Il y a bientôt trois ans, l’Appel pour une école démocratique s’associait à une trentaine d’autres organisations pour réclamer un « débat en vue d’une refondation de l’École ». Face à la situation dramatique de notre enseignement — inégalités et ségrégation sociales, taux de redoublement records, relégations massives —, nous demandions « d’arrêter la course aux réformes » pour prendre le temps de « débattre avec les acteurs, en levant les tabous », en vue de « proposer un projet global concerté et cohérent » à « planifier sur deux législatures au moins ».
Le Pacte pour un Enseignement d’Excellence, dont les grandes lignes viennent d’être finalisées, a souvent été présenté comme la réponse ministérielle à cette demande collective. Malheureusement, si les débats et les travaux initiaux du Pacte ont été riches et parfois même prometteurs, ce qu’il en reste au termes de longues négociations n’a plus que les apparences extérieures de la grande «refondation» que nous attendions. A l’analyse, le projet manque cruellement de vision et d’audace.
Ce que nous demandions, c’était l’École Commune. Commune, c’est-à-dire sans ségrégation sociale, religieuse ou ethnique. Commune, c’est-à-dire sans hiérarchisation entre écoles ou filières. Commune, c’est-à-dire, implantée de façon vivante dans une collectivité locale, ouverte sur son environnement social. Commune, c’est-à-dire avec un programme d’étude unique et ambitieux, ouvrant à toutes les dimensions d’une citoyenneté critique dans une société réellement démocratique. Commune, c’est-à-dire organisée en un continuum de la maternelle jusqu’à 16 ans. Commune, c’est-à-dire où les savoirs se construisent ensemble et où les valeurs s’apprennent sur le chantier de la vie collective. Commune, c’est-à-dire où tout est mis en oeuvre afin que le groupe d’élèves progresse ensemble.
Or, ce que nous propose le Pacte, c’est juste la prolongation d’un « tronc commun » qui ne fonctionne déjà pas aujourd’hui et qui, demain, n’aura toujours de commun que le nom. Pourquoi ? D’abord parce que faute de s’attaquer au marché scolaire, avec ses réseaux et l’obligation faite aux parents de choisir l’école de leur enfants, ce marché continuera de diviser les établissements, dès la maternelle, en ghettos de riches et en ghettos de pauvres, en écoles d’élite et en écoles poubelles. Ensuite parce que faute d’avoir eu le courage de bouleverser les habitudes, les dernières années de ce prétendu «tronc commun» seront toujours organisées au sein d’écoles secondaires à vocation, soit « de transition », soit « de qualification ». Enfin parce que faute de volonté politique, on ne donne pas à l’école les moyens matériels d’assurer la réussite de tous dans ce tronc commun : les classes de l’enseignement fondamental resteront souvent surpeuplées et trop d’écoles continueront de ressembler à de grandes et tristes usines, où les enfants et les enseignants sont contraints de vivre et de travailler dans des conditions que l’on n’accepterait nulle part ailleurs.
Compétition, ségrégation, manque de moyens : ce tronc commun-là ne sera guère plus qu’un nouveau chiffon de papier sans valeur. Et son échec sèmera une fois encore le doute quant à la faisabilité d’une démocratisation scolaire.
Pouvons-nous au moins nous réjouir de voir le contenu de ce tronc commun présenté comme « authentiquement polytechnique » ? Hélas ! Le sens même de ce mot a été galvaudé. Pour l’Aped, qui en est depuis longtemps le plus ardent promoteur, « polytechnique » signifie qu’il faut intégrer la découverte du travail productif dans la formation générale : ses dimensions sociales et technologiques, théoriques et pratiques, manuelles et intellectuelles,… Il s’agit de permettre au futur citoyen de comprendre les potentialités et les implications des choix technologiques (ou de l’absence de choix, justement), au même titre qu’il doit comprendre les enjeux d’autres débats de société. Mais de tout cela il ne reste, dans le Pacte, que l’exercice de vagues «compétences techniques et technologiques» pensées principalement comme un moyen de favoriser une « orientation positive ». Aujourd’hui les enfants des classes populaires sont aiguillés vers les filières qualifiantes à la suite d’échecs répétés dans les cours généraux. Demain, ils y seront toujours expédiés aussi massivement, mais « de façon positive », en raison de leurs « compétences » dans des bricolages que l’on aura nommé « formation polytechnique »…
Dans le même ordre d’idées, la vague promesse d’une «formation générale solide dans la filière qualifiante» s’avère être une coquille vide. Puisque l’annonce conjointe du développement de la Certification par unités d’apprentissage (CPU) promet au contraire de dévaloriser encore, aux yeux des élèves, cette fameuse formation générale.
Oui, il y a des mots, des idées, des promesses qui devraient nous réjouir dans ce Pacte. Mais chaque mot est contredit, chaque idée minée, chaque promesse trahie par un manque général d’audace et par la chape de plomb d’un consensus mou. Car l’erreur fondamentale de ceux qui avaient cru dans la démarche du Pacte est d’avoir imaginé que l’on pourrait concilier deux visions fondamentalement antagoniques de l’enseignement : d’un côté, celle qui défend l’École de marché (le SEGEC et les parents des classes aisées) et l’École au service des marchés (le patronat) ; de l’autre côté, ceux qui veulent qu’elle soit un instrument d’émancipation collective, qui apporte aux enfants de toutes origines les outils permettant de penser et de fonder une société réellement démocratique. Cette contradiction transpire à chaque ligne du texte qui vient d’être rendu public. L’École qui en sortira sera, au mieux, profondément incohérente, au pire, une resucée du management efficace et de l’utllitarisme économique chers à Mc Kinsey.