Les évaluations sont un moment délicat de notre travail d’enseignant. Parfois, c’est très clair. Il y a 10 questions d’importance équivalente, on met des points sur 20, 2 points par question… Mais dans la plupart des cas, ce n’est pas aussi clair. Une évaluation bien menée doit avant tout aider les élèves à se situer et surtout à remédier aux lacunes.
Cet article a été initialement publié dans L’École démocratique, n°86, juin 2021 (pp. 18-19).
Un chiffre dans une colonne
Dans mon établissement, au bulletin, on me demande juste de mettre une cote sur 40 dans une colonne, sans nuances, sans remarques. Un chiffre par semestre, dans un cours pratique comme « infographie », c’est totalement absurde.
Qui évalue encore comme ça ? Juste une cote sur 40 pour témoigner des savoirs et savoir-faire d’un élève ? Longtemps, ma cote sur 40 reflétait davantage le travail effectué en classe, l’effort fourni, la progression que le résultat final. Les élèves étaient informés que dans un cours pratique, il s’agissait de travailler en classe, accompagnés et corrigés au fur et à mesure par mes soins. Rendre uniquement des travaux bien faits n’était pas suffisant.
Et puis, les certifications par unités (CPU) sont arrivées pour certaines sections de mon établissement. Avec des grilles d’évaluation des compétences longues à mourir, qui ne correspondaient pas vraiment à ma manière d’évaluer. Les « productions » des élèves étaient au centre de l’évaluation alors que je faisais davantage attention au travail effectué, au chemin parcouru. Dans mon cours, même si le résultat final était moyen, un élève pouvait avoir de très bons résultats juste parce qu’il avait compris pourquoi son travail était moyen et trouvé comment y remédier.
Ma direction faisait de l’excès de zèle. Notre section n’était pas soumise à la CPU mais on nous avait fabriqué des grilles d’évaluations compliquées et mal fagotées, ceci pour que toutes les sections de l’école fonctionnent pareil. Mais au final… toujours ce chiffre sur 40. Il n’y avait pas de volonté de changer les bulletins.
La vie en classe continuait pourtant comme avant, c’est à dire que lorsque je voyais un élève en difficulté, je discutais le coup avec lui et lui suggérais des pistes pour mieux apprendre. Ces conversations et les remarques faites sur les travaux restaient le cœur de mes évaluations. C’est aussi par essais-erreurs que mes élèves apprenaient à travailler comme des graphistes professionnels. Et au bout… un chiffre sur 40 à fournir. Combien valaient les erreurs et la progression de tel élève ? Allais-je sanctionner tel autre alors qu’il était préoccupé de ne pas perdre son job étudiant et qu’il n’avait pas vraiment eu la tête à ce qu’il faisait ce mois-ci ?
Pratiquer autrement
Un jour, il y a quelques années de cela, j’ai laissé tomber. J’ai construit un tableau de toutes les notions à connaitre pour la pratique de mon cours et de tous les travaux accomplis. J’ai demandé aux élèves de cocher au choix, à coté de chaque notion, dans 3 colonnes «je suis un peu perdu», «je me débrouille», «je maitrise bien» . Pas « acquis, en voie d’acquisition et non acquis » comme sur les horribles grilles fournies : cela ne veut rien dire, on est toujours en voie d’acquisition !
Je leur ai laissé le choix, à l’aide du tableau, de mettre eux-mêmes la cote sur 40. Je donnais mon avis, cela se discutait tous ensembles, tout le monde pouvait parler et, souvent, je faisais rajouter un ou deux points à la cote mise par certains élèves, trop sévères avec eux-mêmes. Parfois nous décidions de revoir ensemble une notion mal maitrisée.
De cette manière, les élèves apprenaient à porter un regard satisfait et/ou critique sur leur travail. J’avais une meilleure appréciation des difficultés rencontrées. Mon cours était aussi soumis à évaluation par les élèves. J’ai arrêté de me battre avec ces grilles qu’on m’imposait, j’y glissais les cotes mises par mes élèves. Le chiffre imbécile sur 40 continuait de régler la vie scolaire.
Secret des délibérations
Ces colonnes chiffrées s’accompagnaient d’un sacro-saint secret des délibérations. Je devais en effet, à chaque conseil de classe, signer un papier stipulant que je ne dévoilerais pas ce qui s’était dit lors de la réunion des enseignants. En gros, l’équipe pédagogique sanctionne mais ne prend pas la responsabilité d’expliquer clairement ce qui a mené au résultat final, qui a voulu une sanction et pourquoi. J’ai évidemment toujours préféré la transparence de cette autre école où je travaillais dans les années 1980. Là, les délégués des élèves assistaient aux conseils de classe. Comme quoi, il y avait moyen de fonctionner autrement. J’ai parfois soulevé le problème mais on m’a répondu qu’on avait toujours fait comme ça et que cela évitait que les élèves s’en prennent personnellement aux enseignants. C’était pitoyable mais j’ai signé le papier pendant 30 ans. Je devais la fermer. Je ne pouvais évidemment pas non plus encourager les élèves à introduire un recours. Secret des délibérations. Les écoles ont des pratiques très différentes !!!
Management par le chiffre
La cote, le management par le chiffre est au centre du fonctionnement de notre société de l’ultra compétition. Il est très difficile de sortir de cette logique, les chiffres semblent avoir un pouvoir absolu. Dans les études supérieures, les cours de management ont du succès, on y enseigne l’art d’ajouter aux chiffres une bienveillance de pacotille afin d’atteindre une productivité maximale. Peu importe si les cas de burn-out augmentent.
Mais dans nos écoles aussi, l’évaluation par le chiffre a tout envahi. Pour habituer les futurs travailleurs ? La joie de pouvoir apprendre, la victoire sur la difficulté et la marche vers le progrès sont relégués au second plan. Doit-on réellement continuer ainsi ? Rendre compte de la qualité d’un enseignement uniquement par des résultats chiffrés ? C’est pourtant ce « new management » qui est, plus que jamais, d’actualité dans nos écoles.