Ce samedi 20 novembre, quelque 300 personnes ont participé aux « 6h pour l’école démocratique ». Nous avions 400 inscrits, mais probablement le retour de la vague Covid a-t-il découragé certains. Cela reste néanmoins un grand succès. Tous ont salué la qualité de la petite trentaine d’ateliers et de conférences constitutives de cette journée. Sans parler de l’excellent buffet préparé par des bénévoles.
Sur le temps de midi, nous avons eu droit à des prises de paroles de la part de Philippe Meirieu (Université Lyon) et de Ides Nicaise (KULeuven) dont le discours sera publié ici sous peu. L’enregistrement audio des deux ateliers avec Philipe Meirieu sera également disponible bientôt, ainsi que certains comptes rendus d’ateliers et/ou documents powerpoint utilisés dans ces ateliers.
Nico Hirtt, président de l’Aped s’est également adressé aux participants lors de la séance plénière. Voici le texte de son intervention :
Il arrive souvent, lors de conférences ou de colloques, que l’on nous demande : « Qu’est-ce qui différencie donc l’Aped, l’Appel pour une école démocratique, d’autres mouvements et associations actifs dans le domaine de l’éducation ? ». L’essentiel de la réponse à cette question tient dans la formule qui constitue le sous-titre de cette journée : « Ambition et équité pour l’éducation ». Plus précisément, la spécificité de l’Aped réside dans le tout petit deuxième mot de cette formule, le mot « ET ».
Comme beaucoup d’autres, nous sommes très attachés à la lutte contre les inégalités sociales à l’école, particulièrement dans notre Royaume de Belgique, où la ségrégation sociale scolaire, les écarts d’apprentissages entre enfants du peuple et enfants des classes favorisées, constituent l’une des grandes caractéristiques communes à la Flandre, à Bruxelles et à la Wallonie. Oui, nous sommes de ceux qui luttent ardemment contre ces inégalités scolaires, mais peut-être sommes nous un peu plus attentifs que d’autres à ce que ce combat pour un accès équitable aux savoirs ne se fasse pas au prix d’un abandon des ambitions cognitives, au prix de ce que certains appellent un « nivellement par le bas ».
Comme beaucoup d’autres, nous voyons avec inquiétude les savoirs solides et structurés remplacés par de vagues compétences ; nous avouons notre crainte de voir reculer les exigences de rigueur, de voir dénigrer les vertus de l’effort. Mais contrairement à nombre de ceux qui tiennent ce discours-là, nous ne tombons pas dans le piège de considérer cette baisse des ambitions comme une conséquence inévitable de la massification ou de la démocratisation de l’enseignement. Nous sommes au contraire fermement persuadés de l’éducabilité de tous les enfants ; persuadés que tous sont capables, pour autant que l’école comme institution en ait les moyens et en ait la volonté.
Remarquez bien que cette vision d’une école à la fois ambitieuse et équitable, c’est-à-dire ambitieuse pour tous, n’est pas du tout évidente. Elle constitue un choix politique, indissociable de notre vision de la société et du rôle que peut y jouer l’éducation.
En effet, celui qui considère les rapports économico-politiques qui gouvernent le monde actuel comme étant parfaits, ou simplement nécessaires ou même regrettables mais malheureusement immuables, celui-là peut fort bien se satisfaire d’une école qui reproduit la hiérarchie sociale par la hiérarchie des savoirs qu’elle transmet.
Mais nous, voyez vous, nous pensons que d’autres rapports sociaux sont non seulement possibles mais urgemment nécessaires. Les inégalités nord-sud, la pauvreté croissante chez nous, les catastrophes environnementales et climatiques, les menaces de guerre, les famines, la raréfaction des ressources, sans parler des crises sanitaires… Des centaines de feux d’alerte sont au rouge et nous pressent de changer le monde. Ou plutôt, pour en revenir à notre mission d’enseignants et d’éducateurs, ils nous pressent de donner aux générations futures les armes qui LEUR permettront de changer le monde. Si les jeunes qui se trouvent aujourd’hui sur les bancs des écoles doivent, demain, conquérir des rapports économiques et sociaux respectueux d’un partage démocratique du pouvoir, s’ils doivent participer de façon consciente et responsable à un pouvoir démocratique, alors il faut que tous accèdent aux savoirs variés et complexes qui permettent de comprendre le monde dans toutes ses dimensions — technologique, scientifique, économique, sociale, historique, culturelle, artistique…
Durant des siècles, les classes sociales dominantes ont réservé à leurs propres enfants l’accès aux connaissances qui caractérisent ce que l’on a appelé une éducation « classique » : l’histoire, la géographie, l’économie, la philosophie, la littérature, les sciences, les mathématiques et les arts. Certes, ces savoirs avaient pour partie une fonction symbolique, une fonction de distinction sociale. Mais c’étaient également des savoirs efficaces, des savoirs de gouvernance, des savoirs permettant d’exercer leur pouvoir de manière rationnelle et réfléchie, en fonction de leurs intérêts.
Il nous est dès lors difficile d’imaginer qu’un véritable partage démocratique du pouvoir serait possible sans que l’on se donne les moyens de faire accéder TOUS les citoyens à ces savoirs-là. En y ajoutant toutefois une dimension résolument polytechnique, indispensable à la compréhension des rapports de production, de ce travail productif de richesses matérielles et immatérielles, qui constitue le fondement de la société.
Ce n’est évidemment pas qu’une question de référentiels ou de programmes. C’est aussi une question de valeurs et de pratiques que l’on doit découvrir et exercer dans une école ouverte, conçue comme un lieu de vie collective. C’est aussi une question de structures : il n’y aura pas d’équité éducative si l’on continue de laisser le marché scolaire exacerber la ségrégation et la hiérarchisation sociales des établissements scolaires ; si l’on continue de sélectionner et d’orienter les élèves de façon précoce. C’est encore une question de pratiques pédagogiques, combinant les exigences d’explicitation et de construction des savoirs. C’est enfin une question de moyens, de taille des classes, de locaux, d’encadrement…
Tels sont les combats que mène l’Aped et que je vous invite à rejoindre. En 2020, peu avant que n’éclate la première vague de la pandémie actuelle, nous avons lancé notre campagne intitulée justement « Ambition et équité pour l’éducation ». Vous trouverez des informations à ce sujet dans la farde qui vous a été remise à l’entrée ainsi que sur notre site internet. Je vous invite à nous aider en faisant circuler la pétition et les textes explicatifs, à vous affilier et à rejoindre les activités de l’une de nos régionales.
Mais peut-être craignez-vous, ce faisant, de vous faire embrigader dans une organisation qui n’est pas tout à fait neutre ? Eh bien oui, nous l’avouons bien volontiers, l’Aped revendique son ancrage dans le camp de ceux qui veulent changer le monde, son ancrage aux côtés de tous ceux qui souffrent des rapports sociaux actuels. Nous ne sommes assurément pas une organisation neutre, mais une organisation engagée. Certes, un enseignant peut et doit sans doute tenter de respecter une neutralité dans ses cours, face aux élèves. Mais une vision de l’éducation, de ses contenus, de ses structures, de ses moyens, une vision de la pédagogie, ne peut jamais être neutre, au risque d’être inconsistante, voire mensongère.
Notre vision, cette ambition éducative équitable, cette équité ambitieuse si vous préférez, c’est ce que nous appelons simplement l’école démocratique. L’école qui rend possible une vraie démocratie.
Je vous remercie.