Aussi loin que l’on remonte dans la mémoire des systèmes scolaires, les opposants à toute rénovation de l’école ont toujours eu coutume d’affirmer que les tentatives de démocratiser l’enseignement n’ont conduit — et ne peuvent conduire — qu’à un nivellement par le bas. Aujourd’hui, le discours est porté par les porte-parole de la droite : le MR en Wallonie et à Bruxelles, la NVA en Flandre, les Républicains en France. Mais tout aussi traditionnellement, les progressistes ont eu l’habitude de mépriser ce « discours éculé » sur le niveau qui baisse.
En réalité, disent-ils, le niveau ne baisse pas, mais augmente, puisque les enfants vont plus longtemps à l’école qu’avant et parce que l’on y apprend des milliers de choses qu’on n’y abordait pas jadis.
Il faut pourtant bien reconnaître que cette réponse ne tient plus la route. Au cours des dernières décennies c’est bien à une baisse généralisée du niveau de maîtrise des savoirs ainsi que du niveau d’exigence des programmes que l’on a assisté. Pour s’en convaincre, il suffit d’ouvrir un manuel scolaire d’il y a trente ou quarante ans et de le comparer aux référentiels actuels. Les « de mon temps… » dont les vieux profs nous rebattent les oreilles ne sont malheureusement pas toujours ringards. La baisse du niveau touche toutes les matières et tous les aspects des matières. En français elle va de l’orthographe aux connaissances littéraires, en passant par la grammaire, le vocabulaire, la lecture, le style… En mathématique, en dépit de tout le bla-bla des compétences, les élèves se débrouillent moins bien avec les problèmes tout en ne sachant plus ce qu’est une démonstration rigoureuse. En sciences, le programme actuel n’arrive pas à la cheville de celui que j’ai connu étant étudiant. Idem pour l’histoire, la géographie…
En France, l’étude « Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d’intervalle 1987-2007 », réalisée par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance en 2009 auprès d’élèves de fin d’école primaire concluait qu’en lecture « deux fois plus d’élèves (21 %) se trouvent en 2007 au niveau de compétence des 10 % d’élèves les plus faibles de 1987 ». En orthographe, les 10,7 fautes moyennes de 1987 sont devenues 14,7 en 2007 et les 26 % qui faisaient plus de 15 erreurs il y a vingt ans sont aujourd’hui 46 %. En mathématiques le score en calcul a connu « une baisse importante » suivie d’un tassement la décennie suivante.
La question n’est donc plus de savoir si le niveau baisse, mais pourquoi il baisse.
Pour les réactionnaires de tout acabit, la réponse réside dans une volonté excessive de démocratiser l’enseignement. En ouvrant toutes grandes les portes de l’enseignement secondaire, on y aurait fait entrer des enfants qui n’ont pas les moyens intellectuels ou la volonté de répondre aux exigences. Et l’on aurait donc abaissé celles-ci, au nom de douteuses réformes pédagogiques, afin de réguler les flux scolaires et de camoufler les statistiques de l’échec scolaire.
Cette thèse est d’abord profondément méprisante pour les enfants des classes populaires, dont on sous-entend qu’ils seraient, par nature, moins capables ou moins travailleurs que les autres. Mais surtout, elle est complètement erronée. Car la prétendue démocratisation de l’enseignement n’a jamais eu pour objectif de proposer aux enfants du peuple cette solide formation et cette riche culture que l’on a toujours su apporter aux rejetons des classes dirigeantes. Il s’agissait seulement, tout au long du XXe siècle, d’adapter le niveau général de formation à l’élévation des exigences sur le marché du travail.
Or, il se trouve que depuis trente ans, ce marché du travail se polarise. A côté de la forte demande de travailleurs hautement qualifiés, on assiste à une forte croissance des emplois non ou peu qualifiés dans le secteur des services. D’autre part, le rythme de l’innovation et l’imprévisibilité économique font privilégier l’adaptabilité des compétences sur la rigidité des connaissances. En d’autres mots, si le niveau baisse et si l’école devient de plus en plus inégale, ce n’est pas le signe d’une déficience de nos systèmes éducatifs. C’est au contraire la preuve de leur parfaite adéquation avec les attentes de la société capitaliste moderne. Celle-ci n’a que faire d’un peuple trop instruit : c’est dangereux et ça coûte trop cher.
Aussi, la seule position progressiste conséquente en matière d’éducation consiste à exiger l’équité ET l’excellence. Ni les inégalités sociales à l’école ni le nivellement par le bas n’apporteront aux classes exploitées les savoirs qui leur permettront de comprendre et de transformer le monde.
Effectivement : oui et non.
Je ne pense pas que ce soit l’écoute proximale que les fonctionnaires font des besoins économiques qui ajuste cette production.
D’ailleurs, un besoins techniquement plus bas signifie un besoin de travailleurs moins chers, donc moins de diplômes. Et non pas ce que nous avons maintenant : plus de diplômes, plus ronflants et plus vide de contenus, associé à l’obligation légale d’un travail de plus en plus limité à ces diplômes vides.
D’ailleurs les pays en économie montante ne sont pas du-tout dans cette logique de décroissance des contenus.
Ceci dit, ce débat est plus creux qu’il n’y parait.
Ce qui est important à mon sens, ce n’est pas de savoir si le niveau est plus bas, mais de savoir si le niveau est RELATIVEMENT plus bas, comparé à la moyenne d’une production de diplômes qui est devenu mondiale et en concurrence directe, quand jadis il était local et sans concurrence.
Et là je répond de façon catégorique : oui
Merci pour cet article stimulant. Je reconnais simplement ne pas vous suivre lorsque vous écrivez que « Pour les réactionnaires de tout acabit, la réponse réside dans une volonté excessive de démocratiser l’enseignement ».
J’ai pense au contraire que les « vrais » conservateurs (c’est-à-dire ceux qui refusent aussi bien le libéralisme économique que sociétal – c’est-à-dire aussi ceux qui donnent de la voix et que l’on qualifie de réactionnaires – c’est-à-dire enfin ceux qui se mettent dans les pas d’Annah Arendt, Simone Weil, François-Xavier Bellamy, Bérénice Levet, Jean-Claude Michéa…) regrettent non pas tant la démocratisation de l’enseignement que le fait que l’on a mis fin à la transmission pour faire des jeunes des êtres « flexibles », prisonniers de « l’ici et du maintenant », et donc parfaitement malléables par « le marché ». Pour eux donc, c’est plutôt suite à la perte de la transmission qui les enracinait, et donc les renforcait de par l’inscription dans une culture, que le niveau a baissé. Le drame, pour eux toujours, est que l’on a assimilé transmission et aliénation. Bien sûr on a parfois, à la suite de Bourdieu, souhaité mettre fin à la transmission au nom de la démocratisation. Mais ces conservateur-là ne vilipende pas la démocratisation en tant que telle me semble-t-il. Au contraire, ils défendent (sincèrement je pense) une démocratisation et une émancipation de tous de par la transmission de la culture.