Ce texte de Pierre Waaub, enseignant, militant à CGé (Changement pour l’égalité) et chargé de mission pour la FGTB-Enseignement sur le Pacte d’excellence, reprend les grandes lignes de la présentation qu’il a faite au colloque de l’Aped «regards Croisés Nord-Sud sur l’enseignement en Belgique», le 10 novembre 2018.
La gouvernance
Passer d’un système dans lequel on cherche à améliorer les résultats…
- en règlementant et décrétant
- en contrôlant que les règles et les prescrits sont bien respectés
- en attribuant les mauvais résultats au non respect des règlements et décrets
- et en règlementant et décrétant à nouveau pour renforcer le contrôle du respect des règles
- sans se donner les moyens d’évaluer dans quelle mesure le respect des règles, prescrits et décrets est en mesure d’améliorer les résultats
- sans se donner les moyens d’une vision systémique, chacun pointant LA cause de l’échec des politiques publiques en fonction de son propre intérêt particulier :
- les inspecteurs pointant du doigt les mauvais profs qui ne font pas ce qu’on leur demande
- les directions et les Pouvoirs Organisateurs pointant du doigt le statut des profs qui sont intouchables
- le Pouvoir Public pointant du doigt la résistance au changement des enseignants sous la houlette de leurs syndicats corporatistes
- les pédagogues pointant du doigt les mauvaises méthodes et la formation insuffisante des enseignants
- les familles pointant du doigt l’inadaptation de l’école aux besoins de leurs enfants
- les enseignants enfin pointant du doigt tous ces doigts pointés sur eux et dénonçant :
- le harcèlement des inspecteurs obtus qui ne comprennent rien à la réalité de la classe
- le harcèlement des directions et PO qui leur augmente sans cesse la pression et la charge de travail
- le harcèlement du Pouvoir Public qui crée une image négative des enseignants pour se dédouaner de son impuissance à donner des moyens suffisants
- le harcèlement des pédagogues en chambre qui critiquent du haut de leur tour d’ivoire
- et le harcèlement des familles démissionnaires qui exigent en plus un enseignement individualisé et une éducation tournée vers l’épanouissement des talents de leurs enfants.
…à un système dans lequel on cherche à améliorer les résultats
- En se donnant les moyens d’une vision systémique (de la gestion du système scolaire jusqu’aux pratiques dans la classe)
- En fixant les objectifs pour tous
- En créant la réflexion et l’autonomie dans les écoles pour fixer des stratégies et des méthodes
- En contractualisant sur les stratégies et les méthodes avec chaque établissement
- Et en se donnant les moyens d’évaluer régulièrement le lien entre les objectifs et les stratégies mises en œuvre.
- En se donnant les moyens de faire en sorte que tous les établissements scolaires, quels que soit leur réseau d’affiliation, poursuivent les mêmes objectifs d’amélioration fixés par le Pouvoir Public (plans de pilotage, contractualisation, DCO et DZ, …)
- En laissant aux établissements scolaires une plus grande autonomie (au sens de moins de règles et de prescrits) sur les stratégies et les méthodes
- En créant la possibilité d’une réelle participation des équipes pédagogiques à la réflexion, à la décision, à la mise en œuvre et à l’évaluation des stratégies mise en œuvre (au sens de « est-ce que ce que nous avons mis en œuvre nous permet d’aller dans la direction voulue »)
- En insufflant des moyens supplémentaires là où des besoins sont identifiés (dans le Maternel pour soutenir l’encadrement, pour l’apprentissage de la langue des apprentissages, pour l’accompagnement personnalisé, pour les écoles en difficultés, pour la réforme de la FIE)
- En cherchant à impulser sans imposer des changements importants dans les pratiques :
- du modèle de la séparation au modèle de la culture commune : du tronc commun, de l’évaluation formative, de la différenciation dans la classe, de l’accompagnement personnalisé, du renoncement au redoublement
- du travail individuel au travail d’équipe : 60P de travail collaboratif
Bien sûr pas de naïveté
Mais si on ne se bat pas maintenant dans la réforme, quand aura-t-on encore une chance de voir les choses changer dans le bon sens. Pourquoi le bon sens ?
