C’est lorsqu’il tente de répondre à cette question que le GC est manifestement le plus incohérent. Comment s’en étonner ? Cette problématique est éminent politique. Et si tous les acteurs du GC plus celui que l’on appelle pudiquement « le consultant » formaient une entité plus ou moins homogène politiquement, ça se saurait …
Revenons à la question. En gros, les progressistes y répondent souvent en invoquant la citoyenneté et l’émancipation. Citoyenneté parce que les jeunes doivent être en capacité d’exercer leurs droits démocratiques. Ca signifie qu’ils sont en mesure de comprendre les enjeux de société dans toute leur complexité, d’en percevoir les contradictions, d’être capables de les dépasser et de faire des choix cohérents en toute connaissance de cause. L’émancipation parce que tous les jeunes doivent pouvoir vivre et parfois survivre dans notre société, mais aussi être capable de la changer collectivement et croire que c’est possible. Aucun progressiste ne pourrait en effet plus se satisfaire de notre Monde tel qu’il fonctionne. Mais évidemment aucun progressiste ne niera qu’il faut aussi acquérir des compétences professionnelles afin de répondre aux besoins collectifs et de permettre à chacun de s’épanouir dans son travail.
Ceux qui se rapprochent davantage d’une conception plus droitière (ou libérale) du Monde considèrent en général que l’Ecole doit surtout répondre aux besoins du marché du travail en approvisionnant celui-ci en main d’œuvre à la fois suffisante en quantité et qualifiée selon ses attentes. Mais ils ne contesteront en général pas l’importance d’une certaine socialisation pour chaque individu. Voire même d’éduquer toute une classe d’âge selon certaines valeurs citoyennes. Mais ils n’y mettront pas le même sens. Valeurs citoyennes signifiant pour eux « respect de nos institutions démocratiques ».
Les documents du Pacte oscillent en permanence entre les deux approches et toutes leurs variantes.
On aura compris que la citoyenneté, en tout cas celle que nous appelons de nos vœux, implique beaucoup de connaissances. L’Approche Par Compétences (APC) que nous avons connu depuis une quinzaine d’années réduisait (et réduit toujours) celles-ci, au mieux, à un moyen d’acquérir un certain nombre de compétences. Elles ne sont plus vraiment considérées comme un objectif en soi. C’est inacceptable et il semble bien que le GC veut corriger ça. Ainsi, contrairement à l’APC qui impose une et une seule approche pédagogique, les acteurs du Pacte affirment qu’il « n’existe pas une unique « bonne » façon d’enseigner ». Mais que, par contre, il convient « de revaloriser globalement la place des savoirs disciplinaires et culturels fondamentaux, au vu, notamment de leur caractère émancipateur intrinsèque et fondateur d’une culture citoyenne partagée ; de veiller à ce que la place et la valorisation des savoirs disciplinaires soient harmonisées au sein des différents référentiels ». 1 – 0 pour les progressistes.
En abordant « les grandes finalités du tronc commun », le GC évoque 7 domaines d’apprentissage. Les 5 premiers consistent en des savoirs généraux et technologiques. On y développe explicitement l’importance de la maîtrise de la langue d’enseignement et « d’au moins une autre langue », des mathématiques, des sciences naturelles, de la philosophie, de l’expression artistique, de la géographie et de l’éducation technologique dans des termes intéressants. Deux bémols tout de même. L’histoire et l’économie ne sont évoquées que par une phrase chacune. « Construire un cadre spatio-temporel dynamique au sein duquel le jeune peut se situer et situer les événements contemporains au regard du passé » pour la première et « maitriser les principes économiques élémentaires à l’œuvre dans notre société » pour la deuxième. C’est un peu court pour deux disciplines parmi les plus potentiellement porteuses en termes de citoyenneté ! Il nous semble par exemple qu’un cours d’économie ne devrait pas se contenter de faire maîtriser ce qui est à l’œuvre, mais aussi ce qui pourrait l’être si on veut éviter un pur endoctrinement et l’instillation du fameux « il n’y a pas d’alternative ».
Plus ennuyeux : les deux autres domaines sont « la créativité, l’engagement » et surtout « l’esprit d’entreprendre » pour l’un et « apprendre à apprendre » pour l’autre. Ennuyeux d’abord parce qu’il ne s’agit pas ici de connaissances ni même de compétences, mais plutôt d’attitudes à développer. Il y a une sorte de confusion de genres à considérer cela comme des domaines d’enseignement. Ennuyeux surtout parce qu’il s’agit très clairement d’une demande patronale. Depuis longtemps, les think thank patronaux mènent un travail intense de lobbying à tous les niveaux (international, européen, nationaux) pour introduire de telles considérations dans les objectifs de l’enseignement. Pour différentes raisons, mais entre autres parce que ça correspond aux besoins du marché du travail dans cette période d’instabilité et d’évolution permanente. 1 – 1.
D’autres aspects du Pacte vont dans ce sens. Par exemple, la place accordée à la transition numérique. Nous ne nions évidemment pas l’intérêt que cette question soit abordée en classe. Nous y sommes même favorables si c’est fait de manière équilibrée c’est-à-dire en éveillant aux dérives possibles, aux dangers, en permettant de mieux comprendre les évolutions de nos sociétés. Mais il nous apparait que le poids qui est accordé à ce point est disproportionné par rapport à d’autres. Or, là aussi l’alphabétisation numérique correspond bel et bien à une importante attente des marchés du travail. 2-1 pour la droite et le monde patronal.
L’orientation vers le marché du travail semble définitivement l’emporter lorsqu’on voit, comme l’explique Nico Hirtt dans un autre article, que les objectifs de l’enseignement qualifiant se limitent quasi exclusivement à répondre à ses besoins. Bien sûr, personne ne niera que la formation professionnelle a son importance à ce stade. Mais nous sommes toujours dans l’enseignement obligatoire et il est illusoire d’imaginer que la formation citoyenne soit aboutie à 15 ans. Ce que sous-entend d’ailleurs le GC en écrivant à propos des domaines d’enseignement : « plusieurs de ces objectifs seront prolongés, voire développés, dans la formation commune se poursuivant au-delà du TC ». Si cette phrase est prise au sérieux, une formation commune ambitieuse serait envisagée dans tout le qualifiant. Et elle serait identique avec celle qui proposée dans l’autre filière, celle de transition. Il semble pourtant que ce ne soit pas du tout le cas. A moins que par « plusieurs objectifs » on ne vise que les deux derniers domaines soit l’esprit d’entreprendre et apprendre à apprendre ?
Voilà pour les incohérences : des savoirs citoyens, des objectifs émancipateurs et puis la transition numérique comme phare et la réponse aux attentes patronales sur le marché du travail. Un coup à gauche, un coup à droite. Littéralement …