Réseaux, inscriptions, filières, financement : les mécanismes de l’inégalité scolaire

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Dans certains pays européens les acquis scolaires — mesurés par exemple par les tests PISA — sont très dépendants de l’origine sociale des élèves. Dans d’autres pays, ce lien peut être jusqu’à deux fois moins fort. Comment expliquer ces différences ? Une analyse statistique réalisée par le service d’étude de l’Aped à partir de la base de données PISA 2015 démontre que l’explication majeure réside dans des caractéristiques structurelles des systèmes d’enseignement. L’étude pointe en particulier tous les mécanismes générateurs de ségrégation : grande liberté de choix d’école pour les parents, polarisation en réseaux concurrents, liberté de recrutement d’élèves pour les chefs d’établissement, orientation précoce des élèves vers des filières hiérarchisées. Le niveau de financement de l’enseignement (primaire) s’avère également être un facteur important.

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1. Mesure de l’équité des systèmes éducatifs

Il existe de nombreuses façons de mesurer si un système éducatif est plus ou moins « socialement équitable », c’est-à-dire s’il parvient à faire en sorte que les acquis des élèves soient statistiquement indépendants de leur origine sociale. On peut par exemple mesurer l’écart entre les scores des élèves « riches » et « pauvres ». On peut aussi comparer les scores PISA des élèves avec leur origine sociale au moyen d’une technique statistique appelée « régression linéaire ». Celle-ci nous apprend quel est le gain moyen en performances PISA associé à une variation donnée de l’indice socio-économique. Plus ce coefficient est élevé, plus le système d’enseignement est inégal. La même régression linéaire nous apprend aussi quel pourcentage des différences de performance entre élèves s’explique par leur origine sociale : c’est le coefficient de détermination statistique, noté R2.

L’indice d’équité utilisé dans notre étude est une combinaison de ces trois grandeurs, basée sur les scores PISA 2015 en mathématiques, en lecture et en sciences. Ses valeurs sont négatives. Un indice d’équité égal à zéro, équivaudrait à une situation hypothétique où il n’y aurait aucune relation entre l’origine sociale et les scores PISA. Pour les pays européens, les indices les plus élevés (donc les plus proches de zéro) sont ceux de l’Islande (-0,54) et de la Norvège (-0,68). L’indice d’équité le plus faible est celui de la Hongrie (-1,44). La France (-1,38), la Fédération Wallonie-Bruxelles (-1,33) et la Flandre (-1,19) occupent respectivement les troisième, quatrième et septième plus mauvaises places de ce classement.

Fig 1. Indice d’équité des systèmes éducatifs européens

2. L’équité ne nuit pas aux performances

On suspecte parfois les systèmes éducatifs les plus équitables d’être moins performants que les autres. Nous avons vérifié cette hypothèse en comparant l’indice d’équité avec le score PISA moyen de chaque pays (la moyenne des scores en mathématiques, en lecture et en science). Le résultat est sans appel : là où la thèse du « nivellement par le bas » prévoyait une corrélation négative entre ces deux variables, on constate au contraire une légère mais nette corrélation positive, comme le montre la pente ascendante de la droite de régression sur le graphique. En d’autres mots, et sans vouloir préjuger de la relation causale sous-jacente, on peut affirmer qu’équité et bonnes performances moyennes ne s’excluent pas, mais vont plutôt de pair.

Fig 2. Relation positive entre équité et performances

 

3. Mesure de la ségrégation sociale

Il existe de multiples façons de mesurer la ségrégation sociale au sein d’un système scolaire. Nous vous en proposons deux ici.

Une première façon de procéder consiste à mesurer l’importance numérique des écoles « ghettos », à forte ségrégation sociale. Pour ce faire, nous identifions les établissements dont l’indice socio-économique s’éloigne fortement (de plus d’un demi écart-type) de l’indice socio-économique moyen du pays. Le pourcentage d’élèves fréquentant de telles « écoles ghettos » constitue une bonne mesure de la ségrégation sociale. On notera que les systèmes éducatifs belges et français figurent dans le peloton de tête des systèmes les plus ségrégués.

Une autre mesure, appelée « indice de ségrégation de Gorard » (GS), est le pourcentage d’élèves d’une catégorie particulière (favorisée ou défavorisée) qu’il faudrait changer d’établissement pour obtenir leur répartition uniforme dans toutes les écoles. Nous l’avons calculé pour les élèves appartenant aux deux quartiles socio-économiques extrêmes. Cet indice est un peu moins défavorables à la Belgique et à la France, même si l’écart avec les pays nordiques reste important.
Les deux indices reflètent donc à la fois la ségrégation des élèves les moins favorisés dans des « ghettos de pauvres » que la ségrégation inverse en « ghettos de riches ».

