La plupart des enseignants de terrain en sont convaincus : ils travaillent mieux et obtiennent de meilleurs résultats dans des classes pas trop peuplée. S’ils reconnaissent volontiers que des groupes trop petits, de moins de dix élèves par exemple, manquent un peu de répondant et possibilité d’échanges, ils sont également unanimes à considérer qu’à partir de 25 élèves les conditions de travail deviennent très difficiles.
Depuis quelques années, il est de bon ton d’affirmer que les effectifs des classes n’auraient guère d’influence sur la qualité de l’enseignement. Si la thèse est compréhensible – mais peu crédible – dans la bouche de décideurs politiques cherchant à justifier l’austérité budgétaire, elle devient plus troublante lorsqu’on la trouve brandie par des chercheurs en sciences de l’éducation ou même par certains militants de mouvements pédagogiques. L’essentiel, nous disent-ils, n’est pas de réduire la taille des classes mais de rénover nos pratiques pédagogiques. D’autres, plus nuancés, estiment que la réduction des effectifs peut être efficace, à condition toutefois qu’elle soit utilisée pour permettre l’innovation pédagogique. Le consensus semble régner sur un point : une simple réduction du nombre d’élèves, sans réformer les pratiques, serait inopérante ou très peu efficace.
Cette croyance est pourtant largement démentie par les résultats d’une étude américaine menée dans les années 80 et 90 : le programme STAR (Student-Teacher Achievement Ratio). En gros, STAR a consisté à suivre l’évolution des résultats et du parcours scolaire d’une cohorte de 11.600 élèves de 79 écoles, entrée en 1985 au Kindergarten (l’année pré-primaire) dans l’Etat du Tennessee. Dans chaque école participante, le Département de l’Education du Tennessee a réparti aléatoirement les élèves et les enseignants en trois types de classes : des petites classes (13 à 17 élèves), des classes «normales» (typiquement 22 à 25 élèves) et des classes de taille normale, mais assistées d’un aide-enseignant. Les élèves ont été maintenus, tant que faire se pouvait, dans le même type de classe durant quatre années (du Kindergarten à Grade 3, la troisième année primaire). Ensuite, à partir de la 4e primaire, ils ont été mélangés mais on a continué de suivre, chaque année, leurs résultats lors de tests standardisés en lecture et en mathématiques.
La littérature scientifique produite à partir de STAR est énorme. Nous y avons déjà consacré un long article voici quelques années. De manière générale, STAR a montré que les élèves des petites classes surpassaient les élèves des classes normales ainsi que ceux des classes avec aide, et ce dans toutes les zones géographiques et dans toutes les années d’étude. Impossible ici de citer tous les résultats produits. Les chercheurs Finn et Achilles ont par exemple calculé quel était l’avantage moyen des élèves scolarisés pendant quatre ans dans des petites classes, par rapport à leurs condisciples scolarisés en classes normales. Cet avantage s’exprime en mois ou années d’étude. Le tableau suivant représente le bénéfice de quatre années successives passées en petites classes (depuis Kindergarten jusqu’à Grade 3) mesuré aux niveaux Grade 4, Grade 6 et Grade 8 [FINN 1999].
Bénéfice à moyen terme de quatre année passées en petites classes (exprimé en équivalences de niveaux ) | |||
Grade 4 | Grade 6 | Grade 8 | |
Mathématique | 5,9 mois > |
8,4 mois |
1 an, 1 mois |
Lecture |
9,1 mois |
9,2 mois |
1 ans, 2 mois |
Science |
7,6 mois |
6,7 mois |
1 an, 1 mois |
Les résultats sont remarquables puisque le bénéfice d’avoir passé quatre années initiales en petites classes continue de s’accroître d’année en année par la suite. En Grade 8 (l’équivalent de notre deuxième année secondaire), les élèves qui avaient passé les quatre années du début de leur scolarité en petites classes ont plus d’un an d’avance, en mathématique, en lecture et en sciences, sur les élèves des classes normales !
