Changement du lien social par l’influence pédagogique des TICE

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Cette réflexion s’ordonne autour de l’influence des NTIC, dénommées abusivement nouvelles techniques de l’information et de la communication alors que le dernier-né, l’Internet ou réseau des réseaux, existe déjà depuis une vingtaine d’années, mais il a pris son élan surtout cette dernière décennie, du moins en Algérie, bien que les autres moyens audiovisuels sont plus anciens, mais tout autant performants et efficaces.

D’une façon générale, l’impact de ces T.I.C. nous paraît en effet fondamental, suite à l’étendue de leurs usages et le changement qu’elles opèrent dans l’espace culturel, social, économique, politique de tous les pays, quelque soit le type de société, en tant qu’elles contribuent à remettre en cause les savoirs déjà constitués, ainsi que les modes d’apprentissages et les variables qui en conditionnent l’efficacité.

Introduction

Les enjeux de l’audiovisuel, notamment de la parabole et de l’Internet, s’avèrent être des moyens puissants de socialisation car ils transforment profondément les relations entre les personnes et le milieu ambiant. Assurément, on s’achemine vers une sorte de ‘’consensus pour s’accorder sur les voies et les moyens de la connaissance scientifique’’. (1) Cela se remarque, aussi bien dans la formulation des régularités empiriques, que dans les techniques d’investigation qualitatives et/ou quantitatives et ce, grâce à l’apport des technologies de l’information et de la communication qui facilitent la diffusion et la transmission rapide des données et de leurs calculs et favorisent l’amélioration et la progression des savoirs, surtout lorsqu’ils sont faits dans un cadre éducatif : en Algérie comme dans les pays Européens démocratiques ; le système classique d’enseignement a été supplanté par le LMD, l’approche par compétence fait des émules et elle est considérée comme la panacée par les formateurs, alors que la qualité de la formation laisse à désirer, voire elle est devenue alarmante car le plagiat fait rage ; les formés n’ayant pas les connaissances, ni les pratiques de base pour la réflexion et la rédaction, sans compter que le cursus académique a été évacué, la moitié des modules ont été supprimés. A l’université, maintenant on forme pour le milieu professionnel dont l’issue n’est pas connue car il n’est pas sûr qu’ils trouvent un emploi. Le comble du paradoxe !

Il y aurait beaucoup à dire, mais dans ce cadre précis, nous voulons mettre l’accent beaucoup plus sur les changements qu’opèrent ces N.T.I.C. dans les pays du tiers-monde ou les pays émergents comme l’Algérie, notamment au niveau du lien social que sur l’aspect comparatif de ces nouvelles méthodes pédagogiques.

Je dirai brièvement, en paraphrasant le titre d’un ouvrage : à ’’ nouvelles technologies, nouvelles communications, nouvelles sciences. ‘’ (2) On peut remarquer une unité dans ‘’ les structures conceptuelles ‘’ (3), empruntées à différentes sciences : les représentations surtout sociales sont au centre de l’analyse. On peut noter ces changements dans les discours disciplinaires, liés à la remise en question de l’apport de la connaissance aux échanges d’idées entre Nations et même des thèmes de ‘’ luxe ‘’, expression empruntée au quotidien ‘’ le jeune indépendant ‘‘, lors de cette dernière campagne électorale (4) Des slogans de l’O.M.S. ont été repris dans un séminaire, je crois à Tamanrasset, sous le titre : ‘’ pour votre santé, bougez !‘‘. La violence à l’école, les femmes battues, les discriminations, l’environnement sont abordés simultanément à l’échelle locale, et internationale, ils sont devenus des sujets récurrents, c’est la preuve d’une socialisation étendue.

L’implication des T.I.C. dans la conception de l’apprentissage

On parle beaucoup des insuffisances du système éducatif Algérien, mais des pans entiers de la réflexion semblent être ignorés ou sous-estimés et qui rendent caduques le processus de socialisation actuelle, par lequel l’individu s’intègre à la société et en intériorise les lois :

1. D’abord l’éducation se fait moins par l’action des anciennes générations sur les nouvelles, mais plutôt par les groupes de pairs.