Fig 3. Deux mesures de la ségrégation sociale

 

4. Mixité sociale et équité vont de pair

La littérature scientifique regorge d’exemples montrant que les systèmes d’enseignement les plus ségrégués socialement sont aussi les plus inéquitables. Notre étude confirme cela. Quelle que soit la façon de mesurer la ségrégation sociale entre écoles, on observe systématiquement une forte corrélation négative avec l’indice d’équité. Par exemple, entre le pourcentage d’élèves qui fréquentent des écoles « ghettos » et l’indice d’équité on observe un coefficient de détermination statistique R2 = 44,9 %.

On pourrait être tenté d’en déduire que les différences entre pays européens en matière d’équité « s’expliquent » pour 45% par une ségrégation sociale plus ou moins grande. Ou, pour le dire autrement, qu’une forte mixité sociale serait généralement garante d’une plus grande égalité des résultats. Mais ce serait aller un peut vite en besogne. Car on pourrait aussi bien imaginer une causalité inverse. Peut-être que dans les systèmes éducatifs plus équitables, où les résultats des élèves et donc des écoles, sont moins liés à l’origine sociale, les parents des classes privilégiées ont moins tendance à rechercher une école de « l’entre-soi ». Et les établissements scolaires « huppés » y seraient peut-être moins enclins à pratiquer une forme de sélection sociale à l’entrée. On pourrait aussi imaginer que des caractéristiques externes, sociales ou culturelles, expliqueraient les deux phénomènes : l’iniquité des résultats et la ségrégation sociale.

Fig 4. Relation négative entre ségrégation et équité

 

5. La ségrégation fait chuter les performances

Une fois de plus, il est légitime de se demander si une plus grande mixité ne s’accompagnerait pas d’une baisse des performances. Non seulement il n’en est rien, mais on observe exactement le contraire. Quelle que soit la mesure retenue pour la ségrégation sociale, elle est systématiquement corrélée négativement avec les performances PISA. Si l’on compare par exemple l’indice de ségrégation de Gorard avec la moyenne des trois scores PISA (mathématiques, sciences, lecture), on observe une très nette corrélation linéaire négative (R2 = 20,9%) signifiant que plus de ségrégation s’accompagne généralement de performances moyennes plus faibles.

Peut-on au moins supposer qu’une plus grande ségrégation sociale serait profitable aux élèves des familles les plus favorisées ? Eh bien cela ne semble pas être le cas. Même si l’on considère le score PISA moyen des seuls élèves appartenant au quartile socio-économique supérieur (les 25% les plus riches), on observe systématiquement une corrélation négative ou quasiment nulle. En d’autres mots, si la pratique de la ségrégation sociale semble bien donner aux enfants des classes supérieures un avantage relatif par rapport aux enfants des classes populaires, elle ne leur procure en revanche aucun avantage absolu et même plutôt un léger désavantage en termes de niveaux d’apprentissage.

Fig 5. Relation négative entre ségrégation sociale et performances moyennes

 

6. Quelques facteurs de ségrégation

Nous avons souligné plus haut la difficulté de déterminer les relations causales sous-jacentes à la corrélation entre ségrégation et iniquité. La ségrégation sociale des élèves produit-elle de l’inégalité de résultats ? Ou est-ce le contraire ? Ou les deux ? Pour sortir de ce dilemme, nous adoptons une démarche plus pragmatique. Elle consiste à identifier un certain nombre de caractéristiques structurelles des systèmes éducatifs, des caractéristiques qui résultent directement de choix politiques et qui sont potentiellement génératrices de ségrégation. Nous examinons ensuite si ces caractéristiques sont ou non corrélées avec le degré d’équité. Dans l’affirmative, nous n’aurons certes toujours pas de certitude sur la fait que la mixité sociale produit de l’équité, mais nous aurons au moins démontré que les politiques qui favorisent cette mixité favorisent également l’équité. Nous souhaitons en particulier examiner l’effet de deux grandes catégories de caractéristiques : celles liées à l’existence d’un libre marché scolaire et celles qui génèrent une orientation hiérarchisante.

