Stéphane Leyens (dir.), Le médecin qui soignait les postes de radio. Essais sur l’ethnocentrisme critique de Michael Singleton, Presses universitaires de Namur, 2013.
L’anthropologue britannique Michael Singleton (né en 1939), de nos jours professeur émérite de l’UCL, est bien connu des objecteurs de croissance, notamment pour ses contributions à la revue Entropia. L’ouvrage collectif présenté ici lui rend hommage en explorant son « ethnocentrisme critique ». « Hors culture, rien ! Pas même le développement », clame-t-il dans la première partie. L’autre objectif de l’ouvrage est d’apporter de l’eau au moulin du débat sur l’aide au développement et la coopération Nord-Sud. Car il y a toujours eu, en filigrane, cette question lancinante : dans quelle mesure les Occidentaux respectent-ils, ou non, la diversité culturelle des peuples qu’ils se sont mis en tête de « développer », de nos jours en prenant souvent prétexte de l’aide humanitaire ? La réponse est double : soit relativiste – c’est le choix assumé de Singleton – soit (plutôt) universaliste – c’est celui de ses amis contradicteurs. Une telle discussion requiert obligatoirement toutes les nuances et mises en perspectives conceptuelles imaginables, et pose des questions philosophiques essentielles : « Le prétendu universalisme serait en fait un impérialisme ethnocentrique qui s’ignore » avance Stéphane Leyens pour lancer la réflexion (p. 9). Autrement dit : les acteurs du développement adoptent un ethnocentrisme universaliste, certes inéluctable, mais qui doit (devrait) être aussi critique de ses limites. Pour Singleton, la distinction nature-culture, typique de l’onto-épistémologie occidentale, n’est pas pertinente, il faut au contraire défendre une forme de constructivisme nominaliste où tout se donne à travers le langage. Pour lui, « le développement et la coopération interculturelle devraient être des processus foncièrement ouverts, toujours en devenir, générant des lieux inédits », et certainement pas une téléologie (pp. 16 & 17). Cette position radicale est discutée, parfois âprement, par huit de ses collègues ou ex-étudiants dans la deuxième partie, sous l’angle des Postcolonial studies ou de la bioéthique entre autres, par Christian Coméliau, Patrick Kelders, Isabelle Parmentier, Emmanuelle Piccoli, Laurent Ravez, Nupur Ray, Marcel Rémon et Stéphane Leyens. De ces contributions, je retiendrai subjectivement celle de Kelders pour son style enflammé débordant de conviction, qui défend l’attitude universaliste par le biais de son travail de terrain. Le long texte de l’anthropologue (pp. 25-49), au style fleuri et imagé, aux nombreuses références philosophiques, aux anecdotes pittoresques tirées de son expérience de Père Blanc chez les WaKonongo de Tanzanie, peut servir d’introduction à sa pensée, pour ceux qui ne la connaîtraient pas encore. En guise de point « final », il intervient à nouveau (pp. 147-173) pour répondre aux objections de ses amis, mais en n’apportant pas vraiment d’éléments nouveaux. On peut aussi simplement considérer ce livre comme une précieuse entrée vers la problématique complexe de la coopération et de l’aide au développement.
Bernard Legros