Le changement climatique et la grande responsabilité de l’École

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La protestation des jeunes, qui veulent envoyer un signal concernant l’urgence du travail sur le climat, est un soulagement. Parfois je me demandais si notre jeunesse avait été endormie en vivant trop facilement et ne pensait pas à ce qui n’allait pas dans notre société. Je me réjouis donc de leur protestation idéaliste, même si je voudrais souligner la grande responsabilité des adultes, et en particulier de l’éducation, pour que cette révolte ne soit pas un flower power stérile. Nous devons également empêcher ces jeunes, parfois facilement aveuglés par leur propre idéalisme, de se prendre trop au sérieux, simplement parce qu’ils osent faire ce qu’ils font. Quant à savoir si leur manifestation va réellement changer quelque chose au climat, l’éducation y porte une grande responsabilité.

Il est particulièrement important que les jeunes sachent de quoi ils parlent, quelles sont les menaces essentielles, quelles pourraient en être les conséquences et quelles devraient être les meilleures solutions. Ici, l’école doit fournir des connaissances scientifiques aux jeunes, ce qui signifie qu’ils devront pouvoir distinguer les fake news des vrais savoirs.

Sciences naturelles

La connaissance des sciences naturelles (physiques, chimiques, biologiques, climatologiques) est nécessaire afin qu’un scénario catastrophique ne les écarte pas de leur idéalisme. Ils doivent, sur la base de recherches scientifiques sérieuses et sur la base de résultats clairs et intelligibles, comprendre pourquoi il faut agir contre le changement climatique, quelles sont les véritables causes du réchauffement de la Terre et quelles seront les conséquences si nous ne faisons rien.

Ils devront également comprendre quels ajustements seront nécessaires dans les 30 années à venir. Car aussi grands soient nos efforts, la Terre se réchauffera encore et nous en subirons les conséquences. Afin de ne pas les ébranler de peur avec des prédictions apocalyptiques et, surtout, de ne pas les rendre défaitistes, une pure connaissance scientifique des faits est plus que nécessaire. L’ignorance engendre la peur et ce n’est bon à rien.

Les connaissances scientifiques sont également nécessaires afin de les familiariser avec les solutions. Aujourd’hui, de nombreuses propositions ont une couleur politique, idéologique et surtout économique (entendez à but lucratif). Elles ne sont pas toujours réalistes et souvent même nuisibles. Oui, nous devrons nous concentrer sur la science et la technologie, mais pas de façon téméraire. La discussion sur les énergies éolienne, solaire, nucléaire et autres ne peut être utile que si vous êtes conscient des consensus scientifiques. L’éducation et les professeurs de sciences en particulier ont pour tâche de décrire les avantages et les inconvénients des différentes sources d’énergie, sans distinction de politique, d’idéologie ou de préférences économiques personnelles.

Sciences sociales et économiques

Ces savoirs doivent ensuite être placées dans un vaste cadre social. Cela signifie que la connaissance de l’économie et de la sociologie est tout aussi nécessaire que celle des sciences naturelles.

Quelle est la conséquence de la mise en œuvre (trop rapide? trop lente?) de nouvelles énergies pour toute la population. Comment pouvons-nous prendre les bonnes décisions pour rendre la transition utile si nous ne sommes pas informés avec des chiffres, des constatations et des témoignages de l’effet que les décisions ont sur toutes les couches de la population ? Les décisions qui ne profitent qu’à un nombre restreint d’heureux et qui portent en elles un risque important qu’un grand nombre d’ hommes et de femmes tombe de notre bateau social et se retrouve dans une pauvreté plus profonde, sont inhumaines.

C’est pourquoi les chiffres bruts concernant le volet social de la problématique climatique sont indispensables. Seules les décisions pouvant être appuyées par tous peuvent être justes. On peut difficilement combattre le réchauffement climatique avec des solutions qui créent un climat social fortement réchauffé par des inégalités poignantes. Les étudiants doivent être à la hauteur des conséquences sociales — et donc aussi économiques — que la transition impliquera. Oui, ils doivent également connaître les conséquences dans le domaine « économique ».

Je me rends bien compte que notre économie actuelle a un besoin urgent d’un examen très approfondi, mais je me rends également compte qu’un changement de plus de 120 degrés nécessitera beaucoup de temps et surtout beaucoup de perspicacité dans d’autres formes de société. Et en attendant, nous devons le faire avec l’économie existante et nous ne pouvons tout simplement pas la laisser périr sans une alternative solide, ne serait-ce que parce que la sécurité sociale est liée à notre économie. Le changement économique nécessitera également une période de transition qui risque d’être très longue.

La morale

Cela m’amène au dernier et peut-être au point le plus important de mon argumentation. L’éducation doit montrer aux jeunes que la plus grande cause de notre échec humain en termes de consommation d’énergie est notre société déformée elle même. Nous vivons tous dans une société de consommation de plus en plus agressive. Nous consommons pour consommer. Consommer plus présuppose plus de production et plus de production conduit à plus de pollution et de réchauffement : le cercle est aussi simple.

