« Gestion de bon père de famille », « économies » : pour sûr, ils ne vont pas cesser de nous parler de réalisme ! Une mise au point s’impose.
Récemment, l’analyse des données de la dernière enquête PISA (2012) nous a confortés 1N. Hirtt, Pisa 2012, sans fard et sans voile, https://www.skolo.org/spip.php?article1656 dans la certitude que la ségrégation de notre système scolaire reste le plus puissant mécanisme de reproduction des inégalités… et la cause de la médiocrité des résultats des enfants les plus pauvres. Par là même, elle confirme la pertinence de notre projet alternatif. Avec d’autres associations et personnalités [[Appel du 31 janvier 2014 à un débat en vue d’une refondation de l’école, http://www.ligue-enfants.be/wp-content/uploads/Appel-a-refondation.pdf]],nous estimons qu’il est plus que temps de rompre avec l’ère des réformettes… et de se donner la peine de la repenser en profondeur. Pourtant, interrogée dans le Soir du 5 février au sujet de cet appel, la ministre Schyns (cdH) bottait en touche [[Non sans caricaturer les associations et personnalités signataires de cet appel.]] : « […] la révolution, ce n’est pas une bonne idée. […] je ne crois pas au grand soir ». « Cela, c’est un rêve théorique, disait-elle encore. Et moi, je suis dans la réalité. » La réalité ! Le mot magique était une nouvelle fois lâché. Ainsi, il y aurait, d’un côté, les cercles du pouvoir, animés par un souci de réalisme, et de l’autre, des révolutionnaires nageant en pleine utopie…
N’en doutons pas : cette simplification, cette caricature, dont ils ont besoin pour masquer l’échec de leur politique d’enseignement, ils en useront et abuseront. Encore et encore. Il est dès lors essentiel de la démonter.
Réalistes, eux ?
Nous serons toujours « surpris » de voir le terme de « réalisme » employé par des personnes qui ont pour habitude d’occulter les réalités du nombre croissant de citoyens 2Désormais, le pays compte entre 15 et 20% de citoyens vivant sous le seuil de pauvreté. On ne peut plus parler de situations marginales… qui sont condamnés à (sur)vivre dans la pauvreté… dans un pays qui se classe pourtant parmi les plus riches au monde. « Surpris » de voir ces mêmes personnes se réjouir de (très) modestes et partiels progrès de la CF aux tests PISA. Ou communiquer leur satisfaction quand le taux de redoublement régresse, comme si c’était réellement autre chose que le fruit du bidouillage des instruments d’évaluation. « Surpris » de les voir enfouir la tête dans le sable pour ne pas voir qu’une partie importante de la population, à 15 ans, ne sait toujours pas lire ou calculer de manière satisfaisante… Ils ne peuvent ignorer la réalité des causes profondes et très bien documentées de ces mauvais résultats : moyens insuffisants dans le fondamental, système d’apartheid scolaire, quasi marché… Et pourtant, rien ou si peu dans leurs réformes n’est à la mesure des besoins.
Il serait intéressant par ailleurs de demander à ces personnes « réalistes » d’apporter la preuve de l’efficacité de la stratégie qu’elles privilégient, celle des petits pas, consistant à « faire bouger les lignes » par expériences pilotes, à en appeler au bon vouloir des personnels éducatifs, à l’échange des « bonnes pratiques ». Selon l’idée que, même sans moyens supplémentaires, même dans le système scolaire tel qu’il est aujourd’hui, on peut progresser lentement mais sûrement, sur le terrain, dans les mentalités… A ce rythme-là, dans le cadre budgétaire auquel elles acceptent de soumettre leurs politiques, combien de siècles devrons-nous attendre pour voir advenir une école et une société démocratiques ? Combien de siècles pour atteindre avec tous les enfants les objectifs du Décret Missions ? M-M. Schyns, dans l’interview citée précédemment, reconnaît d’ailleurs elle-même que ça prendra du temps, étalé « sur plusieurs législatures – le temps scolaire (n’étant) pas le temps politique ».
