Rita, enseignante en sixième primaire dans une école de Charleroi, a mené durant un mois et demi avec ses élèves un projet interdisciplinaire aboutissant à la réalisation d’une exposition sur les migrations. Son travail organise des apprentissages disciplinaires au sein d’une « matrice » progressiste, celle d’une citoyenneté critique permettant aux enfants de saisir les contours de l’immigration.
«Qu’as-tu appris à l’école ?». Dans leur livre publié en 2015, Nico Hirtt, Jean-Pierre Kerckhofs et Philippe Schmetz proposaient, en plus d’une réflexion sur les inégalités scolaires, différentes pistes pour introduire savoirs et polytechnicité dans notre enseignement. Bien qu’une réforme structurelle profonde soit nécessaire pour atteindre ces objectifs, nous voudrions mettre en lumière des pratiques actuelles prenant cette direction. Différentes thématiques telles que l’accueil, l’écologie, la démocratie,… pourraient ainsi être abordées et nous invitons tout un chacun à nous contacter pour collaborer à cette démarche.
Premier exemple, aujourd’hui, avec Rita et son projet sur l’immigration. Qu’apprennent ses élèves à l’école ? À penser cette réalité et à partager leurs connaissances pour combattre les clichés. Qu’apprendraient-ils si notre enseignement se vouait entièrement à leur émancipation ? À manier les «outils intellectuels» qui […] permettent d’agir sur le monde en commençant par le comprendre, dans toutes ses dimensions : historique, scientifique, géographique, artistique, philosophique… et technologique ![1]
Rita: « Institutrice en sixième primaire dans une école de Charleroi, j’ai mené durant un mois et demi avec mes élèves un projet interdisciplinaire aboutissant à la réalisation d’une exposition sur les migrations. Il s’agit d’un sujet brûlant d’actualité, souvent polémique, qui touche particulièrement un grand nombre d’élèves de notre classe, eux-mêmes nés à l’étranger ou issus de familles ayant plus ou moins récemment migré vers la Belgique. Mon objectif était de construire une citoyenneté critique avec mes élèves par les contenus propres à cette thématique et par l’articulation de différentes approches pédagogiques.»
Le projet pour instaurer une dynamique d’apprentissage… structurée !
Ce projet permettait aux élèves de réaliser des apprentissages scolaires dans six disciplines différentes : le français, les mathématiques, l’éveil historique et géographique, les arts, la technologie et la citoyenneté. Les apprentissages réalisés dans une discipline ont été ensuite mobilisés, exploités, intégrés dans d’autres disciplines. Des connaissances acquises en éveil géographique étaient ainsi plus tard intégrées dans des productions de texte en langue française par exemple. Ceci a permis de brasser plusieurs fois les connaissances et, mieux, de les affiner et de les réorganiser à chaque fois. Dans ce genre de démarche, les disciplines scolaires ne sont plus cloisonnées mais sont au contraire en interaction, au service les unes des autres.
J’apprécie par ailleurs la pédagogie du projet parce qu’elle est un outil précieux pour soutenir l’attention et la motivation des élèves, pour renforcer le sens qu’ils mettent dans les apprentissages scolaires. Cela leur permet notamment de constater que ce qu’ils apprennent dans la classe est tout à fait lié au monde extérieur, permet de le comprendre et d’agir à son endroit.
Je n’ignore pas non plus les débats pédagogiques et les limites de la pédagogie de projet si l’enseignant se centre abusivement sur le produit fini (ici, l’exposition) en négligeant les apprentissages effectifs de chacun. C’est pour cela qu’il est indispensable selon moi de déterminer très précisément des objectifs d’apprentissage prioritaires que l’on va poursuivre à travers le projet, de planifier au sein du projet des activités de structuration forte et de fixation rigoureuse des apprentissages, qui sont complémentaires aux activités de recherche et de construction. Il y a un équilibre constant à trouver entre la réalisation pratique du projet et la fixation des nouveaux savoirs et savoir-faire de chacun.
