dans les deux directions, qui incitent à la prudence dans les déclarations générales.
Si la connaissance du français a diminué, la maîtrise de l’anglais est meilleure parmi la jeune génération d’aujourd’hui qu’il y a quelques décennies.
Le fait que les étudiants d’aujourd’hui (et du futur proche) acquièrent plus de connaissances et de compétences en informatique ne nécessite aucune explication non plus.
Par rapport à voici 50 ou 60 ans, les programmes de géographie, d’histoire et de sciences naturelles dans l’enseignement primaire sont mieux développés et les enseignants mieux formés, ne serait-ce que parce qu’ils ont maintenant une formation (bachelier) en trois ans, alors que les instituteurs obtenaient autrefois leur diplôme à 19 ans. Pour ces matières, des améliorations de contenu ont également été apportées dans l’enseignement secondaire. Les cours d’histoire devraient enseigner moins de matière inutile sur les dynasties royales, laissant plus de place à une perspective globale et à une approche critique (par exemple du colonialisme). Il est (presque) impensable aujourd’hui que les cours de biologie n’abordent pas la théorie de l’évolution, alors qu’elle était autrefois taboue dans de nombreuses écoles (catholiques).
La plupart des élèves d’aujourd’hui ne sont plus aussi doués qu’avant pour le calcul mental, mais l’introduction des calculatrices électroniques a également permis un gain de temps
pour traiter des questions plus complexes. Par exemple, en statistiques, un domaine maintenant couvert de manière plus approfondie qu’auparavant. Dans les domaines d’études comportant beaucoup de mathématiques, il y a eu des changements limités dans les composantes du programme, mais le niveau est probablement resté globalement le même.
Si la reconnaissance sociale était le seul facteur prédictif du niveau, les matières dites « STEM » (« science, technology, engineering, and mathematics », considérées comme centrales dans les sociétés à technologies avancées) devraient obtenir de meilleurs résultats aujourd’hui qu’il y a 10 ou 20 ans. Après tout, il y a une campagne de promotion pour les « STEM » depuis plusieurs années. La technologie bénéficie depuis peu d’une attention accrue dans l’enseignement primaire et dans la première année du secondaire, mais elle reste globalement le parent pauvre de l’école. La pénurie d’enseignants des matières techniques et de maîtres en mathématiques, physique, chimie… hypothèque l’augmentation du niveau présent dans certains nouveaux « eindtermen ». Il est également paradoxal que les options les plus exigeantes du TSO (enseignement technique) aient vu leur nombre d’élèves diminuer malgré les campagnes estampillées STEM.
On le voit, une analyse sérieuse, par sujet et par discipline, est nécessaire, avant de s’exprimer sur l’évolution du niveau de l’enseignement. Toutefois, il y a suffisamment de signaux d’alarme pour que nous nous interrogions sur les causes de l’évolution négative dans un certain nombre de domaines et sur les remèdes possibles.
Crise économique et austérité
La baisse du niveau d’éducation dans de nombreux domaines n’est pas un problème spécifiquement belge. Les mêmes phénomènes sont présents dans tous les pays de l’OCDE. Comme le souligne Nico Hirtt (voir entre autres son article dans ce numéro), la crise économique à partir de 1974, après une période exceptionnellement longue de croissance économique – les fameuses « 30 glorieuses », joue un rôle crucial pour comprendre certaines évolutions de la politique d’éducation.
Entre 1950 et 1980, le budget de l’éducation dans notre pays est passé de 3 à 7 % du PIB. Cela s’est accompagné d’une forte augmentation de la participation à l’enseignement secondaire et supérieur, d’une amélioration de la formation des enseignants et de la qualité de l’enseignement dans de nombreux domaines. Avec quelques années de retard, la crise économique de 1974 s’est traduite par d’importantes coupes dans l’enseignement. Après 1980, le budget de l’éducation est tombé à 6 % du PIB, soit une baisse relative importante, alors que le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur avait presque doublé. Les coupes laissent des traces profondes, jusques et y compris dans le niveau de l’enseignement.