Variables caractéristiques d’une organisation en « quasi-marché » scolaire

Liberté de choix des parents Cet indice a été construit sur base des informations fournies par le service Eurydice à propos de l’organisation des inscriptions dans l’enseignement primaire public. Dans l’enseignement privé l’indice est supposé égal à 1 (totale liberté). L’indice retenu est est une moyenne de ces deux valeurs, pondérées par la part relative d’enseignement public et d’enseignement privé dans le pays.
Polarisation en réseaux privé et public Cet indice évalue dans quelle mesure les systèmes éducatifs sont divisés en deux réseaux, privé et public, concurrents. La formule de calcul associe un indice élevé aux pays où le pourcentage d’élèves de chaque réseau est proche de 50%. Au contraire un pays où presque tous les élèves fréquentent le même réseau (qu’il soit libre ou privé) aura un indice de polarisation proche de zéro.
Liberté de recrutement des élèves par les écoles Cet indice mesure si les écoles sont libres de sélectionner les élèves sur base de leurs résultats antérieurs (indice plus élevé) ou au contraire si elles doivent donner la priorité aux élèves d’une zone de recrutement (indice plus faible). Il a été calculé sur base des réponses des chefs d’établissement dans le volet « écoles » de l’enquête PISA.

 

Variables caractéristiques de la filiarisation

Taux de filiarisation Il s’agit du pourcentage d’élèves qui, à 15 ans, ne fréquentent plus la filière « principale » (généralement, celle de l’enseignement général). Par exemple, en Flandre, 45% des élèves fréquentent l’enseignement secondaire général. Le taux de filiarisation est donc de 55.
Nombre d’années de filiarisation Cet indice est égal au nombre d’années durant lesquelles les élèves ont été séparés en filières, avant l’âge de 15 ans quand ont lieu les enquêtes PISA.

 

7. Le marché scolaire nuit gravement à l’équité

Nous disposons maintenant des outils qui vont permettre d’étudier l’impact des facteurs de ségrégation — quasi-marché d’une part, filiarisation d’autre part — sur l’équité des systèmes éducatifs. Nous commençons par les trois variables caractéristiques de l’organisation en quasi-marché.

Un calcul de régression linéaire montre que ces trois variables — liberté de choix des parents, polarisation en réseaux, liberté de recrutement des écoles — expliquent au moins 34% des différences d’équité scolaire entre pays européens. Si l’on exclut les Pays Bas, dont l’échantillon PISA n’offre pas réellement une garantie suffisante de représentativité (Voir « L’imbroglio hollandais » au bas de cet article), on monte à 45,1 % de la variance de l’équité expliquée par le quasi-marché scolaire.

Des coefficients fournis par la régression linéaire permettent de combiner les trois indices de quasi-marché. Sans surprise, la Flandre (VLG) et la Fédération Wallonie-Bruxelles(FWB) figurent (en bas à droite sur le graphique) parmi les pays dont l’indice de quasi-marché est le plus élevé. La position de la France (tout en bas) peut sembler étonnante si l’on ne garde en tête que l’existence d’une carte scolaire relativement contraignante dans ce pays est contrebalancée par une forte polarisation en réseaux et, semble-t-il, la liberté des chefs d’établissements privés de sélectionner les élèves à l’entrée.

Fig 6. Relation négative entre quasi-marché et équité

8. Un « tronc commun » de longue durée favorise l’équité

Nous recommençons le même exercice que ci-dessus, cette fois avec les variables caractéristiques de la division plus ou moins précoce et plus ou moins forte des élèves en filières hiérarchisées. On constate la combinaison de ces deux variables permet d’expliquer au moins 41 % de la variance de l’équité au sein des systèmes éducatifs européens. En excluant les Pays-Bas, on grimpe à 46 %

Un tronc commun de longue durée est donc bien, statistiquement, associé à une plus grande égalité des performances par origine sociale.

Fig 7. Relation négative entre filiarisation et équité

 

9. Effet combiné des structures ségrégatives

34% à 45% pour le quasi-marché, 41% à 46% pour la filiarisation… On pourrait se dire, naïvement, qu’en combinant toutes les variables, donc toutes les caractéristiques génératrices de ségrégation, on arriverait à plus de 80% d’explication de l’équité. Il n‘en est rien. On ne peut pas simplement additionner les R2 car les variables de quasi-marché et de filiarisation sont aussi corrélées entre elles : les pays qui séparent les élèves plus tard sont souvent aussi ceux qui laissent moins de liberté au marché scolaire.

