Parmi les urgences sociétales actuelles, la priorité des priorités, c’est la santé… mais à égalité avec l’éducation la grande oubliée de ceux et celles qui disent, à juste titre, à propos des causes profondes du Covid 19 : « Plus jamais ça, haro sur le capitalisme, ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal ».
Un détail est révélateur, caché comme un virus : c’est à l’école qu’on punit ceux qui portent assistance aux condisciples en danger d’échouer à un examen placé sous la toute puissance des profs (facile ou difficile, minuté ou non, aux réponses pondérées au pif etc.)
Tout cela se passe dans la plus grande indifférence, grâce même à l’adhésion des parents intoxiqués par un système où ils ont eux-mêmes été confinés et qui sont tout disposés à appliquer une double peine à leur propre enfant qui « triche » en aidant ; zéro, paf ! « Justice est faite, pas de place pour la complicité », vont-ils jusqu’à penser.
On apprend l’anti solidarité systématiquement de cette façon mais aussi par toutes sortes d’autres pratiques banales comme la méritocratie par l’octroi de récompenses ou de sanctions, la comparaison des performances, l’exclusion, l’humiliation, la culpabilité, la sacralisation de la vitesse, le harcèlement, la menace, la punition, le redoublement… puis on vante la solidarité en temps de crise tous les soirs à 20 h. Zim, boum, fraternité !
Quand donc un concert de casseroles pour féliciter les enseignants qui apprennent l’entraide, la créativité, la gratuité, la sobriété, la poésie, la lenteur, l’audace, la critique, le courage désintéressé bref, la vraie citoyenneté ?
Et, virus dans le gâteau scolaire, on paie les réponses aux examens arbitraires avec une fausse monnaie, les points dont le tripotage est monnaie courante.
Pire, l’école bancaire initie à la spéculation en désignant certaines matières comme plus ‘rentables’ que d’autres et en poussant à étudier surtout ce qui rapporte le plus de points pour SOI seul, et zut pour les autres.
La spéculation, pourtant, ravage la Terre. Oui, notre planète, abîmée pour l’argent, est devenue le berceau de pandémies, de famines, de guerres, de bouleversements climatiques mortels, d’incendies, de migrations pitoyables, de désespérance universelle et donc de traumatismes psychologiques immenses.
L’éducation est en mauvaise santé mais peu de gens en parlent… alors que si tous les citoyens du monde avaient appris profondément la solidarité et la créativité, (comme on réussit parfaitement à endoctriner jusqu’à la moelle des centaines de millions de gens avec des croyances sectaires, de sacrées carabistouilles qui formatent des martyrs kamikazes) on éradiquerait la CUPIDITE cette vicieuse qui détruit la vie en étouffant la fraternité mais que l’école distille sournoisement en toute impunité, toute complicité, toute inconscience souvent.
Que faire donc, mon bon monsieur ?
D’abord, bien entendu, clouer le bec à ce Caïn qui a osé : « Suis-je donc le gardien de mon frère ? »
Puis, mettre en place la pédagogie du chef-d’œuvre que j’ai initiée après mon objection de conscience aux examens notés en 1978, comme inspecteur. Site GBEN.
Celle-ci, au-delà de Decroly, Montessori, Freinet (…) propose une solide alternative à la carence culturelle d’une école généralement centrée sur le rendement ‘scolaire’ étroit et compétitif, sans cesse mesuré.
C’est une pédagogie écolocentrique.
La pédagogie du chef-d’œuvre montre surtout une dimension nouvelle à l’acte d’apprendre en installant le partage systématique des connaissances entre apprenants de tous niveaux : on élabore des savoirs qui ont du sens, certes seul puis en groupe pour soi-même, mais ici dans l’intention manifeste d’en faire bénéficier les autres. En enseignant / transmettant /faisant apprendre, on apprend soi-même deux fois tout en posant un acte citoyen de rencontre fraternelle si utile en temps de crise mondiale où l’égoïsme tue.
Mais, tous ensemble, nous pouvons guérir l’école.
Profiter du confinement, faire contre mauvaise fortune bon cœur
« De toute les écoles que j’ai fréquentées, c’est l’école buissonnière qui m’a paru la meilleure », a dit Anatole France ; j’ajoute : « inspirée par la pédagogie du chef-d’œuvre. » Plus de profs en direct, donc. La liberté !
Comment cela mon bon monsieur ?
En préparant chez soi, en duo complice (via l’internet déconfiné), des trucs qui intéresseront les copains retrouvés à la rentrée. Chiche ! On va les épater avec un gros exposé de deux heures au moins, devant toute l’école, les parents, la presse…
Si j’étais un élève bouclé à la maison (d’arrêt), je saurais bientôt tout sur Marco Polo et je serais prêt à passionner mon auditoire en interaction.
J’aurais confectionné une maquette du bateau de mon héros, une mappemonde en papier mâché, des cartes du XIIIè siècle.et j’aurais suggéré à mon complice d’en faire autant. Une vidéo dirait tout sur l’astrolabe. J’inventerais une saynète : la rencontre du marchand vénitien aventureux avec l’empereur Mongol. En littérature, je ferais la lecture à haute voix d’un passage de « Merveilles du Monde », je ferais brûler la poudre d’une cartouche, etc. etc.
Vivement le jour où nous pourrons présenter notre chef-d’œuvre pédagogique et nous soumettre au feu roulant des questions. Pour nous ce sera un plaisir de faire apprendre de l’histoire, de la science, de la géopolitique, de la musique chinoise, du graphisme exotique, de la poésie, des jeux, du théâtre… le tout indemne de concurrence, d’individualisme, de mesurage toxique.
Pour en savoir plus, un livre : « Du chef-d’œuvre pédagogique à la pédagogie du chef-d’œuvre », ouvrage collectif aux Editions ‘Chronique Sociale’, TB+,10/10.
Imprécations viscérales
Quand donc aurons-nous viré ces vicieux virus ?
Quand donc un revirement de vision ?
Quand donc virerons-nous de bord ?
Quand donc gémirons-nous d’avoir vécu comme nous vécûmes ?
Quand donc vivrons-nous mieux que nous nous vîmes vivre ?
Nous pouvons faire chorus avec le pédagogue Philippe Meirieu à la prose délicieusement anaphorisiaque :
« On n’a jamais autant parlé de solidarité : va-t-on, enfin, promouvoir une véritable pédagogie de la coopération ? On n’a jamais autant évoqué le bien commun : va-t-on, enfin, se rendre compte que, pour accéder à la conscience du bien commun, toutes les pratiques pédagogiques ne se valent pas ? On n’a jamais autant évoqué la nécessité de prendre soin des autres : va-t-on, enfin, faire de l’entraide une valeur cardinale de notre École et la substituer à la concurrence mortifère ? On n’a jamais autant dit que notre avenir ne pouvait être pensé qu’à la dimension de notre « Terre-Patrie » : va-t-on, enfin, faire de l’écologie autre chose qu’un
« supplément d’âme », raccordé tant bien que mal aux programmes canoniques ? »
Si chaque prof soigne bien sa classe, l’école guérira.
Ermeton-sur-Biert, B 5644, le 20 avril 2020