La tâche des enseignants s’est alourdie : il y a plus de pauvreté infantile; il y a plus d’enfants qui ne parlent pas la langue d’instruction à la maison; en général, les enseignants doivent assumer plus de tâches « parentales ». Il y a également, dans l’enseignement ordinaire, plus d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage et des besoins spécifiques. Tous ces facteurs plaident en faveur d’un dédoublement des classes surchargées… comme on le faisait il y a 40 ans. Mais chaque ministre répète que cela n’est pas possible d’un point de vue budgétaire.
Plusieurs études (Ignace Glorieux, VUB ; Cindy Moons et Ralph Caers, KU Leuven) montrent que la pression du travail, le stress, les plaintes psychosociales et le nombre de burn-out dans l’enseignement flamand ont augmenté. Tous ces phénomènes ne sont pas propices à la qualité de l’éducation. Les propositions de la ministre Crevits en 2018 pour un pacte de carrière avec un travail « réalisable » se résumaient au fait qu’elles seraient payées en donnant à une grande partie des enseignants du secondaire 1 ou 2 heures de cours supplémentaires…
L’analyse des entrées dans les écoles normales et des diplômes des enseignants en poste montre que l’enseignement attire moins de profils forts, plus souvent des « seconds choix ». Le ministre Weyts affirme n’avoir jamais rencontré un enseignant qui souhaite gagner 50 euros de plus par mois. Mais l’attrait d’un salaire supérieur hors enseignement est un facteur révélateur de la pénurie de maîtres en mathématiques, en physique, en informatique, en français…
Dans l’enseignement supérieur, le financement par enveloppe (introduit à partir de 1996 par le ministre Van Den Bossche) a empêché de suivre l’augmentation du nombre d’étudiants. Les coupes ont bel et bien un impact direct sur la qualité.
Les conséquences néfastes de l’ « apprentissage fondé sur les compétences »
La crise économique aiguise la concurrence capitaliste. La croyance selon laquelle le développement technologique et la croissance économique exigent des niveaux de compétences toujours plus élevés bouleverse tout sur son passage. L’incertitude et l’imprévisibilité conduisent à plus de flexibilité et de polarisation sur le marché du travail. Dans ce nouveau contexte, on n’attend plus de l’enseignement qu’il fasse progresser tout le monde, mais plutôt qu’il dispense une éducation plus sélective avec moins de ressources, en fonction des besoins d’un marché du travail polarisé. De puissantes organisations internationales au service du grand capital, telles que l’OCDE, la Banque mondiale, l’Union européenne, la Table ronde européenne (50 grandes multinationales européennes) élaborent des plans dans ce sens. Le traité de Lisbonne de l’Union européenne (2000) donne explicitement à l’enseignement un rôle à jouer pour faire de « l’Europe l’économie de la connaissance la plus innovante et la plus compétitive du monde ». L’Union européenne définit huit « compétences clés » afin d’aligner les programmes d’enseignement sur un socle commun de « compétences de base » dont chaque futur travailleur et citoyen a besoin pour maintenir son employabilité à vie. Cette approche par compétences heurte de front l’idéal d’une éducation émancipatrice.
Dans l’enseignement francophone, le ministre Elio Di Rupo a présenté les recommandations européennes autour de « l’approche par compétences » dès le début des années 1990 à des pédagogues universitaires de premier plan, dont le professeur Marcel Crahay, qui sera un pionnier en la matière (avant de prendre des distances critiques). En 1997, la ministre Laurette Onkelinx a explicitement inscrit l’approche par compétences dans le décret « Missions ».
Dans l’enseignement flamand, l’introduction a été plus lente et plutôt insidieuse. Dans les textes politiques des 20 dernières années, l’apprentissage basé sur les compétences est toujours mentionné quelque part. Selon le décret sur les objectifs éducatifs (« einddoelen ») (2018), les nouveaux « eindtermen » doivent être « fondés sur les compétences ». La relativisation de l’importance des connaissances au profit d’un discours vague et ambigu autour des « compétences transversales » s’est glissée dans certains (anciens et nouveaux) objectifs de réussite, dans certains programmes d’études, dans le discours et les recommandations de certains formateurs d’enseignants, inspecteurs ou superviseurs pédagogiques.
Récemment, une critique explicite du relativisme des connaissances et des « compétences sans contenu » peut être entendue tant dans l’enseignement francophone (par exemple, dans les textes initiaux du Pacte d’excellence) que dans l’enseignement flamand (par exemple, dans le rapport Brinckman). Mais les dégâts sont importants, surtout dans l’enseignement francophone.
