Le débat sur les rythmes scolaires passe, une fois de plus, à côté des questions essentielles. Entre ceux qui prétendent préserver les enfants d’un prétendu excès d’heures scolaires et ceux qui redoutent l’impact économique des changements, nul ne semble s’interroger sur la relation entre le temps scolaire (son ampleur, son usage) et les objectifs d’éducation, d’instruction et de formation.
Le monde dans lequel nos élèves devront vivre est de plus en plus vaste, de plus en plus complexe. Les crises récentes, du Covid à l’Ukraine, du dérèglement climatique à la précarité énergétique, du terrorisme aux flux migratoires… illustrent de façon récurrente combien sont vastes les savoirs requis par une citoyenneté véritablement consciente et critique. De ce point de vue là, le temps d’école ne devrait certainement pas être réduit, mais augmenté considérablement.
D’autre part, l’école n’a pas que des missions d’instruction : elle doit aussi éduquer, socialiser, cultiver les valeurs et les comportements nécessaires à une société solidaire, juste et pacifiée. Et cela aussi prend du temps.
Il y a bien longtemps, l’instruction et l’éducation des enfants étaient assurées dans de grandes familles rurales, où plusieurs générations s’occupaient collectivement des plus jeunes. La famille réduite à un père et une mère n’a jamais été une réelle alternative à cette forme ancestrale d’éducation. Aujourd’hui, elle est définitivement disqualifiée par le travail des deux parents, les horaires flexibles et l’instabilité des ménages. Plus que jamais, l’École est la seule instance capable de prendre le relais, capable, si on lui en donne les moyens, de devenir la nouvelle grande collectivité éducative du XXIe siècle.
Voici donc quels devraient être les termes du débat sur les « rythmes scolaires ».
Comment transformer l’École en une collectivité où l’éducation et l’instruction seront intégrées dans le processus même de la vie scolaire ? Comment poursuivre à la fois une éducation complète et une pédagogie liant l’éducation au travail, capable de favoriser un rapport positif à l’école et aux savoirs scolaires ?
Comment faire de l’École un véritable lieu de vie pour les élèves, où ils pourront prendre leurs repas froids et chauds dans de bonnes conditions, où ils trouveront de vrais lieux de détente, d’expérimentation et de découverte (ateliers, théâtres, potagers, équipements sportifs, etc.), où ils collaboreront aux tâches de la vie quotidienne (entretien et embellissement des bâtiments, nettoyage, cuisine, encadrement des plus jeunes par les aînés ) et où des adultes seront présents et disponibles pour les écouter et les guider ?
Comment permettre à l’école de s’ancrer dans la vie de son quartier, de son village, dans ses traditions, ses préoccupations citoyennes, politiques, écologiques…? Comment lui donner le temps et les moyens d’associer réellement les parents à la vie scolaire ?
Comment assurer que tous bénéficient, à l’école, de l’encadrement individuel si indispensable, mais dont certains seulement profitent aujourd’hui, grâce à leurs parents ou grâce à de coûteux services privés de soutien scolaire ? Comment faire en sorte que les devoirs et leçons puissent être faits en classe, avec l’aide de personnel qualifié, après un bon goûter et une activité de détente sportive ?
Comment faire tout cela sans nuire au temps d’instruction proprement dit mais, au contraire, en mettant à profit l’expérience et les découvertes de la vie quotidienne pour nourrir une pédagogie solide ?
En un mot, comment créer une « école ouverte » ? Ouverte en dehors des heures de cours, ouverte en soirée, le week-end, le mercredi et durant les congés scolaires. L’école ouverte aux enfants, aux parents, aux associations, aux activités variées, à la vie locale…
A l’aune de ces questionnements-là, qu’ils nous paraissent médiocres, les débats actuels sur les rythmes scolaires !