Le SEGEC (secrétariat général de l’enseignement catholique) a lancé une campagne intitulée « un enfant = un enfant » pour exiger que les écoles « libres » soient financées comme les écoles officielles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. S’il est effectivement regrettable que tous les enfants ne jouissent pas des mêmes conditions d’enseignement, la solution ne réside certainement pas dans le renforcement du quasi-marché scolaire. Marché qui est la raison d’être du SEGEC, marché que le « Pacte d’excellence » se refuse à contrer, marché que le MR veut encore renforcer…
Avant toute chose, clarifions ceci : l’Aped n’éprouve aucune animosité envers les élèves, les parents ou les professeurs de l’enseignement « libre » catholique. Nombre de nos militants, dont l’auteur de cet article, y travaillent ou y ont travaillé.
Nous ne croyons pas non plus aux fables contradictoires selon lesquelles l’enseignement « libre » serait globalement meilleur ou pire que l’enseignement officiel. Nous savons trop bien que ce que l’on appelle couramment les « bonnes écoles » ce sont d’abord celles qui, pour diverses raisons, concentrent les « bons élèves », entendez ceux qui ont la chance de jouir de tous les encadrements et aides nécessaires. Vous trouverez autant de profs (et d’élèves) formidables dans des « écoles poubelles » que dans les collèges ou athénées les plus prestigieux. Et aussi le même pourcentage de catastrophes pédagogiques ambulantes (et des gosses insupportables).
Le marché scolaire, première source d’inégalités
Oui, bien sûr, « un enfant = un enfant ». Mais quelles sont donc, aujourd’hui, les plus grandes différences entre élèves et entre écoles ? Ce ne sont pas celles qui séparent l’enseignement « libre » de l’enseignement officiel, mais celles qui séparent, à l’intérieur de chaque réseau, les enfants et écoles selon l’origine sociale. Le SEGEC croit-il vraiment que les enfants de l’institut Sainte Misère-des-Pauvres et ceux du Collège Notre-Dame-des-Grandes-Fortunes soient « égaux » ? C’est-à-dire instruits, formés et éduqués dans les mêmes conditions matérielles, humaines et pédagogiques ?
C’est précisément parce qu’un enfant n’est pas, aujourd’hui, égal à un autre enfant que nous combattons les mécanismes, les comportements et les structures qui engendrent de la ségrégation académique, sociale, ethnique, religieuse ou culturelle. Avec 50% d’enfants en « écoles ghettos », nous sommes en FWB les recordmen de cette ségrégation. Et la cause majeure en est connue : bien plus que les facteurs résidentiels, il s’agit du quasi-marché scolaire.
Or, le SEGEC, par sa volonté de renforcer le réseau libre, constitue l’un des plus puissants défenseurs du système de marché scolaire. Si ces patrons du « libre » pensaient vraiment qu’un enfant = un enfant, alors ils défendraient la fusion de l’enseignement en un seul réseau, c’est-à-dire la transformation des écoles « libres » en écoles publiques, subventionnées au même niveau que l’officiel en échange de la cession de leurs bâtiments à l’État.
Mais le SEGEC veut le beurre et l’argent du beurre. D’une part la liberté totale pour ses écoles, sans guère de contrôle public et la pleine propriété de ses bâtiments (pourtant entretenus et agrandis depuis des décennies avec de l’argent public). D’autre part un financement généreux de cette école privée avec l’argent des impôts de tous.
Un réseau libre subventionné à 50% ou à 95 % de l’Officiel ?
L’argument principal avancé par le SEGEC est assez douteux. Il clame haut et fort que ses écoles touchent 50% de moins par élève que les écoles de la FWB. Les citoyens et les parents mal informés sont outrés, choqués. Mais le SEGEC omet soigneusement de préciser qu’il ne parle là que des subventions de fonctionnement. Les subventions-traitements, quant à elles sont tout à fait identiques dans tous les réseaux. Or, les traitements représentent 90% du coût d’un élève. En d’autres mots, le « déficit » de financement de l’enseignement catholique par rapport à celui de la FWB est seulement de 5% et non de 50%. Un élève d’une école catholique coûte à la collectivité 95% de ce que coûte un élève du réseau de la FWB.
Le SEGEC, le Pacte…
Le combat contre les prétentions du SEGEC prend toute son importance dans le contexte de la mise en place du Pacte d’excellence. Parmi les principales critiques qu’il faut formuler à l’encontre de ce Pacte il y a précisément…
(1) le fait qu’on a soigneusement omis — notamment sous la pression du SEGEC — d’y prendre la moindre mesure contre le libre marché scolaire (ce qui rend la perspective de réussir un tronc commun sans augmenter les écarts entre écoles pour le moins hasardeuse)
(2) la scission entre le pouvoir organisateur et le pouvoir régulateur de l’enseignement officiel qui revient à entériner l’existence de trois réseaux concurrents « sur pied d’égalité », en abandonnant pour de bon la primauté de l’enseignement public.