Acquérir des savoirs et des savoir-faire dans différentes disciplines
Ces apprentissages permis par le projet, justement… quels étaient-ils ? En voici quelques-uns à titre d’exemples…
En éveil historique et géographique:
- les causes de l’immigration,
- l’historique des grandes vagues de migration,
- la répartition des richesses dans le monde,
- les différentes politiques d’accueil,
- la réalisation de lignes du temps,
- …
En mathématiques :
- la construction de graphiques à partie de données chiffrées,
- la révision des notions de fractions et pourcentages pour construire les graphiques,
- la révision des notions d’échelle pour construire la ligne du temps aux dimensions de la salle d’exposition,
- …
En français :
- la révision des différentes caractéristiques des textes utilisés (informatif, rhétorique, narratif),
- la production de textes en trois étapes imbriquées : la planification,
- la mise en texte comprenant l’articulation du lexique, de la syntaxe et les aspects textuels en veillant à la cohérence – la révision et correction,
- la mobilisation de différentes stratégies de lecture (anticipation, survol, prise d’indices…) lors de la lecture des documents ayant servis à préparer l’exposition,
- l’utilisation des outils lors des corrections et révisions de textes,
- …
En arts et technologie :
- la conception de panneaux illustrés,
- la réalisation d’œuvres en 3D,
- la réalisation de bandes « son » et « vidéo »,
- …
De manière transversale :
- la mobilisation et le transfert de savoirs et savoir-faire dans une nouvelle tâche
- …
En termes de savoir-être, les éléments suivants ont été développés :
- développer son esprit de collaboration entre pairs et avec des personnes extérieures (un groupe d’adolescents en décrochage scolaire et en projet citoyen est venu nous aider pour le montage d’une bande son et la préparation de la salle, des parents sont venus partager nos discussions),
- développer son identité et sa personnalité citoyenne (nous avons travaillé en collaboration avec le professeur de citoyenneté),
- …
Le développement de la citoyenneté a quant à lui été favorisé par des débats, discussions et lectures portant sur la répartition des biens et des personnes dans le monde, les droits des réfugiés, les différences et la tolérance. Des témoignages personnels sont également venus enrichir nos réflexions.
Des apprentissages disciplinaires au service de la citoyenneté critique
Le projet est porteur si chaque enfant a appris et retenu certaines choses. Il est donc important de se fixer des objectifs à atteindre par tous les élèves. Dans le cas présent, j’avais donc déterminé des objectifs prioritaires qui devaient être atteints par chaque enfant, à savoir :
- être capable d’écrire un poème sur le thème donné en respectant une structure de rimes au choix ;
- être en mesure de replacer des vagues migratoires dans le temps et d’en donner les causes ;
- être capable d’analyser des données mathématiques en contexte (fournies par l’OCDE, la Banque Mondiale et Amnesty International) et de construire sur cette base différents graphiques.
Au-delà de ces apprentissages disciplinaires, les enfants ont également pu progresser sur le chemin de la citoyenneté critique. En effet, parce qu’ils ont pu découvrir, s’approprier, organiser des informations exactes, précises, rigoureuses à propos des migrations, les enfants sont parvenus à mieux comprendre cette thématique d’actualité, à en avoir une représentation rationnelle et étayée, loin du prêt-à-penser et des légendes qui circulent trop souvent sur ces « questions vives ». L’émancipation et la citoyenneté critique passent donc immanquablement par l’acquisition rigoureuse de connaissances qui étaieront, renforcement la pensée du futur citoyen dans sa compréhension du monde. Les élèves se sont également appropriés un espace pour partager leurs nouvelles connaissances avec le monde extérieur (autres classes, parents, visiteurs anonymes) ; ceci est une autre dimension de la citoyenneté active, qui consiste à commencer à agir, ici en se proposant de sensibiliser ou, mieux, d’informer ses co-citoyens.
- Nico Hirtt, Jean-Pierre Kerckhofs et Philippe Schmetz, Qu’as-tu appris à l’école ?, 2015, p. 95. ↑