En réalité, la combinaison des cinq variables caractéristiques de structures ségrégatives permet d’expliquer 44% à 55% (avec ou sans les Pays-Bas) de la variance de l’équité. C’est énorme : cela signifie qu’il est totalement vain de prétendre s’attaquer aux inégalités scolaires sans s’attaquer simultanément aux deux grands mécanismes responsables : les marchés scolaires et la sélection/orientation précoce.

Fig 8. Relation négative entre les facteurs de ségrégation et l’équité

 

10. Moins d’inégalités si l’école primaire est mieux financée

On affirme souvent que le niveau de financement de l’enseignement ne serait pas un facteur très important. Afin de vérifier cette assertion, nous avons construit un indice de financement basé sur le rapport entre les dépenses par élève dans l’enseignement de base (primaire et début secondaire) et le PIB par habitant du pays concerné. Il s’agit donc d’un indice de financement relatif à la richesse du pays.

Comme le montre le graphique, les systèmes éducatifs français et belge francophone se situent à peu près au niveau médian européen. La Flandre est un peu mieux dotée. La Suisse, l’Irlande et les pays nordiques figurent parmi les plus généreux.

Cet indice de financement explique, à lui seul, près de 7% de la variance de l’équité (R2 = 6,77 %). Il s’agit, bien d’une corrélation positive : plus de financement produit plus d’équité. Lorsqu’on ajoute cette variable au modèle précédent, son pouvoir explicatif des différences d’équité passe à 49,5% (+5,8 points) et même à 65,1 % si l’on exclut les Pays-Bas (+10 points). Sur le graphique, les pays qui sont à droite sont ceux qui ont les structures ségrégatives les plus poussées et qui ont le financement le plus maigre.

Fig 9. Ségrégation + sous-financement = inégalité

11. Efficacité prouvée du programme de l’Aped

En ajoutant les taux de redoublement à notre modèle statistique, on arrive à une part de variance d’équité expliquée comprise entre 52,8% (avec les Pays-Bas) et 66,7% (avec les Pays-Bas).

La combinaison des facteurs de ségrégation et des variables « financement » et « redoublement » permet de construire un indice « système éducatif » qui figure en abscisse de ce graphique. Les pays ou systèmes éducatifs qui figurent à droite du graphique associent les caractéristiques d’un marché scolaire très libéral avec un faible financement et un recours régulier au redoublement des élèves. Les pays situés en haut à gauche du graphique ont peu de marché scolaire, pratiquent peu le redoublement et consacrent davantage de moyens financiers à l’enseignement : en clair leurs structures correspondent davantage à ce que préconise notre association l’Appel pour une école démocratique. Seuls les Pays-Bas semblent échapper à la règle générale mais, comme nous le savons, les données pour ce pays-là sont hautement sujettes à caution.

Fig 10. Relation entre l’équité et la combinaison des caractéristiques identifiées.

 

12. Inégalités sociales et immigration ne sont pas des excuses

Il se pourrait évidemment que des facteurs externes influencent également le degré d’équité de l’enseignement. Il semble par exemple légitime de supposer que les pays qui connaissent de plus grandes inégalités de revenus ou de fortune présentent également de plus grandes disparités sociales dans les résultats scolaires. De même pourrait-on émettre l’hypothèse qu’une présence plus ou moins importante d’élèves issus de l’immigration influencerait l’équité en raison, par exemple, du « handicap » scolaire lié à la langue maternelle.

Comme variable d’inégalité de revenus, nous utilisons le « rapport interquintile » : rapport entre le revenu minimum des 20% les plus riches et le revenu maximum des 20% les plus pauvres. Pour l’immigration, nous avons retenu le pourcentage total d’élèves issus de l’immigration à 15 ans.

Contre toute attente, l’adjonction de ces deux variables n’augmente pas du tout (ensemble des pays) ou quasiment pas (sans les Pays-Bas) le pouvoir explicatif (R2 ajusté) de notre modèle. En d’autres mots, les pays les plus inéquitables en matière d’enseignement — France et Belgique notamment — ne peuvent pas invoquer une plus grande inégalité de revenus ou davantage d’immigration que les pays nordiques pour justifier leur triste record d’iniquité…

Conclusions

Nous avons pu montrer que les différences entre pays européens, en matière d’équité de l’enseignement, s’expliquent pour 53 % à 67 % (selon que l’on intègre ou non les résultats discutables des Pays-Bas) par des caractéristiques internes, structurelles, des systèmes éducatifs : le degré de liberté de choix des parents, l’existence de réseaux concurrents, la possibilité pour les écoles de sélectionner leurs élèves, la filiarisation plus ou moins précoce et plus ou moins importante, le niveau de financement et la pratique du redoublement. Parmi ces facteurs, les structures génératrices de ségrégation (quasi-marché et filiarisation) ont un impact prépondérant (49% à 65%).