..et le MR
Quant au MR, il ne s’oppose à ce Pacte initié par le PS et le CDH, que pour prôner un marché scolaire encore plus libéral. Dans la version grand public de son programme électoral, il annonce en effet qu’il veut « supprimer le décret inscription », qui « place les familles dans l’angoisse » et constitue, dit-il, une atteinte à leur liberté de choix.
Mais alors que propose le MR ? Voudrait-il donc un retour à la situation d’avant 2007, quand les refus d’inscription étaient aussi nombreux qu’aujourd’hui mais moins médiatisés et quand la seule « règle » était, bien trop souvent, celle des petits arrangements entre amis ? Cela semble difficilement crédible, tant un tel retour en arrière produirait des conditions littéralement anarchiques. Pour découvrir la réponse, il faut se plonger dans les 243 pages du programme électoral complet des libéraux. Il apparaît qu’ils ne veulent pas vraiment éliminer le décret inscription mais plutôt le modifier. Premièrement, en supprimant le critère de la proximité ainsi que les (très modestes) critères de mixité sociale dans les priorités du décret actuel. Deuxièmement, en permettant au chef d’établissement de décréter lui-même, arbitrairement, d’autres critères de priorité. Par exemple, explique le MR, « un projet pédagogique spécifique pour élèves à haut potentiel ». Demain, un directeur pourrait donc imposer un score de 80% en math au CEB, exiger que la langue maternelle de l’enfant soir le français ou toute autre lubie pour différencier son établissement des autres.
Toujours selon le projet du MR, les inscriptions se dérouleraient en deux temps (prioritaires, puis non prioritaires) et les parents pourraient suivre l’évolution de leur inscription sur un site Internet. Mais cela n’empêchera évidemment pas d’avoir, comme aujourd’hui et comme jadis, des inscriptions excédentaires dans certains établissements très recherchés. Car le MR ne peut réaliser l’impossible et assurer à chaque parent ou enfant cette « école de son choix » tant vantée et tant promise. Mais alors comment se fera la sélection finale, parmi les demandes excédentaires ? Simple, dit le MR : c’est le chef d’établissement qui choisira. Génial ! On remplace une (mauvaise) régulation des droits des parents, par un pouvoir absolu accordé aux directeurs. Ce n’est pas le retour à 2007, c’est carrément le retour au 19ème siècle !
Résumons : PS et CdH détricotent l’enseignement public et refusent de toucher au marché scolaire, SEGEC et MR s’allient pour renforcer ce marché et promouvoir l’école privée… Il va falloir bien réfléchir avant d’aller voter au mois de mai !
Depuis des décennies, les acteurs de l’enseignement se plaignent du manque de moyens financiers, matériels et humains pour l’essentiel. De plus, il est souvent fait allusion au coût exorbitant de l’enseignement. On en revient donc chaque fois à un énorme problème de finances publiques. Mais personne, ou très peu, ne fait allusion à l’ineptie des réseaux. Comment continuer à mettre en compétition deux ou trois réseaux dans un village ou une ville de quelques centaines d’habitants ? Cet émiettement relève d’une autre époque et ne peut plus être toléré aujourd’hui. A la place, on préfère parler échec scolaire, inscriptions, formation pédagogique et réforme de l’agrégation, etc. Tout cela serait finançable grâce aux moyens dégagés de la suppression des réseaux. Du bon sens avant tout.
Le libre est très loin d’avoir « la liberté totale pour ses écoles », ça, c’était peut-être avant, mais c’est fini. Le Ségec nous pond des programmes qui sont la copie conforme de toutes les c… décidées au ministère, avale la CPU qui ne marche pas, se plie au plan de pilotage qui est terriblement coercitif (nous venons d’apprendre, à Sainte Misère-des-Pauvres où je travaille, que les 40 items – 40! – du plan de pilotage doivent être chacun pilotés par une personne! Ce n’est plus l’usine à gaz, c’est carrément les trois centrales de Tihange…), se fait tancer plus que vertement par les inspecteurs sur le non respect des compétences et autres calembredaines qui font de mes quatrièmes, quand je les prends en septembre, de quasi illettrés, etc., etc.
Alors probablement que le Ségec confond sciemment – après tout, il doit bien rester encore quelques jésuites là-bas – subventions de fonctionnement et subventions-traitements, mais si nous touchions 1€ chaque fois qu’on nous jette 50 centimes, peut-être que mon école n’aurait pas des fenêtres d’avant-guerre et les châssis qui vont avec, sans rien dire des chaudières qui sont une insulte au bon sens et à l’écologie, peut-être pourrions-nous engager un ou deux éducs en plus qui nous manquent bien avec nos très remuants élèves de toutes origines, peut-être (rêvons un peu) aurions-nous enfin une salle d’étude, ou des ordinateurs de moins de 10 ans avec une connexion internet qui fonctionne – même si je ne suis pas fan du tout de l’école numérique.