2. Les représentations négatives quant à l’image de la femme qui sont indiquées dans les livres scolaires contrastent avec d’autres représentations qui leur sont diffusées à travers les innombrables films occidentaux : celles de la femme –flic, les tops modèles par exemple, les films romantiques qui mettent en avant le bonheur du couple… Les champions et les vedettes symbolisent la réussite, le gagnant, celui qui peut atteindre les sommets. Inconsciemment les jeunes et peut-être moins jeunes choisissent un modèle de rôles auquel ils s’identifient.

3. Pendant que l’on se pose encore la question du type de projet de société – ou qui et quoi former ? L’éducation se fait autrement. Notre école instruit mais n’éduque plus. Ce sont les multinationales soutenues par les médias et maintenant l’Internet qui fixent les buts idéologiques car cette notion n’est pas prise en charge par le politique. En gérant et en redistribuant continuellement l’information, ils court-circuitent les idéologies locales qui restent ancrées avec les croyances anciennes, sans apporter de nouvelles règles en conformité avec le contexte réel.

Par des rapports de pouvoir, sous la forme de modèles et de symboles qui expriment les idéaux – types au sens Wébérien du terme, et défendent les valeurs de la société d’économie de marché capitaliste, au point où ce corpus de démocratie, liberté, droits de l’homme a été tellement intériorisé qu’il permet même de justifier une guerre d’occupation. A travers des émissions de télé- réalité, C’est mon choix, Loft – story, le Bachelor célibataire, 100 mn pour convaincre, etc., elles parviennent ainsi à dominer les modes de penser et à jouer un rôle particulier dans la transformation des attitudes. On ne peut pas en dire autant de l’unique (E.N.T.V.), dont la production cinématographique de films est insignifiante, à part les sketches et le feuilleton du mois, transmis au moment des veillées ramadhanesques. Bien qu’ils soient plaisants et appréciés, ils ne manquent pas au passage d’éclabousser par des stéréotypes grotesques la femme ‘’ moderne ‘‘. Pour ce qui concerne la production culturelle et scientifique, elle reste très insuffisante. Or, ce vide culturel se trouve largement comblé par la parabole et les émissions étrangères. Apparemment, ‘’ nous sommes en retard de plusieurs symboliques’’, comme l’a fait remarquer le sociologue feu Pierre Bourdieu, lorsqu’il s’était prononcé à propos des mouvements sociaux et de la censure qui touche les journalistes dans tous les métiers qui concernent la production culturelle. (6)

L’incidence des T.I.C. dans la transformation actuelle du lien social et dans les schèmes de la pensée sociologique

Cette liaison pose la problématique de comment penser l’individu ? Cette question ne va pas sans une réflexion ‘’ du lien social dont il est issu‘’. (7)
Ce questionnement a été soulevé de nombreuses fois par les sociologues pour analyser les sociétés contemporaines. En effet, à l’ère de la mondialisation des échanges, on ne peut plus se servir des mêmes références qui ont prévalu jusque – là dans l’étude de la construction sociologique de l’individu pour expliquer la nature de ce lien social : individuel ou collectif ?

Ce n’est plus l’ère du communautarisme, totalitaire, autoritaire et ne souffrant d’aucune singularité, ni celle de l’individualisme ou selon les généralisations philosophiques : le ‘’souci de soi’’ selon Foucault, la montée du ‘’narcissisme ‘’ selon les freudiens ‘’ (8) Il n’est plus seulement l’un ou l’autre mais les deux à la fois. On peut le situer à mi – chemin entre ces deux extrêmes.

L’épanouissement individuel et l’appartenance communautaire sont devenus les références centrales. Dans le sens où la relation de vivre le rapport à soi et aux autres est plus harmonieux et plus équilibrée. L’individu reste un ego, animé par l’intérêt personnel et l’aspiration au bonheur, mais en même temps, il cherche le dépassement de soi par la communication, par l’esprit de compétition à tous les niveaux pour la réalisation de l’homme total et pour ce faire, il est pluriel car il doit s’intégrer pour se mesurer avec les autres, non plus dans des règles en permanence imposées et codifiées, comme dans les sociétés archaïques, mais plus souples et plus volontaires à travers des groupes communautaires. Dans ce cadre, il doit déployer ses capacités créatives, de tout ordre physique, technique, intellectuelle… et comme on dit, la meilleure école est encore celle de l’homme, cela permet un enrichissement circulaire pour tous avec des interactions (feed-back).