Ces résultats confirment l’une des thèses centrales de l’Appel pour une école démocratique : il est vain de vouloir améliorer sensiblement l’équité des systèmes éducatifs belges ou français, sans s’attaquer simultanément aux deux grands mécanismes structurels qui produisent la ségrégation et l’iniquité : les quasi-marché scolaires (libre choix, réseaux, etc.) et la sélection hiérarchisante.

Or, le Pacte d’excellence, dans sa version actuelle, ne touche ni aux réseaux, ni aux mécanismes d’inscription dans les écoles. Il prévoit certes un tronc commun jusque 15 ans, mais sur le papier seulement puisqu’à 12 ans les élèves (ou leurs parents) devront tout de même s’inscrire dans un établissement qui prépare soit à l’enseignement général soit aux filières qualifiantes. On maintiendra donc, dans les faits, une sélection précoce.

Au vu des résultats de notre étude, nous appelons tous les acteurs du Pacte à revoir leur copie en y intégrant :

  • la fusion des réseaux en un unique réseau public d’écoles bénéficiant d’une large autonomie ;
  • une politique d’inscription scolaire fondée sur le principe de proposer aux parents une place dans une école mixte et proche, dès le début du tronc commun ;
  • une procédure centralisée, afin d’éviter toute pression directe ou indirecte de la part de chefs d’établissement, en vue de « sélectionner » leurs élèves ;
  • la création d’un premier cycle secondaire autonome, géographiquement séparé du secondaire supérieur et de ses filières.
  • une amélioration importante de l’encadrement en début de scolarité, afin de ne pas dépasser 15 élèves par classe.

L’imbroglio hollandais

Dans les graphiques qui accompagnent cet article, on remarquera souvent la position atypique des Pays-Bas. Le système éducatif hollandais laisse une grande liberté au marché scolaire et pratique une sélection précoce, sans que se creusent démesurément les écarts sociaux dans les acquis des élèves. Les Bataves auraient-ils trouvé la recette miraculeuse d’un enseignement combinant liberté, méritocratie et équité ?

En réalité, à y regarder de plus près, les données PISA des Pays-Bas n’offrent pas de garanties suffisantes de crédibilité.

Explication. Au début d’une campagne d’enquête PISA, on commence par identifier, dans chaque pays, un échantillon représentatif d’établissements scolaires. En général, les écoles publiques sont obligées de participer. Mais dans certains pays, comme aux Pays Bas, on laisse une grande liberté aux établissements. Si une école refuse de participer à PISA, on la remplace par une autre école volontaire mais, du coup, l’échantillon est moins représentatif et on crée des biais dans l’étude. On peut par exemple supposer que les écoles qui travaillent dans des conditions plus difficiles ont davantage tendance à refuser.

Le Consortium PISA estime que pour garantir une bonne représentativité de l’échantillon il faut un taux de participation minimal de 85% pour les établissements sélectionnés initialement. De 85% à 65% on juge cette représentativité « acceptable ».

Parmi les pays européens, presque tous ont des taux largement supérieurs au seuil de 85% et souvent proches de 100%. Deux pays sont juste sous le seuil : le Royaume Uni (84%) et la Belgique (83%). l’Italie, avec 74%, est dans les conditions « acceptables ». Mais les Pays Bas — sans doute précisément à cause du caractère très libéral de leur enseignement — sont en-dessous du seuil de tolérance : sur les 201 établissements sélectionnés initialement, seuls 125 ont acceptés de participer à l’enquête PISA, soit 63%.

En toute rigueur, les résultats hollandais ne devraient donc pas être considérés comme « acceptables ». Néanmoins, en retirant purement et simplement les Pays Bas de notre étude, nous encourions le reproche d’avoir « arrangé les données » pour les faire coller à nos modèles. Nous avons donc pris le parti de conserver l’ensemble des pays. Cependant, nous mentionnerons régulièrement les résultats obtenus avec et sans les Pays Bas.

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.