Autant l’écrire d’emblée. S’il y a bien un domaine dans lequel le GC s’avance dans une direction susceptible de nous réjouir, c’est bien au sujet du « tronc commun redéfini et renforcé » pour reprendre ses termes.
Nous avons bien dit « susceptible de nous réjouir », car si on peut énumérer différents points très positifs à nos yeux, il y en malheureusement d’autres pour lesquelles nous émettrons plus de réserves voire d’objections. Surtout, et c’est plus grave encore, nous estimons que toutes les conditions ne seront pas réunies pour « réussir » vraiment le tronc commun (TC). Ce qui risque d’être extrêmement contre-productif.
Un tronc commun plus long
Le principe de ce qui est appelé « allongement du tronc commun » est acquis. Il s’agit d’une année supplémentaire ce qui signifie que le TC concernerait les trois premières années du secondaire. Après évaluation, l’allongement d’une année supplémentaire « pourrait être envisagé ». Voilà qui nous amènerait au programme de l’Aped sur ce point. En attendant, un vrai TC jusqu’en fin de 3ème secondaire représenterait déjà un énorme progrès. Nous écrivons « vrai TC » car à vrai dire l’expression « allonger d’un an » nous dérange un peu. Elle sous-entend qu’actuellement, il existe déjà un TC jusqu’en 2ème secondaire inclus. Or, rien n’est moins vrai. Premièrement, parce que certains élèves n’ont pas leur CEB (Certificat d’Etudes de Base obtenu normalement en fin de primaire). Ils sont donc placés en 1ère différenciée, puis en 2ème différenciée s’ils ne l’ont toujours pas. Deuxièmement parce que 4 heures d’options existent toujours. Or, ces options sont très clivantes. Quatre heures de latin ici, du bricolage pompeusement appelé « initiation technologique » là. Par ailleurs, les écoles n’organisent pas au hasard ces options. En fonction du cursus ultérieur, le collège réputé fera goûter aux futures élites, les branches « nobles » pendant que l’école technique et professionnelle initiera au travail manuel et commencera à préparer aux orientations qu’elle propose. Cette situation entraîne de grandes différences dans le recrutement des élèves. Car les inégalités sociales produisent des attentes différentes concernant la scolarité, notamment – mais pas seulement – parce qu’elles se traduisent déjà en inégalités de résultats dès le primaire. En conséquence, beaucoup d’écoles sont très typées en fonction de leur public cible. Et comme les programmes sont extrêmement vagues en ce qui concerne les contenus, la tentation est grande de « s’adapter ». Du dépassement pour la future élite et la portion congrue pour « ceux qui n’en auront quand même pas besoin ». On le voit, on est bien loin actuellement de 8 années de TC.
Soyons de bon compte. Il semble bien que les acteurs du Pacte tiennent compte de cette réalité et ont l’intention d’y remédier. En effet, ils proposent de supprimer tout premier degré différencié puisque le CEB se verrait « conférer une valeur non certificative ». Par ailleurs, une réponse théorique est également donnée pour ce qui est de la différenciation des établissements : « le tronc commun redéfini et renforcé devrait idéalement être mis en œuvre au sein d’établissements non étiquetés par la spécialisation de leurs filières ultérieures, ce qui suppose l’organisation de premiers degrés autonomes au cours des trois années du nouveau premier degré du secondaire. La séparation géographique des établissements du tronc commun de ceux qui accueillent les années suivantes (…) ». Le problème, c’est que dans les faits, le risque est très grand que ça ne se réalise pas. Car le GC précise lui-même qu’il s’agit « d’une transformation de très grande échelle qui pose de nombreux défis, mais qui devrait au minimum s’envisager pour la construction/aménagement de nouvelles classes/écoles ». Dans l’urgence des défis démographiques provenant de l’incurie de gestion des dix ou quinze dernières années, il n’est pas du tout certain qu’on prendra le temps d’intégrer cette réflexion pour les nouvelles structures. On le voit, cette proposition intéressante risque fort de rester lettre morte. Sans nier les difficultés pratiques d’un tel objectif, une piste serait à notre avis de rapprocher le primaire et le premier degré du secondaire actuels. Si on considère le TC davantage comme un continuum depuis le début de la scolarité jusqu’à la fin du processus, on peut trouver des solutions pour résoudre partiellement le problème pratique de la séparation des bâtiments entre le TC et la suite. Mais ce ne serait pas le seul avantage de ce continuum. Il permettrait aussi davantage de cohérence et de collaborations à tous les stades du curusus commun.