- La lutte contre les inégalités au centre
- Un plus grand contrôle des établissements scolaires au regard des objectifs de service public
- Un premier refinancement depuis longtemps
- Rupture avec la logique de séparation et de relégation jusqu’à 15 ans
- Recentrage de l’école sur sa mission d’assurer les apprentissages pour tous
Des lignes rouges claires pour faire face au risque de « new management public à la performance »
- Pas d’augmentation de la charge de travail
- Pas de fragilisation du statut des enseignants
- Revalorisation du métier par le travail d’équipe, c’est plus de pouvoir collectif en matière de choix pédagogiques
- Pas d’évaluation sanction individuelle qui soumette les membres du personnel à l’arbitraire des PO et Directions
- Moins de contrôles et plus de confiance
- Une formation continue de qualité et adaptée aux besoins
Les objectifs du tronc commun
Le tronc commun s’inscrit dans la lutte contre les inégalités scolaires, la relégation par l’échec scolaire et pour la revalorisation de l’enseignement qualifiant.
Le premier objectif est de lutter contre les inégalités scolaires en garantissant à tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale, la possibilité d’acquérir des compétences de base ambitieuses qui les rendent capables à la fois de s’émanciper socialement (avoir le choix de leur insertion socio-professionnelle) et de jouer un rôle actif et éclairé de citoyen. A cette fin, le tronc commun doit pouvoir mettre fin à la situation actuelle de relégation des jeunes issus des milieux défavorisés, qui transforme les inégalités sociales en inégalités scolaires.
Face aux difficultés rencontrées par ces jeunes, le système scolaire actuellement se contente trop souvent de poser des diagnostics d’écart par rapport à la norme et, sur base de ces diagnostics, à les orienter vers des options ou des filières jugées moins exigeantes. Ce mécanisme a pour conséquences de regrouper dans les mêmes établissements et les mêmes filières dévalorisées les jeunes qui cumulent les difficultés socio-économiques de leur famille aux difficultés scolaires.
Ce constat a été amplement documenté dans la phase 1 du Pacte et repris dans la synthèse du Groupe Central. Cette situation crée dans l’enseignement qualifiant une situation qui contribue à sa dévalorisation : l’orientation vers cette filière de jeunes qui n’ont pas de projet qualifiant et/ou qui n’ont pas les compétences pour y poursuivre leur scolarité (orientation par l’échec). L’enseignement qualifiant ne peut dès lors se concentrer sur sa mission : assurer aux jeunes qui y poursuivent leur scolarité les apprentissages nécessaires à l’obtention d’une qualification de qualité.
Qu’est-ce qu’un tronc commun ?
Mettre en place un tronc commun dans l’enseignement obligatoire, cela signifie garantir un même parcours pour l’ensemble des élèves jusqu’à la fin de ce tronc commun. Il s’agit de faire bénéficier à tous les élèves des mêmes apprentissages, de leur faire suivre un curriculum commun, sans orientation préalable, avec les mêmes référentiels. Ces référentiels représentent ce qu’une société, à un moment donné de son histoire, considère comme les savoirs et compétences indispensables à tout citoyen pour exercer pleinement sa citoyenneté et s’insérer dans la vie sociale et économique.
Un tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire fondé sur des savoirs et compétences à la fois scientifiques et technologiques, qui apprennent à comprendre le monde, à le penser, et à le transformer.
Les savoirs et compétences qui doivent composer le tronc commun proviennent donc des domaines littéraire (lire, écrire, structurer sa pensée oralement et par écrit, culture littéraire), artistique (s’exprimer et comprendre les courants artistiques), des sciences humaines (politique, social et économique : comprendre l’humanité, la critiquer, la transformer), scientifique et technologique (comprendre le monde matériel et vivant, la méthode scientifique, son application dans la réalité), philosophique (questionnement, interprétation et réflexion), histoire-géographie (comprendre le monde, le mettre en perspective historique, le découvrir, l’analyser), des langues (développer des capacités à comprendre et parler et écrire dans d’autres langues) et la pratique de l’activité physique seul et en groupe. Ces domaines doivent faire partie du tronc commun en tant que tels, mais aussi être organisés dans les référentiels de telle manière que les liens entre eux puissent aussi faire l’objet d’apprentissages (activités interdisciplinaires, pensée complexe). Il s’agit de permettre à tous les élèves d’acquérir des connaissances et des compétences qui rendent aptes à penser par soi-même et à continuer à apprendre.