Le fait que l’individu contribue à des systèmes d’information collectifs et de communication constitue une solution alternative aux phénomènes de repli sur soi.
Marx avait prédit la fin du capitalisme miné par ses propres contradictions. Il a pu se reproduire, de différentes manières : colonialisme, capital financier, dépendance technologique, cercle vicieux de la dette, ajustement structurel imposé par le FMI et maintenant les T.I.C., puisqu’elles renforcent la démocratie, c’est pourquoi, les pays du Tiers – Monde qui le souhaitent et non pour le secteur de la santé, par exemple : un prêt leur a été accordé de 36.70 milliards de dinars pour des projets qui s’échelonnent entre 2000/2005 (9).

De la même façon, Ibn. Khaldoun a prédit la décadence de l’homme pour ‘’ sa frénésie des besoins ‘’(10) et lorsque la solidarité se distend. Effectivement, une société dépourvue de solidarité cela n’existe pas, c’est inconcevable ! Parce que l’Homme est avant tout un ‘’socius’’, comme l’ont dit toute une épopée d’auteurs dont Aristote, I. Khaldoun, Rousseau, etc.

Ce sont maintenant les acteurs de terrain, issus du monde politique, associatif, de mouvements de base, l’Internet à travers les emails, la tchatche et les listes de diffusion ou communautés virtuelles, ainsi que les médias lourds qui assurent cette solidarité.

Ce besoin de collectivisme, mais entre groupes de pairs de tous les âges, qu’ils soient professionnels ou militants, pour partager des actions et des pratiques où se créent des liens d’amitié, des responsabilités, empêchent le risque de tomber dans cette ‘’oisiveté morne et flottante que E. Durkheim désigne ‘’d’anomie’’, soit la rupture des liens entre l’individu et la société et qui engendrent des phénomènes de non-conformité sociale, allant jusqu’au suicide, en passant par la déviance, la délinquance et la rébellion. Les individus marginalisés, (out du système) sont réintégrés dans les communautés virtuelles et dans les mouvements sociaux pour différentes revendications. Ils transcendent les classes sociales pour tenter de changer de situation professionnelle ou leur destin personnel et même collectif.

Bien évidemment, ce sont les T.I.C. qui viennent remédier à cet état de fait, en articulant les actes individuels avec l’action collective. Tout en donnant une action médiatique et publicitaire à tous ces mouvements sociaux non lucratifs qui se réduiraient à une peau de chagrin, sans cette compensation spirituelle et psychologique.
Avec l’audiovisuel, les médias et maintenant l’Internet qui multiplie la rencontre d’individus où des milliers de personnes se connectent pour avoir un accès à l’information et pour créer de nouveaux canaux d’expression et de communication, on n’échappe pas à cette mutation qu’engendre la révolution technologique et culturelle : notre société va ainsi vers l’individualité et ce, comme toutes les sociétés qui se développent.

Est-ce à dire que notre identité soit menacée ? Je ne le pense pas : même si nous sommes de pleins pieds dans la globalisation, cela ne veut pas dire pour autant homogénéisation. Chaque pays conserve sa spécificité culturelle, notamment pour tout ce qui a trait aux arts ; la culture folklorique au contraire est encouragée et vivifiée. L’année de l’Algérie a été célébrée avec faste toute l’année en France, maintenant c’est au tour de la Chine.
On ne peut plus penser le lien social en terme de domination et de subordination, ni de déclin de l’Etat Nation, au contraire il devient un allié nécessaire à la médiation.

Certes, nos rapports sociaux se trouvent modifiés. Dans le domaine de la famille, la subordination des sexes et des âges reste de mise, mais elle est moins stricte. La famille étendue se trouve ramenée en ville à la famille nucléaire, mais la visite parentale, le week-end reste sacré.
L’individu n’est pas non plus complètement livré à lui-même, parce qu’il y a toujours les voisins pour surveiller les écarts, quand ce n’est plus la belle –mère, mais il bénéficie d’une marge de manœuvre plus grande.

