Chaque année, avec le retour des hirondelles et des pollens de bouleau, ressurgissent les débats sur les inscriptions scolaires. Rappelons en les termes essentiels.
Primo, l’enseignement belge — qu’il soit francophone ou flamand — est le champion incontesté des inégalités sociales. L’écart entre les performances des enfants de familles riches et pauvres est plus élevé chez nous qu’ailleurs.
Secundo, l’enseignement belge est également le champion de la ségrégation sociale. 49 % de nos élèves fréquentent une école « ghetto de riches » ou « ghetto de pauvres ». C’est plus que dans n’importe quel autre pays européen : 19% en Norvège, 29% au Royaume uni, 35% en Italie, 40% en Allemagne. La relation entre ces deux réalités, ségrégation et inégalité sociale des acquis, est largement documentée. L’analyse statistique montre par exemple que les différences entre systèmes d’enseignement européens sur le plan de l’équité sociale s’expliquent pour 45% par leurs différences en matière de ségrégation.
Tertio, l’enseignement belge est l’un des rares systèmes en Europe où l’affectation des élèves aux écoles repose presque exclusivement sur l’initiative des parents. A l’exception du très controversé décret inscription en première année secondaire, aucune procédure ne vient réguler un tant soit peu le marché scolaire. Là encore, la relation entre le libre marché d’une part, la ségrégation et l’inégalité scolaire d’autre part, a été établie par de très nombreuses études.
Cependant, et c’est là le quatrième terme de cette difficile équation, les parents belges sont très fortement attachés à la liberté de choisir l’école de leur enfant. Cet attachement a sans doute des racines historiques. Mais aujourd’hui il se trouve surtout alimenté par la perception des inégalités académiques et sociales dans le chef des parents les mieux informés.
Comment sortir de ce dilemme ?
Il existe une solution qui permet de réguler les inscriptions scolaires, en assurant de la mixité sociale, mais sans toucher au principe de liberté de choix. Cela fonctionnerait en deux phases. Dans un premier temps, on propose aux parents une école qu’ils sont libres d’accepter ou de refuser. Pour ceux qui acceptent, la procédure s’arrête là. Pas besoin de faire la file ou de stresser : ils ont une place assurée. Pour ceux qui refusent la proposition, commence alors la deuxième phase, où ils peuvent choisir librement un autre établissement, dans la limite des places disponibles bien entendu. Cette procédure pourrait être mise en œuvre dès le début de la scolarité et chaque fois que s’impose un changement d’école : passage du primaire au secondaire ou déménagement, par exemple.
Qu’est-ce que cela change ?
D’abord, en offrant une place garantie dans une école, on respecte enfin le droit à l’enseignement, ce droit que les parents doivent aujourd’hui reconquérir à chaque inscription scolaire. Mais surtout, cela donne aux pouvoirs publics un levier pour agir sur la mixité sociale. En effet, les propositions d’écoles pourraient être formulées non seulement sur base de critères de proximité ou de regroupement des fratries, mais en cherchant à assurer que chaque école offre un profil sociologique mélangé.
On pourrait penser que, dans nos villes fortement ségréguées sur le plan résidentiel, avec leurs quartiers pauvres et leurs quartiers riches, un tel objectif serait hors de portée. Mais il n’en est rien. Une étude conjointe de l’Aped et du Girsef (UCL), portant sur les écoles primaires en Région bruxelloise, a montré qu’il était techniquement possible de ramener de 40% à 6% le pourcentage d’élèves qui fréquentent une « école ghetto », tout en réduisant considérablement la distance moyenne entre le domicile et l’école.
Sans doute une partie des parents refuseront-ils l’école proposée. Mais des études sociologiques réalisées dans d’autres pays ont montré que les parents de milieux populaires ont généralement tendance à accepter l’établissement qu’on leur propose. Cela suffira à garantir une composition sociale à peu près équivalente dans toutes les écoles, ce qui diminuera la propension des autres parents à refuser celle proposée. Ainsi, le libre choix sera toujours un droit pour ceux qui souhaiteront l’exercer. Mais il ne sera plus une obligation pour les autres.