Instaurer à terme une série d’épreuves externes certificatives en 6e secondaire, comme le prévoit la DPC, est-ce une bonne idée dans le cadre du système belge ? De nombreuses questions se posent à ce propos, en raison du flou sur les motivations réelles à l’origine de l’instauration de tels examens, des modalités prévues actuellement, et, bien sûr, du contexte d’un système belge d’enseignement dont de multiples éléments d’organisation font déjà débat.
Pour éclairer la question, nous allons d’abord reprendre une série de points jugés positifs et négatifs relevés au cours de lectures et de discussions. Certaines réflexions ont émergé au cours d’un atelier sur le sujet qui prenait place dans la journée des membres de l’Aped organisée en novembre 2014. Nous en profitons pour remercier tous les participants à l’atelier.
Il faut souligner qu’on se situe bien ici essentiellement dans le registre des positionnements idéologiques (ouverts) et non pas scientifiques sur la question ; de fait, pour le moment, peu de littérature à caractère scientifique existe sur le sujet précis des épreuves externes du CESS, qui sont organisées depuis peu de temps.
Il faut préciser que ces réflexions se posent autour de l’idée d’un CESS (on parle ici des épreuves externes) généralisé et étoffé, pour lequel le pourcentage de la note globale pour un cours imparti au CESS serait relativement important et surtout fixé légalement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il est clair que le fait que la pondération accordée aux épreuves externes varie actuellement selon les écoles rend leur aspect certificatif très discutable.
Nous proposerons ensuite bien évidemment la vision de l’Aped sur la question.
1. Une certification juste ?
Un CESS élargi permettrait de mesurer le niveau des élèves à la sortie du secondaire de manière équitable, de réduire les inégalités de traitement entre les élèves (dans un sens ou dans un autre), et d’ainsi assurer une même qualité de diplôme pour tous. Dans ce cadre, la question de l’accentuation du tri des élèves ou au contraire celle du nivellement par le bas sont souvent abordées.
Mais d’aucuns se demandent s’il est vraiment cohérent à l’heure actuelle d’organiser une même épreuve pour tous alors que les programmes et les pédagogies diffèrent, sans parler des différences de niveau dues en grande partie à la ségrégation scolaire. Ne serait-il pas plutôt nécessaire de travailler en amont pour une harmonisation des pratiques et une plus grande mixité sociale, avant d’organiser une épreuve commune ?
Cette question d’un CESS unique est d’autant plus préoccupante que les épreuves ne sont actuellement par les mêmes en français pour les différentes filières ; ainsi cette année le thème était la littérature belge pour l’enseignement général et de transition (1ère année d’organisation de l’épreuve) et les séries télévisées pour l’enseignement de qualification et professionnel.
2. Un bilan utile avant l’entrée dans le supérieur ?
Le CESS constituerait une information standardisée par rapport à l’entrée dans le supérieur ou dans le monde du travail. Il ferait un bilan objectif des acquis des élèves à l’issue du secondaire, qui leur permettrait de se situer dans la perspective de choix déterminants pour leur avenir. Il permettrait par exemple aux élèves de mieux percevoir leurs chances de réussite dans le supérieur et de se préparer correctement. Mais on peut s’interroger sur ce point quand la plupart des universités mettent en place des cours préparatoires et surtout des tests informatifs à destination de leurs étudiants de 1ère BAC, afin que ces derniers puissent identifier au plus tôt dans l’année des prérequis essentiels qu’ils ne maîtriseraient pas.
Mais, effet pervers de cet aspect « bilan avant la suite », le CESS pourrait aussi devenir de fait un indicateur permettant de pratiquer une sélection avant le supérieur ou l’entrée au travail. Il serait alors plutôt un outil pour orienter que pour certifier, et il participerait à la limitation d’accès au supérieur ou à certains emplois, qui touche évidemment au premier chef les élèves issus des milieux socioéconomiques les plus défavorisés.
3. Un outil pour le pilotage du système ?
L’instauration d’un CESS permettrait d’harmoniser le niveau des écoles, en permettant au système, sur bases des résultats du CESS, de mieux piloter, de mieux guider les écoles et les enseignants. Cela permettrait par exemple d’harmoniser les pratiques pédagogiques autour de certaines compétences. La construction progressive d’une base de données importante permettrait non seulement d’évaluer les acquis mais également de suivre leur évolution dans le temps, en parallèle avec la mise en place d’éléments pédagogiques.
Le CESS constituerait également un élément de diagnostic à destination des établissements et des enseignants, qui pourraient directement se situer par rapport à une moyenne et agir eux-mêmes directement pour améliorer la qualité des apprentissages, de façon ciblée.
Mais a contrario, si les résultats des différentes écoles venaient à être publiés, volontairement ou à cause de fuites (sic), cela renforcerait la concurrence entre écoles et la ségrégation scolaire, cela accentuerait les inégalités plutôt que de les réduire.
4. Un changement salutaire de posture des enseignants ?
Le CESS entraînerait un changement de posture majeur de l’enseignant, qui ne serait plus un évaluateur avant tout, mais plutôt un véritable transmetteur de savoirs et un « coach ». Dans cet ordre d’idée de faire sortir le professeur de son rôle actuellement très important d’évaluateur, le CESS éviterait que chaque enseignant ait seul à travailler à la conception des examens. Puisque tous les enseignants auraient, encore plus qu’actuellement, le même objectif pour une matière, l’instauration d’un CESS pourrait améliorer le travail en équipe des enseignants. Le CESS enfin sécuriserait les professeurs par rapport à l’inspection, aux recours, en établissant un cadre plus clair de travail.
Mais a contrario, le CESS déposséderait les enseignants d’une partie de leur décision et pourrait, suivant les modalités établies, limiter fortement leur liberté pédagogique. S’ensuivrait alors potentiellement de la démotivation, un souci qui guette de nombreux enseignants, déjà objectivement confrontés à de nombreuses frustrations dans la situation actuelle de notre enseignement.
5. Et encore …
- Certains se demandent pourquoi les épreuves sont certificatives, alors que des épreuves non certificatives rempliraient déjà les objectifs de bilan des acquis et de pilotage du système, et que notre système profondément inégalitaire actuellement n’est pas prêt pour un BAC à la française, même très allégé. D’aucuns estiment au contraire que seul un système contraignant de ce type permettra à terme de changer les pratiques en profondeur.
- Bon nombre de participants à l’atelier se demandent si la mise en place de telles épreuves est réellement une priorité par rapport aux nombreux défis de notre enseignement. Il est clair en tout état de cause que l’organisation de telles épreuves est très lourd en temps et en argent, tant au niveau de la construction des épreuves qu’au niveau de l’organisation pratique des examens, qui se font en parallèle dans toutes les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
- Beaucoup s’inquiètent d’une tendance exagérée à l’évaluation développée ces dernières années, dans laquelle s’inscrirait le CESS. Non seulement le temps de l’évaluation déborde bien souvent sur les apprentissages, mais en plus c’est une véritable idéologie qui se met en place dès l’école, qui s’inscrit dans la foulée de l’obsession des classements. Dans ce cadre, les élèves seraient plus que jamais des numéros, des chiffres, plus des apprenants.
- Pour finir, des épreuves externes pour le CESS seraient prises plus au sérieux par les élèves que des épreuves internes, et elles marqueraient symboliquement la fin de leur parcours scolaire. Mais on pourrait craindre le basculement vers un certain bachotage, au détriment de l’apprentissage.