Les chiffres ci-dessus concernent les élèves qui ont bénéficié de petites classes durant quatre années. Pour les élèves ayant passé seulement deux ou trois années en petites classes, le bénéfice est moins net, mais toujours statistiquement significatif, du moins jusqu’à Grade 8. En revanche, on a observé qu’à partir de Grade 9, l’avantage de ces élèves tendait à disparaître. Ce fait a été largement exploité par certains auteurs qui, pour des raisons essentiellement idéologiques, tentaient de minimiser l’impact des conclusions de STAR. Mal leur en pris puisqu’en 1997, Jayne Boyd-Zaharias trouvait l’explication de cette apparente anomalie. Il se faisait que, d’année en année, le nombre d’élèves de l’étude STAR qui continuaient d’être suivis s’amenuisait de plus en plus. Par un intense travail de prospection, Jayne Boyd-Zaharias est parvenue à retrouver les élèves manquants. Il s’agissait pour l’essentiel d’élèves ayant décroché ou accusant une ou plusieurs années de retard scolaire. Jayne Boyd-Zaharias a ainsi pu montrer que les élèves du groupe «petites classes» étaient proportionnellement beaucoup moins nombreux à avoir redoublé une année. Par exemple, durant l’année scolaire 95-96 (dix ans après le début de l’étude) on comptait, dans le district de Nashville-Davidson, 43,5% d’élèves en retard parmi ceux qui avaient été initialement scolarisés en classes de taille «normale», contre seulement 16,7% d’élèves en retard dans le groupe des «petites classes» ! Deux ans plus tôt, ces pourcentages étaient respectivement de 11,6% et 7,5%. En d’autres mots, à la charnière des Grade 8, 9 et 10, le retard scolaire des élèves les plus faibles se transforme en une explosion des taux de redoublement. Dès lors l’apparente réduction de l’effet bénéfique des petites classes observée seulement sur les élèves «à l’heure», camoufle en fait une énorme inégalité : si les élèves issus de classes de taille normale sont à égalité avec ceux des petites classes, c’est uniquement parce que près de la moitié des premiers ont été évincés des statistiques par leur redoublement !
Jayne Boyd-Zaharias a aussi eu accès aux résultats des évaluations effectuées par les professeurs d’un district ayant participé à l’étude Star. Pour l’année 1994-1995, toutes classes confondues (élèves à l’heure et élèves en retard), les moyennes de points en Anglais sont de 76,1/100 pour les élèves initialement scolarisés en petites classes, contre 63,6 pour les élèves issus de classes normales. Même écart en math : 73,5 contre 62,5; et en Sciences : 74,6 contre 64.
Aux USA, l’inscription à un cours de langue étrangère en fin d’enseignement secondaire est facultative. Mais ce choix est évidemment fortement corrélé aux performances académiques générales des élèves. Jayne Boyd-Zaharias a pu monter que pour l’année scolaire 1994-1995, pour l’ensemble des élèves de Grade 9 du district de Nashvill-Davidson, 52,7% des élèves de l’échantillon «petites classes» de Star avaient choisi un cours de langue étrangère, contre 30,5% des élèves de l’échantillon «classes normales».
Un résultat plus interpellant encore concerne les décrochages scolaires. Selon les chiffres relevés dans un district (Pickett & Fentress) le nombre des élèves qui ont abandonné l’école, qui ont été exclu de leur école ou qui sont en prison se monte à 8,5% de l’échantillon pour les classes «normales», contre 1,8% pour les «petites classes» (année 95-96). A Nashville-Davidson, Jayne Boyd-Zaharias a pu obtenir le nombre de jours de renvoi infligés aux élèves des deux échantillons. En Grade 10 cela donne : 32 jours pour 100 élèves dans le groupe «petites classes», contre 62 jours pour 100 élèves dans le groupe «classes normales». De même le nombre de jours d’absence des élèves en secondaire semble influencé par la taille des classes qu’ils ont fréquenté en début d’enseignement primaire.
Ce bénéfice à long terme est une des toutes grandes leçons de l’étude STAR. Et de nouvelles données continuent régulièrement d’arriver, qui confirment cette conclusion. Ainsi, les étudiants STAR n’ayant pas subi de retard scolaire ont achevé la High School (l’équivalent américain du lycée) au printemps 1998. En avril 1999, Alan Krueger et Diane Whitmore ont fait état des résultats préliminaires d’une analyse du taux de participation de ces étudiants aux examens d’entrée du premier cycle post-secondaire, le College (les tests ACT et SAT). Parmi les étudiants ayant passé leur première année STAR en petites classes, 43,7% ont présenté le test ACT ou SAT, contre 40% des étudiants scolarisés en classes normales durant leur première année STAR. Pour les étudiants noirs, la participation initiale à une petite classe était nettement plus bénéfique : 40,2% de participation aux tests ACT ou AST, contre 31,7% pour ceux qui avaient initialement fréquenté une classe normale. En d’autres termes, le fait d’avoir fréquenté une petite classe plutôt qu’une classe normale (durant la seule première année de participation à l’étude STAR) suffisait à réduire de 54% l’écart entre blancs et noirs dans la participation aux tests d’entrée du College… 12 ans plus tard ! Il importe de remarquer que, bien qu’une proportion plus élevée des étudiants de petites classes STAR aient présenté les examens ACT ou SAT, leurs résultats moyens à ces tests ont été les mêmes que ceux des classes normales. On aurait en effet pu supposer qu’une participation plus large se traduirait par une baisse des résultats moyens. Il n’en est rien. En d’autres mots, il ne s’agit pas simplement d’un effet d’incitation à présenter le test. [Krueger 1998]