Le 1er août 2017, 174 organisations de la société civile du monde entier, dont l’Aped, ont publié une déclaration appelant les investisseurs de Bridge International Academies à cesser leur soutien à la plus grande entreprise d’écoles privées à dimension commerciale opérant dans les pays en voie de développement et soutenue par des donateurs et investisseurs internationaux.
Cette déclaration, publiée deux ans après un précédent appel similaire, a été signée par une large diversité d’organisations présentes dans 50 pays, incluant des ONG de défense des droits de l’homme, des organisations de développement, des organisations communautaires, des organisations confessionnelles, et des syndicats, démontrant l’échelle des inquiétudes sur Bridge.
La déclaration, qui recense des éléments de preuves variés et des recherches publiées au cours des deux dernières années, soulève de sérieuses préoccupations concernant la transparence de Bridge, ses relations avec les gouvernements, les conditions de travail de son personnel pédagogique et la question de la violation des normes éducatives. Elle met en évidence les cas de l’Ouganda et du Kenya où Bridge a exploité illégalement des écoles et n’a pas respecté les normes nationales d’éducation. Dans les deux pays, les autorités ont ordonné Bridge de fermer leurs écoles.
« La qualité des écoles Bridge n’a jamais été évaluée de manière indépendante. Dans tous les cas, tout gain allégué concernant les résultats d’apprentissage ne pourrait jamais justifier les pratiques choquantes qui sont rapportées dans cette déclaration. Comment justifier, par exemple, l’emploi d’enseignants non diplômés et non enregistrés, sachant qu’ils perçoivent des salaires proches du seuil de pauvreté pour plus de 60 heures de travail par semaine ? » questionne Linda Oduo-Noah du Centre de l’Afrique de l’Est pour les droits de l’homme au Kenya.
La déclaration souligne que Bridge n’est pas parvenu à atteindre les plus défavorisés, qu’ils prétendent pourtant viser, en raison des coûts de scolarité élevés qui impactent négativement les familles qui envoient leurs enfants dans ces écoles. Une étude a révélé que 69 à 83 % des parents avaient du mal à payer le loyer, à se procurer de la nourriture ou à accéder à des soins de santé à cause des frais de scolarité de Bridge.
« Au lieu des 6 US dollars par mois targué par la société, les frais totaux sont plus proches de 20 US dollars par mois. Non seulement ces coûts sont prohibitifs pour une grande partie de la population des pays dans lesquels Bridge opère, mais leurs frais annoncés sont trompeurs », souligne Salima Namusobya de l’Initiative for Social and Economic Right en Ouganda.
Le document souligne également la résistance de Bridge à tout examen public et ses tentatives pour limiter la transparence, s’appuyant sur une lettre récente du Comité du développement international du Parlement britannique au secrétaire d’État qui soulevait aussi cette question.
« Nous avons vu comment, au Liberia, Bridge, qui a un accord de partenariat public-privé avec l’État, a opéré dans le plus grand secret, contestant les règles de passation des marchés publics. Cela confirme la tendance pour d’autres pays, dans lesquels Bridge a été impliqué dans l’arrestation d’un chercheur indépendant, la réduction au silence des syndicats, la résistance à l’évaluation et plus encore. Il s’agit d’une société d’éducation mondiale enveloppée dans le secret et la dissimulation et c’est extrêmement inquiétant », s’alarme Anderson Miamen de la Coalition du Libéria pour la transparence et la responsabilisation dans l’éducation.
Les organisations signataires de la déclaration appellent donc les investisseurs et les donateurs à s’acquitter pleinement de leurs obligations de diligence et à cesser leur soutien à Bridge. Par ailleurs, les organisations énoncent un certain nombre de recommandations en respect des lois et normes nationales, de la transparence mais aussi de la responsabilisation, du traitement de la société civile et de la redirection des fonds vers des programmes favorisant l’équité dans le domaine de l’éducation.
« Il est important de reconnaître que la plupart des investisseurs cherchent vraiment à faire une différence dans la vie des enfants vivant dans la pauvreté. Nous partageons ces préoccupations et reconnaissons la nécessité d’améliorer considérablement l’éducation. Cependant, il existe maintenant des preuves significatives que l’investissement dans Bridge n’est pas un moyen efficace d’améliorer l’accès, l’équité et la qualité dans le domaine de l’éducation, ce qui devrait être l’objectif d’une initiative éducative visant les plus défavorisés. Nous serions heureux d’avoir l’occasion d’explorer des solutions alternatives avec les donateurs et les investisseurs, afin d’identifier des moyens plus efficaces d’investir durablement dans la mise en œuvre d’une éducation de qualité pour tous les enfants vivant dans la pauvreté », conclut Chikezie Anyanwu, de la Campagne mondiale pour l’éducation.
Cette dernière déclaration fait suite à des préoccupations répétées au sujet de l’expansion rapide et non réglementée de certains prestataires privés dans le domaine de l’éducation, en particulier commerciaux, tels que Bridge. En mai 2015, 116 organisations avaient publié une déclaration soulevant des inquiétudes relatives à des faits trompeurs concernant les coûts et la qualité des écoles Bridge. Dès lors, les éléments de preuve présentés dans la déclaration et résultant de diverses sources – rapport de l’ONU, rapport parlementaire du Royaume-Uni, travaux de recherches indépendants et médias – ont confirmé ces préoccupations et sonné l’alarme en raison de l’écart entre les promesses de Bridge et la réalité de leurs pratiques.