Attention, nous ne nions pas qu’à conditions et contextes égaux, certain-e-s enseignant-e-s et/ou équipes éducatives parviennent à (beaucoup) mieux faire évoluer leurs élèves que d’autres. Toutefois, tant que le contexte et les conditions de travail restent structurellement contraires, ces progrès sont précaires et n’inversent en rien les déterminismes à l’œuvre.
Et puis, qu’est-ce que c’est que ces politicien-ne-s qui ne croient pas à l’action politique, au pouvoir d’accélération des réformes ? Quoique ! Vous aurez peut-être noté qu’ils n’y croient guère quand il est question de réformes progressistes, mais qu’ils sont capables d’enclencher la vitesse supérieure et de travailler par réformes imposées du haut s’il s’agit d’étendre les CEFA, la CPU, etc., toutes mesures idéologiquement marquées à droite !
Utopistes, nous ?
Concernant notre projet de refonte de l’école, pour notre part, nous réfuterons en tout cas le qualificatif d’utopistes, toujours employé à notre encontre dans son sens péjoratif. Notre réalisme à nous consiste à observer la réalité, toute la réalité, y compris celle que feignent de ne pas voir ceux qui tiennent le haut du pavé. D’en analyser les causes. Et d’avancer des propositions alternatives qui répondent réellement, concrètement, à ces causes profondes. N’en déplaise à nos détracteurs, l’école démocratique dont nous avons tracé les contours est non seulement indispensable, mais aussi finançable et organisable.
Un projet indispensable, finançable et organisable
Indispensable, car il ne sera pas possible de réaliser une égalité de résultats scolaires sans casser les mécanismes structurels qui font de notre enseignement le champion de l’inégalité (manque d’encadrement dans le fondamental, ségrégation des enfants en filières hiérarchisées, ségrégation en écoles ghettos de riches et de pauvres, etc.). Il faut s’attaquer aux fondements du système, aux vrais problèmes. Même un « changement de culture » dans le chef des personnels éducatifs demande une réforme ambitieuse (et couteuse) de la formation initiale, pas exemple.
Indispensable, car jamais une société réellement démocratique ne pourra advenir avec un système scolaire comme celui que nous connaissons.
Finançable, avec des politiques qui iraient chercher, là où il se trouve en abondance, l’argent nécessaire à une école démocratique [[Nous rappellerons ce calcul de la CSC : un impôt de 1% sur les revenus de plus d’un million d’euros rapporterait 6 milliards par an. On pourrait aussi reparler des intérêts notionnels. Ou remettre en cause la légitimité de la dette publique, dont le service absorbe 20% du budget de l’Etat…]]. A terme, notez-le bien, notre projet ferait l’économie du redoublement et de la concurrence entre réseaux.
Organisable, comme le montrent les « refontes » qu’ont menées, par exemple, les pays qui trustent les premières places des études comparatives internationales. Nous ne sommes pas forcément des supporters fanatiques 3Si la Finlande, par exemple, obtient des résultats probants sur des savoirs opérationnels (lecture, math, sciences), ceux que réclame l’OCDE, rien ne démontre que les jeunes qui sortent de son système scolaire maîtrisent des « savoirs citoyens critiques », et elle se distingue par ailleurs par une gestion très managériale des établissements scolaires. On est donc à des années-lumière d’un projet de société démocratique. de chacun de ces systèmes. Mais qu’est-ce qui nous interdit d’évaluer leurs expériences pour faire (beaucoup) mieux ?
Indispensable, finançable et organisable, notre projet d’école démocratique se heurte pourtant à une fin de non recevoir des partis de gouvernement. L’obstacle n’est pas sa faisabilité en soi. Il est d’ordre politique. Ce n’est pas que nous soyons moins réalistes que les partis de gouvernement : notre réalisme n’est pas le leur. Point barre. Nous savons dès lors ce qu’il nous reste à faire : œuvrer à « faire bouger les lignes » politiques. Dans nos engagements syndicaux, associatifs et politiques, continuer de travailler à un renversement des rapports de force, à l’émergence d’une société juste. Pour une école démocratique dans une société démocratique. L’une n’ira pas sans l’autre. Et vice-versa.
References