Parce qu’une société ne peut à la fois célébrer les connaissances scientifiques et s’en détourner lorsque les conclusions qui en résultent dérangent, à moins d’être climato-sceptique, ce qui est rarement le cas dans nos pays;
parce que, en tant qu’hommes et femmes, nous ne pouvons séparer la praxis de la doxa, et que la philosophie nous a appris à mettre nos actes en adéquation avec notre pensée, au risque que celle-ci ne se vide de tout sens et ne puisse plus bénéficier d’aucune crédibilité auprès d’une jeunesse qui a tendance aujourd’hui à se désinvestir des savoirs;
parce que, en tant qu’enseignants, nous ne pouvons-nous inscrire dans un cadre humaniste et universaliste par les valeurs que notre milieu est censé développer et par ailleurs renier ces valeurs en ne manifestant qu’indifférence à l’égard des effets du changement climatique sur les populations les plus vulnérables;
parce que, travaillant -pour certains- dans l’enseignement libre et fidèles dès lors aux valeurs, laïcisées ou non, de l’Evangile, nous ne pouvons tout à la fois souhaiter l’écologie intégrale telle que le pape François la présente dans l’encyclique « Laudato si » et préférer ignorer que cette voie impose des changements et des prises de positions radicales et sans doute impopulaires en faveur du climat, de la planète et des hommes qui l’habitent;
parce que nous ne pouvons croire en un enseignement guidé par une volonté d’égalité, un enseignement qui permette à chacun d’évoluer, de « réussir », et dans le même temps laisser à nos élèves seuls la responsabilité d’assurer leur avenir tout en ayant à s’absenter des cours pour porter leurs revendications, de la sorte nous favoriserions immanquablement ceux dont les facilités d’apprentissages permettent de concilier exigences scolaires et engagement;
parce que, aussi, nous avons eu l’occasion d’observer la détermination de nos élèves, que nous les avons vus capables d’implication, parce qu’ils ont consacré et consacrent encore une partie de leur temps libre, de leur temps de vacances pour construire des projets en faveur d’un avenir commun (JM Oxfam, organisation de petits déjeuners avec sensibilisation aux enjeux du changement climatique, création d’un potager, réalisation d’un film « Et nous » sur les enjeux liés aux produits de la terre http://www.agenda21woluwe1150.be/?q=fr/node/771, création d’une eco-team dans laquelle ils s’investissent en nombre, groupe de réflexion sur la migration…), parce que nous les voyons attentifs aux déséquilibres mondiaux, parce que, par leurs engagements, ils témoignent de leur sens des responsabilités, parce que, par les belles énergies qu’ils dégagent, nous savons que ce n’est pas par opportunisme qu’ils descendent dans la rue mais par nécessité face à l’urgence climatique;
enfin, parce que nous savons que, par les revendications qu’ils expriment chaque jeudi, ils veulent ouvrir des chemins vers un avenir viable, nous avons décidé de nous joindre à eux le 15 mars. Qu’un préavis de grève de nos centrales soit déposé ou non, peu importe, nous assumerons les conséquences financières des heures non prestées. Et nous espérons que les parents, les grands-parents, les cousins, les voisins de cette jeunesse la rejoindront. Brisons cette dissonance qui nous maintient dans le confort provisoire, et de toute façon fallacieux, de l’immobilisme.
Nous ne pouvons continuer à accepter une économie dont les externalités ne sont pas prises en compte, une économie qui s’apparente à un jeu de casino-domino aux effets mortifères et incontrôlés sur le plan environnemental, social et économique. Nous savons que nous avons à changer drastiquement nos manières de produire, d’habiter, de nous déplacer, de voyager, de nous nourrir, de nous vêtir, mais peu importe, cela ne nous empêchera pas de vivre bien. Nous savons que les désagréments liés à ces changements que nous nous imposerons pour passer de l’impuissance solitaire au bien vivre commun seront insignifiants au regard de ceux, incontrôlables et dévastateurs, auxquels les jeunes seraient confrontés en raison de notre duplicité.
Alors, soyons au côté des jeunes le 15 mars pour clamer haut et fort que nous sommes prêts à expérimenter avec eux des formes de vie sociale plus durables et demandons avec force que la question climatique soit inscrite au rang des priorités politiques, économiques et sociales, pour qu’ils puissent vivre dans un monde qui se sera préservé en toute dernière minute du chaos… peut-être.
Opinion parue dans “Le Vif” le 10 mars 2019
Signataires :
- Jean-Noël Delplanque, enseignant, militant syndical CSC enseignement et Aped
- Renaud Duterme, enseignant et essayiste
- Jean-François Gava, enseignant, philosophe
- Bernard Legros, enseignant et essayiste et membre Aped
- Veronique Mauroy, enseignante
- Renaud Miroir, enseignant
- Jean-Pierre Ranschaert, enseignant
- Dominique Van Elder, enseignante
- Joelle Vandenbulcke, enseignante, « Teachers for climate »
- Johanna Vandenbussche, enseignante, « Teacher for climate »