Choix de sujets discutables, textes orientés, références à un contexte culturel – français – que ne connaissent pas les élèves belges : l’épreuve de français de fin de secondaire qualifiant soulève bien des questions.
Le TESS devient le CESS
Ce vendredi 13 juin avaient lieu, dans mon école, les épreuves externes Certificatives au terme de l’Enseignement Secondaire Supérieur (CESS) pour le cours de français. Notons, au passage, et ce n’est pas anodin, que cette épreuve a changé de nom cette année. En effet, elle était intitulée TESS (Test d’Enseignement Secondaire Supérieur), ce qui donnait à l’épreuve une valeur facultative et qui laissait la liberté à chaque pouvoir organisateur d’y participer ou non. À présent, l’intention est claire : il s’agit bien d’une épreuve certificative, ce qui permet de la rendre obligatoire, chose qui sera exécutée dès juin 2015, comme le précise un projet de décret [Parlement de la Communauté française, projet de décret 523 modifiant diverses dispositions en matière d’enseignement obligatoire et de promotion sociale, 27 juin 2013, pp. 6-7. ]. En outre, cette épreuve, qui, depuis 2011, ne concernait que le français et l’histoire 1L’épreuve concerne, en français, les 6èmes de l’enseignement secondaire technique et artistique de qualification et les 7èmes de l’enseignement secondaire professionnel. En histoire, cette épreuve concerne les 6èmes de l’enseignement secondaire général et les 6èmes de l’enseignement secondaire technique et artistique de transition., sera étendue l’année prochaine, de manière expérimentale, aux mathématiques et aux sciences. La fédération Wallonie-Bruxelles désire donc étendre progressivement ces épreuves certificatives à d’autres disciplines pour, dit-elle, « que le niveau du CESS soit garanti » 2Ibid..
Pas d’épreuve sans contenu
Je n’ai rien contre une espèce de « bac » à la Belge, mais encore faut-il que ces épreuves aient du contenu. Or, si l’on examine l’épreuve de français, épreuve que j’ai dû faire passer à mes élèves pour la troisième fois, il ne faut pas être un grand expert pour s’apercevoir que celle-ci n’est pas du tout adaptée. En effet, le « CESS » ne porte réellement que sur une compétence du cours de français : la recherche d’informations dans un texte informatif. Le guide de correction mis à disposition des enseignants a beau nous présenter les différentes compétences mises en œuvre dans l’épreuve, je cherche toujours celle qui concerne le développement d’un esprit critique. Les élèves ne peuvent en aucun cas argumenter ou faire preuve d’esprit critique puisqu’ils doivent scrupuleusement reprendre les informations des textes mis à leur disposition !
Des choix de sujets discutables
L’esprit critique serait-il donc exercé grâce à la lecture de textes stimulants, enrichissants, polémiques ? Malheureusement non car, une fois de plus, le choix des thèmes abordés est consternant. Il y a trois ans, nos élèves ont été amenés à « réfléchir » autour de textes abordant la formation de jeunes à l’étranger qui « représente un atout majeur sur un CV. Elle élargit les horizons des jeunes qui en bénéficient et exerce leurs facultés d’adaptation » 3TESS 2012, Dossier de l’enseignant, p.4.. Facultés qu’ils pourront très certainement exercer dans le monde de l’entreprise qui recherche des travailleurs adaptables et flexibles !
Le thème 2012, plus citoyen, était l’empreinte écologique et la surconsommation, tandis que celui de l’année passée était le « Street Art », un art certainement considéré à la portée de nos élèves du qualifiant, puisque pratiqué par leurs semblables !
Cette année, la thématique « toujours fidèle à la perspective citoyenne » 4CESS 2014, Dossier de l’enseignant, p.4. était le compagnonnage. Un thème qui paraît bien innocent, mais un choix qui m’a heurtée à plusieurs niveaux.
Il m’a gênée tout d’abord parce que le compagnonnage et les « Compagnons du Devoir » sont des réalités totalement françaises qui n’ont pas, mais pour combien de temps encore, d’antennes en Belgique. Le « CESS » est une épreuve belge, rédigée par des inspecteurs, des conseillers pédagogiques et des professeurs belges à l’intention d’un public belge qui ne se retrouve pas dans le système scolaire complexe français (BEP, CAP, Bac,…). Pourquoi ne pas faire réfléchir nos élèves sur la formation qui leur est proposée ? Cela pourrait être une occasion magnifique d’exercer leur esprit critique sur une réalité connue d’eux car, après tout, pour la plupart, ils sont le résultat de notre magnifique système de relégation.
