Nous nous intéresserons au contenu et aux modalités des épreuves. Une chose est de décider d’organiser des épreuves externes, une autre est de décider sur quoi et comment ! Nous avons consulté de façon informelle une dizaine d’enseignants de 6e secondaire, essentiellement des professeurs de français, d’écoles variées sur le plan géographique et socioéconomique. Pour des raisons de confidentialité, nous ne citerons pas leurs noms, mais nous tenons à les remercier pour le temps qu’ils nous ont accordé. Il va de soi que notre échantillonnage est trop faible pour prétendre présenter ici « l’avis des enseignants ». Il n’en ressort pas moins une série de réflexions intéressantes.
Il y a lieu de rappeler à ce stade que les épreuves externes de 6e secondaire ne sont organisées que depuis peu de temps, quelques années. On dispose donc de relativement peu d’exemples à évaluer et on peut légitimement supposer que le format des épreuves est toujours en construction, non abouti. Néanmoins, on peut retirer des épreuves déjà proposées une premières séries d’enseignements et de réflexions.
Du niveau
De façon générale, les épreuves sont jugées par les enseignants interrogés plutôt de niveau assez élevé. Les professeurs estiment que les compétences évaluées sont pertinentes par rapport à leur enseignement, même s’ils n’évalueraient pas forcément ces compétences en priorité (on abordera le choix desdites compétences plus loin), et discutent plutôt les sujets, les savoirs, et les documents thématiques de base proposés aux élèves. Certains estiment que le bagage culturel des élèves n’est pas toujours suffisant pour comprendre en profondeur les documents-sources des épreuves. De ce constat sont tirées différentes réflexions. D’abord une remise en question de notre enseignement en profondeur, parce que normalement les élèves devraient pouvoir aborder sans problème les documents proposés [[Les épreuves sont consultables a posteriori sur internet. On peut donc se faire une idée du type de questions, cf http://www.enseignement.be/index.php?page=26248]]. Ne pourrait-on pas annoncer à l’avance les grandes thématiques susceptibles d’être abordées lors de l’épreuve, de façon à permettre à tous les professeurs de développer la culture de leurs élèves sur ces sujets ? L’épreuve pourrait être un exercice complet qui permette de produire un travail articulant savoir et compétences. Cela se discute bien sûr dans la mesure où le fait de se confronter à des documents voire des sujets totalement nouveaux peut être considéré en soi comme une compétence.
Des contenus
Alors justement, quelles sont les thématiques abordées ? Les cinq dernières années, pour lesquelles une épreuve de français était organisée pour le qualifiant, les sujets ont été les suivants : la formation des jeunes à l’étranger, l’empreinte écologique et la surconsommation, le « Street Art », le compagnonnage et les séries télévisées. On n’a pas tout dit en énonçant les sujets évidemment, puisque la façon de les aborder est cruciale. Nous avons déjà discuté l’aspect jugé parfois ardu des documents proposés, mais un autre élément peut être discuté, c’est l’aspect idéologique des sujets. Cécile Gorré, dans un très intéressant article publié l’année passée sur le site de l’Aped [[Gorré, C. (2014). Epreuve externe certificative en français : citoyenneté critique, es-tu là ? Article consultable sur le site de l’APED, https://www.skolo.org/spip.php?article1688]], estimait que le sujet sur la formation des jeunes à l’étranger et celui sur le compagnonnage posaient des problèmes. Selon elle, ces sujets prônaient un peu trop d’une part la nécessité de grande adaptabilité et flexibilité des jeunes dans le monde du travail actuel et d’autre part le rapprochement école-entreprise et la formation en alternance. On peut ne pas être d’accord avec ces critiques, mais il faut savoir que les intentions évoquées étaient explicitement présentées dans les dossiers enseignants accompagnant les épreuves. Tout cela étant amplifié par le fait que la majorité des professeurs estiment que l’esprit critique n’est clairement pas sollicité dans les épreuves (voir plus loin). Quant aux sujets sur le « Street Art » et les séries télévisées, ils posent évidemment la question de l’exigence de connaissance à la sortie du secondaire, a contrario des inquiétudes de niveau de bagage culturel évoquée précédemment. Ce n’est pas parce que d’aucuns s’inquiètent qu’actuellement des élèves semblent parfois trop démunis au niveau de certains savoirs, qu’il faut éviter de les aborder. Cette dernière réflexion sur les sujets est rendue particulièrement intéressante cette année qui a vu l’organisation de la première épreuve externe de français pour le général. Son sujet était la littérature belge, quand le sujet du qualifiant était pour rappel … les séries télévisées.