Ce changement se remarque dans la façon de célébrer nos rites. Dans un même mariage, coexiste à la fois le burnous et la robe de mariée, la pièce montée et les gâteaux traditionnels, la bague de fiançailles et la Fatiha. La prégnance des deux cultures parallèles fait que depuis une décennie et l’avènement de la parabole, les esprits font fi de plus de tolérance. La marge de détermination entre ce qui est permis et ce qui est proscrit s’est élargie, au niveau de l’habillement par exemple, les tensions sont moins vives, entre les tenants des deux extrêmes sympathisants de modèles opposés : occidental / oriental. Les uns charriaient le port du niqab, par une image péjorative de la femme, taxée de 404 bâchée et les autres menaçaient celles qui montraient la mèche et la boucle d’oreille ; littéralement dans notre dialectal : (choucha oua el mengoucha, liha el mahchoucha : la mèche et la boucle d’oreille méritent la sentence du révolver).

Les lycéennes et lycéens aujourd’hui ne sont pas différents dans leur tenue, du style androgyne des américains (es) et européens(nes ) : basket de marque étrangère si possible et jean sont la règle pour tous et sans le coca-cola, n’ayant pas pu supplanter notre producteur national Boualem HAMOUD. Cette américanisation prouve l’efficacité des représentations, que nous avions esquissées au niveau de la socialisation.

Conclusion

Armand MATTELART suppose que l’Internet réglemente le processus de mondialisation marchande, par le biais de la ‘’techno-utopie’’, des ‘’autoroutes de l’information ‘’ (11) qui s’avère être une arme éducative et idéologique de premier plan. Certes, mais à double tranchant : par le biais des réseaux, une cohésion est en train de s’installer pour créer un rapport de force. Les associations, virtuelles ou non, anti-drogues, anti-tabac, anti-sida, anti-violence, anti-guerre et anti-etc.…ne sont pas seulement des mouvements de contestation, de revendication ou de sensibilisation, mais également de régulation et de formation. Toutes ces mobilisations ont tendance à ressouder les liens sociaux et à renforcer la cohésion sociale, même si on peut parler à l’heure actuelle d’une démocratie ethnique par les pouvoirs centraux.

Nous nous dirigeons probablement vers plus d’humanisme, plus d’égalitarisme, plus de justice et plus… Sans ignorer que chaque fait social recèle une ‘’fonction manifeste’’ et une ‘’fonction latente ‘’ (12) moins voulue et que les T.I.C. comportent même des effets pervers; je préfère conclure sur cette note optimiste et sur cette citation concernant l’explication de la ‘’noosphère’’ par Philippe Chartier, fervent promoteur de la théorie de l’évolution, en ces termes : ‘’elle est une sorte de sphère mentale émanant de la convergence de tous les esprits humains, qui se superposerait à la biosphère pour envelopper toute la terre’’. (13)

Nadia Lalalli
Docteure en Sciences Sociales de l’Université Paris 5 – Sorbonne
Enseignante – Chercheure et Maître de Conférences en sciences à l’institut de l’éducation physique et sportive – Université Alger 3 Sidi Abdallah
Membre de l’association internationale des sociologues du sport A.I.S.S.

Références bibliographiques

Epistémologie Encyclopeadia Universalis France S.A. 2003‘’
‘’Nouvelles technologies, nouvelles communications, nouvelles sciences‘’, journée phare de l’ACI http://www.init.fr/Activités/Prescot
Epistémologie Op.cit.
Quotidien Jeune indépendant – éditorial ‘’campagne électorale avril 2004’’, 30/03/2004.
P. MOST,  »socialisation  »1996
BOURDIEU Pierre, ‘’les chercheurs, la science économique et le mouvement ‘’, intervention lors de la séance inaugurale des Etats généraux du mouvement social, Paris novembre 1996, (document Internet)
XVIIe Congrès international de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française, du 5 au 9 juillet 2004.
DUMAZEDIER Joffre revue Loreto 1993
Communication du Ministre Amar TOU ‘’les technologies de l’information et de la communication : développements futurs’’, 16/03/2004 Dély – Ibrahim
IBN KHALDOUN, ‘’les prolégomènes‘’, Annales de l’université de Copenhague -B.U. Alger 1943
MATTELART Armand, ‘’Multimédia ‘’, Le Monde de l’Education et de la Culture et de la Formation, avril 1997
MERTON (R.) Eléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Briome, 1965.
TEILHARD Pierre, cité par Philippe Chartier, ‘’la Noosphère‘’ (document Internet 21/03/2004)