Ma gêne vient ensuite du fait que, comme je l’ai déjà dit, la compétence d’esprit critique n’est aucunement exercée et n’est même pas permise. Elle n’est pas autorisée puisque, d’une part, les élèves doivent se servir des textes proposés pour répondre et ne peuvent apporter aucune réponse personnelle et, d’autre part, les documents choisis sont orientés. En effet, le portefeuille de textes compte 14 pages et seules 7 lignes apportent un avis critique sur la formation des Compagnons du Devoir. Cette critique est apportée via le témoignage d’un ancien compagnon qui a quitté le compagnonnage car il trouvait que « nous constituons une main d’œuvre servile et bon marché […] à force de travailler en étant sous-payé, on devient presque esclave ». Notons que lors d’une question, les élèves étaient obligés de recourir à ce témoignage sous peine d’un retrait de 2 points ! Voilà comment on insère de l’esprit critique dans une épreuve !
Enfin, je trouve honteux que, une fois de plus, la fédération Wallonie-Bruxelles prône le rapprochement école-entreprise et la formation en alternance car c’est bien de cela qu’il est question à travers le compagnonnage. Cette intention est totalement volontaire et même explicitée dans le dossier enseignant du CESS 2014 qui explique le choix du sujet de cette année : « Ce mode très ancien de formation axé sur les métiers trouve aujourd’hui un regain d’intérêt dans le monde du travail » 5Ibid.. Et pas seulement dans le monde du travail. Ce rapprochement école-entreprise est omniprésent dans les réformes tant à travers les bassins de vie, les cités des métiers, les CPU que dans l’extension des CEFA.
Des textes orientés
Le dernier texte proposé aux élèves du qualifiant, publié dans la rubrique « Entreprise/Emploi » de la Libre Belgique, n’est qu’un exemple de plus de l’orientation donnée au sujet. Cet article, qui s’intitule « Ils ne connaissent pas le chômage », nous explique qu’ « il y a énormément de Compagnons qui travaillent pour de grandes entreprises internationales, ou d’autres qui créent eux-mêmes leur entreprise » […] « Un ex-cancre et fumeur de pétards est même devenu responsable de la prospective en génie climatique pour une grande entreprise. ». Tout est possible dès lors pour nos pauvres élèves ! Enfin, afin de faire bondir tous les apédiens, je ne peux m’empêcher de vous livrer les dernières phrases de cet article : « Cette alternance entre formation professionnelle et de base est très intéressante. La plupart des enfants qui décrochent à l’école s’y embêtent. Depuis très longtemps, on privilégie les formations longues et intellectuelles au détriment des formations professionnelles. Selon moi, on se plante complètement » 6http://www.lalibre.be/economie/libre-entreprise/ils-ne-connaissent-pas-le-chomage-51b8fc36e4b0de6db9ca633b. Une fois de plus, la formation intellectuelle est opposée à la formation professionnelle, plus pratico-pratique, qui permet à l’élève de ne plus fumer des pétards, de ne plus s’embêter à l’école et en plus de trouver du travail !
En guise de conclusion, j’aimerais vous faire part d’une dernière interrogation : pourquoi seuls les élèves de 6ème technique de qualification et les élèves de 7ème professionnelle doivent-ils passer cette épreuve certificative en français pour l’obtention du Certificat de l’Enseignement Secondaire Supérieur alors que les élèves du général et de transition ne sont pas soumis à cette épreuve ? Le CESS aurait-il une valeur différente selon que l’on sorte du général ou du qualifiant ? Notre système scolaire ne considérerait-il pas tous les élèves ayant obtenu le CESS de la même manière ? Je ne veux pas y croire !
References
Epreuve externe certificative en français : citoyenneté critique, es-tu là ?
Merci pour votre intéressante analyse relative au niveau de français et aux compétences mises en oeuvre par nos élèves. Il me semble essentiel de développer un esprit critique et surtout de pouvoir rédiger – avec des mots adéquats- un texte !
Juste pour information, je dois préciser qu’il existe, depuis plusieurs années, une maison des compagnons des devoirs à Bruxelles, à la rue T’kint. Les compagnons ont des cours après leur journée de travail. C’est même assez dur d’assumer les horaires- bien remplis- selon deux connaissances qui y ont suivis une formation, en boulangerie et menuiserie !
Bonne continuation.
Epreuve externe certificative en français : citoyenneté critique, es-tu là ?
En effet, les Compagnons du Devoir existent à Bruxelles depuis plus de 20 ans. Une formation dure et exigeante mais de qualité. Pour plus d’infos : http://www.compagnons-du-devoir.com/main.php?p=224&id=BRUXELLES
Epreuve externe certificative en français : citoyenneté critique, es-tu là ?