A propos des compétences testées lors des épreuves, les professeurs regrettent souvent le fait qu’il n’est pas demandé aux élèves d’argumenter et de faire preuve d’esprit critique. Ils jugent que ce sont pourtant des compétences qu’on leur demande de développer fortement pendant l’année. Dans ce contexte, certains estiment que l’épreuve externe de français devrait porter systématiquement sur la dissertation, épreuve la plus complète.
Cela pose aussi la question de savoir si c’est la même compétence qui devrait être évaluée chaque année de façon externe. Cela dépend évidemment si ce sont les aspects certificatifs ou diagnostiques qui sont privilégiés par les concepteurs des épreuves. On peut aussi imaginer qu’on considère l’ensemble des épreuves proposées en externe pour choisir les compétences testées. Par exemple, on pourrait alterner d’année en année entre une épreuve plus argumentative en français et plus de synthèse en histoire, et vice versa.
Un autre aspect est discuté par rapport au choix et à la formalisation des compétences testées, c’est celui de la non cohérence actuelle avec les interrogations effectuées durant l’année, et, par extension, la non cohérence avec les outils d’évaluation proposés aux professeurs. C’est un problème récurrent dans les discussions sur les évaluations externes, qui divise quelque peu les chercheurs universitaires [[Lafontaine, D. (2012). Des politiques aux pratiques d’évaluation en Belgique francophone: la cohérence en questions. Actes du colloque : l’évaluation des compétences en milieu scolaire et en milieu professionnel. 24e colloque de l’Admée-Europe, Luxembourg, Luxembourg : université du Luxembourg.
Soetewey, S., Demeuse, M., Duroisin, N., Letor, C., Malaise, S. (2014). Diversité et finalités des dispositifs et outils d’évaluation de compétences, dans L’évaluation des compétences en milieu scolaire et en milieu professionnel, De Boeck, pp.97-115]]. Il semble évident que l’aspect encore neuf des épreuves de 6e secondaire n’a pas encore permis d’aboutir aux meilleures options pour concilier au mieux évaluation continue pendant l’année et épreuves externes ponctuelles. Tout ça dans un contexte actuel de relative remise en question de l’évaluation « par compétences » stricto sensu.
A côté de ces questions de niveau, de contenu et de compétences, il y a des problématiques des modalités des épreuves.
De façon majoritaire, les professeurs soutiennent l’idée du maintien d’épreuves internes en parallèle aux épreuves externes, même si la pondération entre les deux n’est pas établie.
Plusieurs se demandent si il ne faudrait pas instaurer au moins quelques épreuves orales, qui sont pertinentes à ce niveau d’enseignement et obligatoires pour une majorité de cours pour les épreuves internes. La question du temps accordé aux élèves pour l’épreuve est parfois posée, mais on peut a priori considérer que c’est le type de choses qui va se réguler avec le temps. Cela va se réguler si et seulement si les professeurs peuvent faire remonter leur avis aux concepteurs des épreuves. Là il faut constater un problème de communication récurrent entre le terrain et les concepteurs de l’épreuve. Aucun professeur interrogé n’a été encouragé à compléter un quelconque formulaire d’évaluation. Dans ce registre de la communication, on peut étonnement constater que les professeurs de 6e secondaire – à l’exception du français et de l’histoire – ne savent pas s’ils devront faire passer une épreuve pour leur discipline dans les années à venir comme c’est a priori prévu.