Afin de garantir à tous les élèves l’ensemble de ces objectifs, le tronc commun doit donc être :
- Un tronc commun sans orientation
- Un tronc commun dans la mixité sociale
- Un tronc commun sans redoublement
- Un tronc commun sans certification avant sa fin
Comment travailler au sein d’un tronc commun
Il ne s’agit pas simplement de décréter le tronc commun car celui-ci ne peut se contenter d’une situation dans laquelle on ferait plus longtemps ce qu’on y fait déjà. Pour que le tronc commun ne soit pas un leurre pour les jeunes qui rencontrent des difficultés scolaires, il faut qu’il se donne les moyens pour qu’ils puissent les surmonter. Cela commence donc dès l’enseignement maternel et doit se poursuivre jusqu’à la fin du tronc commun. A cette fin, il faudra aussi y implanter des pratiques innovantes et améliorer la manière de travailler avec les jeunes en difficultés, en particulier les jeunes issus des familles défavorisées. Cela implique d’aller, en collaboration avec les équipes pédagogiques vers :
- Des pédagogies qui tiennent compte de la diversité des rapports à l’école et au savoir
- Des pédagogies qui tiennent compte de la diversité des rapports à la langue scolaire (rapport à l’écrit, à la langue parlée écrite, à l’abstraction)
- Des pédagogies qui cherchent à transformer ces rapports à l’école, au savoir et à la langue scolaire
- Un changement radical du paradigme de l’évaluation (évaluation formative)
- Evaluer pour identifier les obstacles
- Evaluer de manière dialectique en impliquant l’élève et les situations d’apprentissages mises en place par les enseignants
- Evaluer pour tirer profit des erreurs et des obstacles
- Evaluer pour mettre en place de nouvelles stratégies, de nouvelles situations d’apprentissage
- Evaluation certificative externe à la fin du tronc commun, sans évaluation certificative intermédiaire en cours de tronc commun
- Un même parcours, des situations d’apprentissage variées, des apprentissages « spiralaires »
- Des évaluations externes non certificatives régulières afin de permettre à tous les acteurs (de l’élève au pilotage) de faire le point sur les apprentissages.
- La constitution de véritables équipes pédagogiques, formées au travail collaboratif, et à la posture de praticien réflexif, et disposant des outils, du temps et des espaces nécessaires
Un tronc commun jusqu’à quel âge ?
- Le tronc commun doit permettre de retarder l’orientation tant qu’elle n’est pas fondée sur un jugement personnel de l’élève.
- Le tronc commun doit permettre de revaloriser l’enseignement qualifiant en orientant des élèves motivés et outillés en compétences de base suffisantes pour y poursuivre des apprentissages de qualité.
- Le tronc commun doit permettre d’orienter vers la filière de transition des élèves maitrisant les savoirs et compétences indispensables à leur progression dans cette filière vers l’enseignement supérieur.
- Le tronc commun doit se donner le temps et les moyens de mettre en place une formation humaniste, scientifique et technologique, solide composée de savoirs et compétences ambitieux pour tous.
Il faut donc construire le tronc commun en fonction de ces quatre contraintes.
Si on veut vraiment retarder l’orientation pour qu’elle corresponde à un véritable choix, revaloriser l’enseignement qualifiant en y orientant que des jeunes motivés et outillés, garantir la formation indispensable à ceux qui choisiront la filière de transition et prendre le temps d’une formation solide composée de savoirs et compétences ambitieux pour tous, le tronc commun doit être prolongé au minimum jusqu’à l’âge de 15 ans.
Finalement, la FGTB roule bien pour le Pacte. On l’avait compris.