L’Appel pour une école démocratique et son site internet n’ont pas pour vocation de servir de marchepied à des institutions qui se fixent comme objectif de développer un « esprit d’entreprendre » réduit à l’entreprise privée. Bien au contraire !
Cependant, dans un souci de transparence démocratique, nous publions un message qui confine au prosélytisme.
Non sans signaler à nos lecteurs que nulle part dans vos objectifs n’apparaît un semblant d’exigence en terme de citoyenneté critique (cf. votre page « Qui sommes-nous ? »)
Alors, « formation dure et exigeante mais de qualité », peut-être, mais assurément pas démocratique au sens où nous l’entendons.
Epreuve externe certificative en français : citoyenneté critique, es-tu là ?
Cher M. Cochet,
L’Appel pour une école démocratique et son site internet n’ont pas pour vocation de servir de marchepied à des institutions qui se fixent comme objectif de développer un « esprit d’entreprendre » réduit à l’entreprise privée. Bien au contraire !
Cependant, dans un souci de transparence démocratique, nous publions votre message.
Non sans signaler à nos lecteurs que nulle part dans les objectifs des Compagnons du Devoir de Bruxelles n’apparaît un semblant d’exigence en terme de citoyenneté critique (cf. votre page « Qui sommes-nous ? »)
Alors, « formation dure et exigeante mais de qualité« , peut-être, mais assurément pas démocratique au sens où nous l’entendons.
Epreuve externe certificative en français : citoyenneté critique, es-tu là ?
Je tiens d’abord à préciser que je n’ai aucun lien avec le Compagnonnage, j’ai simplement longuement étudié celui-ci lors de mon mémoire de fin d’études en architecture et rencontré en Belgique et en France de nombreux Compagnons, élèves ou sociétés collaborant avec ceux-ci.
Mon but n’était pas d’utiliser votre site pour faire la promotion du Compagnonnage mais de signaler à vos lecteurs qu’une partie de l’analyse de Cécile était basée sur une erreur, à savoir que « le compagnonnage et les « Compagnons du Devoir » sont des réalités totalement françaises qui n’ont pas, mais pour combien de temps encore, d’antennes en Belgique » et que le choix du sujet n’était donc pas hors de propos pour les élèves étudiant en Belgique. Le renvoi vers le site internet permettant d’en apprendre un peu plus sur cette formation.
Quand au fait qu’il n’apparaîtrait nulle part dans les objectifs des Compagnons du Devoir un semblant d’exigence en terme de citoyenneté critique et que leur formation ne serait pas démocratique au sens où vous l’entendez, je vous invite à lire, si vous en avez l’occasion, la page suivante (http://www.compagnons-du-devoir.com/main.php?p=196) où vous trouverez les valeurs prônées par ceux-ci. Elles me semblent être tout aussi importantes que celles que vous défendez et ne se réduisent pas un « « esprit d’entreprendre » réduit à l’entreprise privée« . Ce serait bien mal les juger que de penser cela d’eux.
Bien à vous,
Michel Cochet
Epreuve externe certificative en français : citoyenneté critique, es-tu là ?
Michel,
Tu as raison de relever l’erreur que j’ai commise. Il y a effectivement une antenne à Bruxelles des Compagnons du Devoir, mais cela reste une centralisation française et très minoritaire dans notre pays. Je peux t’affirmer que 100% de mes élèves ignoraient ce qu’était le compagnonnage. Hormis cela, le compagnonnage, qui vise l’excellence et donc une élite, ne concerne malheureusement pas mes élèves qui ont été relégués dans l’enseignement qualifiant. Que met-on en place pour eux ? C’est en cela que nous ne sommes pas d’accord à l’APED. Notre école creuse les inégalités et ne fait que reproduire les inégalités sociales. Ce n’est pas en prônant à cor et à cris un rapprochement entre l’école et l’entreprise ou en généralisant l’enseignement en alternance que nos élèves pourront prendre leur place en tant que citoyens critiques dans notre société.
Enfin, le compagnonnage n’est pas le sujet central de cet article. J’attaquais notre chère fédération Wallonie-Bruxelles sur le fait qu’elle prétend exercer l’esprit critique de nos élèves grâce à cette épreuve certificative. En outre, celle-ci n’est pas adaptée au niveau des élèves car, tout comme le CEB, elle est beaucoup trop simple et ne reflète en rien le travail fourni pendant l’année.
Mon raisonnement aurait pu être le même avec un des sujets précédents choisis pour ce CESS (la formation à l’étranger, le street art,…).