Ce serait bien si la production se limitait à satisfaire nos besoins de base. Rien de tout cela. Dans une spirale de plus en plus large, nous sommes tous plus éloignés de nos besoins réels et poussés vers mille et un besoins que nous n’avons pas à la base, mais que l’industrie crée elle-même. Nous ne consommons pas pour vivre, nous vivons pour consommer. Si cette consommation insensée cesse immédiatement, notre économie, telle qu’elle est maintenant, s’effondre comme un pudding. Consommer de plus en plus est — aussi pénible que ce soit — le moteur de notre économie. Couplé aux fake news et à un populisme abrutissant, cet ogre d’économie peut encore durer des siècles. A moins que …

J’ai toujours compris qu’il fallait faire des profits. Produire et vendre sans profit n’est pas possible dans notre système économique actuel. Mais à la question que j’ai souvent posée aux économistes, « pourquoi devons-nous faire plus de profits chaque année ? », une seule réponse peut être donnée : « pour que nos actionnaires deviennent de plus en plus riches ». En tout cas, je n’ai jamais eu une autre réponse convaincante.

On peut se demander comment ils réussissent continuellement à augmenter notre envie de consommer. Ici aussi, la réponse est simple: Parce qu’aucun d’entre nous n’est à l’abri de la cupidité. Une maladie aussi vieille que l’humanité elle-même. En témoignent des histoires comme la tour de Babel, la décadence des Romains et de tant d’autres peuples, les divers crash boursiers et les crises bancaires bien connues. Il n’y a apparemment pas de limite à « l’assez » pour l’être humain. Mais un peu de réflexion nous dit qu’il n’y a certainement pas de limite au « encore plus ». La seule limite qui puisse être tracée ici est la limite que nous traçons nous-même. Nous seuls pouvons dire: « C’est assez. Je n’ai pas besoin de plus. »

Consommer plus que ce dont nous avons vraiment besoin pour bien vivre ne nous rend pas plus heureux et pourtant … nous tombons tous dans ce piège. C’est une sale chute, un tourbillon qui nous aspire, nous déshumanise et nous rend de moins en moins sensibles aux véritables besoins éprouvés par tant de personnes. Une insensibilité que nous compensons une fois par an avec une bonne cause, pour jouer un moment de Saint Nicolas.

Devoir éthique

C’est donc à nous, enseignants, de dessiner cette limite et de faire comprendre aux jeunes que le bien-être de plus en plus matériel, sans limite, n’est pas une garantie de bonheur. Dans l’émission « De Zevende Dag », Anuna De Wever a dit qu’elle voulait faire le meilleur avec moins, que l’austérité serait la bienvenue, qu’elle n’avait pas besoin de fruits des pays du Sud ni de viande d’Australie… Oui, ils veulent s’engager.

Expliquer clairement, d’une manière non moralisante, ce nouveau mode de vie aux jeunes est une tâche difficile. Et pourtant, il le faudra. Sans la conscience que nous pouvons très bien vivre d’une façon plus sobre, avec beaucoup moins, la production ne peut pas diminuer et la pollution ne cessera jamais. Seule une réduction drastique de notre consommation permettra de développer une production « globale » à laquelle suffiront les nombreuses énergies alternatives et non polluantes. Si la population mondiale entière, sans cesse croissante, veut commencer à consommer selon notre modèle actuel, l’apocalypse n’est pas loin. Mais cela nécessite un engagement de tous et en premier lieu de nous, les pays les plus riches.

Il serait peut-être bon que les jeunes prennent conscience de cette pensée profondément humaine et purement sociale que j’ai lue dans un proverbe de sage : « La seule limite objective à notre richesse est le besoin de notre frère, où que ce soit dans le monde ». Cela doit se faire dans les cours d’économie, de sociologie, d’apprentissage civique, moral, religieux et socio-pédagogique. Celui qui est convaincu de cette vérité sauve non seulement le climat de la terre, mais aussi le climat social acidifié dont nous sommes tous victimes et qui, en plus du bonheur de tant de gens, «tue» également notre «joie». Pour notre éducation ce n’est ni plus ni moins qu’un devoir moral.

Ancien directeur de l'école communale De Pinte. Ancien conseiller pédagogique pour OVSG. Fondateur de l'école De Wonderfluit à Gand dont le projet pédagogique est centré sur l'éveil artistique musical.

1 COMMENT

  1. Pour citer un humaniste que j’apprécie beaucoup: «Le problème de la société humaine, c’est que l’indispensable n’a pas été résolu et que le superflu n’a pas de limite » (Pierre Rabhi ).
    L’indispensable étant (pour moi) d’être heureux, et le superflu tous les « pansements consuméristes » que chacun d’entre nous utilise pour compenser les multiples frustrations imposées par notre société dont le credo est qu’il est plus important « d’avoir » que « d’être » (pour être heureux, il faut posséder ou consommer). Et pour ce qu’il reste à « l’être », c’est la compétition entre individus qui mène le bal : il faut être « plus fort » « plus souple » « plus compétitif » « plus riche » …
    L’école devrait donc également enseigner la collaboration (plutôt que la compétition) et (ré)introduire un questionnement philosophique chez les enfants à propos de ce qu’est le bonheur !

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