Si la campagne est mensongère, l’injustice est là, incontestable, et le non respect des accords de la Saint-je-ne-sais-plus-qui aussi. Sans rien dire du fait que le ministère serait bien en peine de dégager les sommes nécessaires à la réfection des écoles libres et que ça l’arrange que nous coûtions beaucoup moins que l’officiel. Et, advenant que l’on verse dans le giron du ministère les bâtiments des écoles libres (qui souvent ne leur appartiennent pas, d’ailleurs, les nôtres sont à des religieuses nonagénaires), il faudrait d’abord changer la constitution qui garantit notre existence.
Et enfin, pour avoir fréquenté, en prof et en parent, le libre et l’officiel, j’ai un œuf d’autruche à peler avec ce dernier où j’ai été priée, dans un athénée, in illo tempore, de donner, durant un intérim d’histoire, un cours sur le Moyen Âge à des troisièmes avec un syllabus qui ne mentionnait le christianisme que pour le vilipender dans tous les domaines et me suis fait menacer d’un blâme parce que j’ai le sens de la nuance; le christianisme est évidemment hautement critiquable, j’enseigne Voltaire avec jubilation, mais il n’est pas que ça; où on m’a battue froid pour n’avoir pas voté l’exclusion d’un élève que je n’avais encore jamais vu le premier jour de ma présence dans les murs (l’élève est resté, et franchement, il n’était pas pire que bien d’autres mais mes trois mois ont été un enfer), où les trois profs de religion qui y officiaient étaient mis à l’écart, systématiquement et moi aussi parce que je mangeais ma tartine avec eux. J’ai un gros contentieux avec un système qui m’a reproché, en ne m’attribuant pas de poste à la rentrée suivante, d’avoir pris un autre intérim pour la fin de l’année, et il a fallu un dizaine de coups de téléphone pour qu’on me lâche enfin du bout des lèvres « Oui, mais vous êtes allée à Saint-Ciboire… », et j’étais pourtant en ordre utile et en ordre de candidature. Et ce n’était pas il y a quarante ans, c’était en septembre 2003. Et je reproche à l’athénée la plus prestigieuse de ma grande ville de ne n’avoir pas remarqué pendant des mois que mon gamin de 13 ans, dont l’éducatrice ne connaissait d’ailleurs pas le nom, brossait , ni qu’un de ses camarades, devenu inopinément orphelin, noyait son chagrin dans les limonades au rhum à midi et, pire, d’organiser les classes de première et deuxième selon des critères religieux et donc d’avoir regroupé tous les élèves de confession musulmane dans la même classe (« Mais, madame, il faut bien organiser les cours de religion » fut la réponse scandalisée qu’on m’a faite quand j’ai soulevé le problème; de mon point de vue, quand on a 25 gamins en religion islamique et une bonne quinzaine de classes de première, et autant en deuxième, on saupoudre et on s’arrange, c’est ainsi qu’on intègre). Inutile de dire qu’à la fin de la deuxième, j’ai dépoté mon gamin par le cou pour le replanter chez d’anciennes bonnes sœurs où les éducateurs savaient qui il était et ce qu’il fallait surveiller.
Alors pardonnez-moi si j’ai la faiblesse de tenir au peu qui reste de la liberté de l’enseignement libre. J’ajoute que je suis d’accord avec beaucoup de vos positions sur la pédagogie et les problèmes de l’école. Et tout à fait d’accord qu’une « bonne école » ne l’est que parce que les gosses qui la fréquentent ont la chance d’appartenir aux milieux favorables, la mienne étant, pour beaucoup qui ne nous connaissent pas, une « mauvaise école ». Mais mon expérience me prouve tous les jours que l’on est certainement aussi, sinon plus, ouvert d’esprit dans le libre que dans l’officiel, et qu’on n’y fait pas de catholicisme militant, comme on fait de la laïcité militante à la belge dans certains établissements officiels, laïcité belge qui est une autre forme de religion, et que je ne confonds pas avec la laïcité à la française, autrement plus maligne – de nos jours il faut tout préciser pour ne pas prêter le flanc à l’incompréhension, donc aux anathèmes.
Alors, quinze ans ayant passé, l’officiel est peut-être revenu sur des pratiques et des ostracismes d’un autre âge, mais si j’en crois certains anecdotes de jeunes collègues qui courent les intérims, j’ai des doutes.
C’est drôle, mais je ne m’attendais pas à ce que l’Aped refuse de publier un commentaire qui ne va pas dans son sens – surtout que le mien n’était pas, me semble-t-il, ni agressif ni déplacé. Comme on se trompe.
Cordialement,
M-L Bastin
Le commentaire n’a pas été refusé. Nous sommes simplement un peu débordés et je viens seulement de découvrir votre message. Désolé pour l’attente.
Vous êtes pardonné!