Pour ce qui est de l’introduction d’options, la philosophie des travaux du Pacte ne semble pas aller dans ce sens. Mais on aimerait quand même voir écrit explicitement qu’il n’y en aura plus dans le cursus certificatif.
Une formation polytechnique
Nous abordons la question de la finalité, et donc des contenus, dans un autre article. Mais nous pouvons quand même ici nous réjouir de la volonté d’introduire un TC « authentiquement polytechnique » c’est-à-dire la volonté de voir une formation technologique s’articuler avec une formation générale toutes deux ambitieuses. En tout cas sur papier. Car nous aimerions quand même être certains que la conception d’une formation polytechnique des acteurs du Pacte correspond à la nôtre. Y aura-t-il des ateliers scolaires dans lesquels les jeunes pourront manipuler, expérimenter, réaliser des projets concrets ? Des cours de technologies ? Une dimension technologique introduite dans des cours traditionnels comme ceux d’histoire par exemple ? Des découvertes sur le terrain ?
Là où nous sommes moins enthousiastes, c’est lorsqu’il nous semble constater que, pour certains, la dernière année du TC devrait avoir pour ambition principale l’orientation future. Certes, nous pensons aussi qu’un TC suffisamment long offre « la garantie de la maturation du choix d’orientation ultérieur, notamment par le recul du choix des filières de spécialisation ». Mais l’insistance particulière, à plusieurs endroits, sur ce genre de considérations nous fait craindre une vision beaucoup trop orientante du TC au détriment de la formation citoyenne.
Va-t-on réussir ?
Mais l’enjeu principal du TC en dehors de ses objectifs en termes de contenus est évidemment de le voir « réussir ». Ca signifie montrer qu’il est possible d’amener tous les élèves d’une classe d’âge à maîtriser suffisamment de connaissances et de compétences pour leur permettre d’être scolarisés dans des classes hétérogènes jusque 15 ans dans un premier temps. A l’Aped, nous sommes convaincus que c’est le cas. Mais nous pensons aussi que certaines conditions importantes doivent être remplies pour cela. Le GC ne dit d’ailleurs pas autre chose. Il énumère ce qu’il considère comme ces conditions. Nous nous retrouvons derrière celles-ci. Elles sont de nature pédagogique et ont donc des conséquences en matière de formation initiale et continuée des enseignants. Elles concernent aussi des réflexions que nous partageons sur le poids des évaluations certificatives ainsi que sur la nécessité d’évaluations centralisées formatives à quelques moments importants du cursus. Nous soutenons également la nécessité d’un phasage. De même, nous ne pouvons qu’acquiescer aux conditions qui concernent les modalités structurelles du TC : « a) assurer une réelle mixité des élèves (hétérogénéité sociale, culturelle et scolaire) au sein des établissements et des classes ; b) de mettre en place l’ensemble des mécanismes de soutien, d’accompagnement et de remédiation tout au long du parcours qui sont propres à l’école inclusive ». Mais on l’a vu, ces conditions-là risquent fort de ne pas être remplies ! A nos yeux, c’est catastrophique car nous pensons que le TC risque d’être un gros échec dans ce cas. D’autant plus que les conditions mentionnées restent insuffisantes. Il faut aussi remplir les conditions matérielles et pédagogiques qui assurent le plaisir de vivre à l’école (locaux agréables, écoles de petite taille, encadrement suffisant, école ouverte, école lieu de vie…). Comme on l’a vu dans un autre article, les moyens risquent fort de manquer pour remplir toutes ces conditions. Avec la double conséquence dramatique suivante. D’une part, les inégalités de fait persisteront. D’autre part, ceux qui s’opposent au TC disposeront alors d’arguments en béton. Et ceux qui doutaient mais ce seront lancés honnêtement dans l’aventure seront convaincus que « ça ne marche pas ». Cette conséquence est la plus terrible car elle risque fort de produire un retour en arrière très fâcheux qui rendrait impossible pour longtemps toute démocratisation de l’enseignement