Courir derrière des « hypes », cultiver les mythes
L’approche par compétences a parfois été encouragée par des pédagogues qui cherchaient des solutions à des problèmes réels – comment accroître la motivation des élèves? ; comment faire en sorte que les élèves puissent appliquer les connaissances ? – mais qui se trompaient de cible. On s’est mis à confondre le sens critique et les faits avec le relativisme des connaissances, l’empathie pour l’apprenant défavorisé avec le laxisme et le manque d’exigence. Sans le vouloir, on a contribué à un nivellement par le bas.
Toutes sortes d’exagérations et de mythes se sont répandues dans le monde de l’éducation au cours des dernières décennies. Elles n’ont cependant pas résisté à l’épreuve de la recherche et de la pratique scientifiques. Citons :
- Le mythe des « compétences du XXIe siècle » ou des compétences génériques (lire à ce sujet la chronique « échos de la recherche, d’Olivier Mottint);
- Le mythe des styles d’apprentissage (qui obligent les professeurs à individualiser l’enseignement de manière irréalisable);
- Le mythe des « intelligences multiples »;
- Les attentes exagérées autour de l’apprentissage par la « découverte de soi », l’individualisation, la différenciation …
Les travaux critiques des pédagogues Pedro De Bruyckere, Paul Kirschner, Tim Surma… sont utiles à cet égard.
Propositions visant à relever le niveau
D’autres perspectives sont possibles. S’il faut élever le niveau, nous pouvons nous référer au programme de l’Aped. Je me limiterai ici à en livrer un bref résumé.
a. Promouvoir une vision émancipatrice de l’éducation
La génération actuellement scolarisée sera confrontée à de grands défis sociaux. La mission fondamentale de l’école est de transmettre à tous ces jeunes les connaissances, les idées, les compétences et les valeurs nécessaires pour comprendre le monde dans toutes ses dimensions et s’engager en faveur d’une société durable et juste. Cette vision exige de l’ambition : nous voulons un enseignement polyvalent et de haut niveau pour tous les jeunes.
b. Davantage de ressources pour l’éducation
Une augmentation du budget de l’éducation de 6% du PIB à 7% (comme il y a 40 ans), ou même 8%, est nécessaire pour répondre aux besoins. Une augmentation de 2% du PIB signifie 9 milliards d’euros supplémentaires pour l’enseignement flamand et francophone. Cela permettrait de résoudre la pénurie d’enseignants et de capacités, de fournir davantage de soutien (classes plus petites, école ouverte, etc.), d’augmenter les chances de réussite et le niveau d’enseignement.
c. Des attentes élevées pour tous les élèves, dans des écoles socialement mixtes
Il est essentiel de fixer des attentes élevées aux élèves. Mais c’est quasi impossible dans des écoles-ghettos de pauvres. C’est pourquoi des mesures structurelles contre la ségrégation sociale sont nécessaires : une politique d’inscription qui garantisse à chaque enfant une place dans une école facilement accessible et socialement mixte ; l’extension d’un vrai tronc commun et son organisation dans une école physiquement séparée de l’école supérieure (avec des filières différentes) ; la coopération entre les réseaux en vue d’une école publique pluraliste…
d. Promouvoir des pratiques pédagogiques et didactiques qui améliorent le rapport au savoir et à l’École
e. Plus de temps scolaire et des équipes multidisciplinaires dans une école ouverte
Disposer d’assez de temps est une condition préalable à l’inclusion de tous les élèves au processus d’apprentissage. Le temps d’instruction doit augmenter (beaucoup d’heures d’enseignement ont été perdues à cause de la covid, de la pénurie des enseignants, des périodes d’examen trop longues). En dehors du temps de classe, l’école peut offrir une gamme d’activités – soutien à l’apprentissage (salle d’étude, cours d’été, tutorat…), sports et jeux, art et culture, ateliers de technique et d’expérimentation, exploration de la nature… – menées par des équipes pluridisciplinaires.
- JP. Terrail, Faut-il avoir peur des neurosciences?, Le Monde Diplomatique, Manière de voir, Les combats de l’école, juin-juillet 2021. ↑