Après plus d’un mois de grève, des dizaines de milliers d’enseignants mexicains ont été rejoints par les étudiants universitaires et par d’autres syndicats dans leur appel à un arrêt national de travail – un « paro nacional » – les 19 et 20 septembre. Cet élargissement de la grève vient en réponse à l’assaut brutal donné par la police fédérale le 14 septembre contre le campement installé par les enseignants sur la place principale (el zócalo) au centre de Mexico, assaut qui s’est terminé par l’expulsion des protestataires.
Les enseignants en grève font partie de la Coordination Nationale des Travailleurs de l’Enseignement (CNTE), un regroupement militant au sein du Syndicat National des Travailleurs de l’Enseignement (SNTE). Pendant des décennies, la direction du SNTE a soutenu le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) – le parti quasi-unique qui a dirigé le Mexique pendant plus de 70 ans jusqu’en 2000 – en échange de la complaisance du PRI qui regardait ailleurs pendant que les dirigeants syndicaux s’enrichissaient sans vergogne.
En février, le nouveau président mexicain Enrique Peña Nieto, élu en juillet 2012, a fait emprisonner Elba Esther Gordillo, la présidente du SNTE, sous l’accusation de corruption. Même si Gordillo est incontestablement coupable, sa chute a surtout été provoquée par son refus de se soumettre aux manoeuvres de Peña Nieto qui cherche à imposer une nouvelle loi de réforme de l’enseignement. Celle-ci vise à imposer une évaluation standardisée et obligatoire à tous les enseignants et à ouvrir la voie à une attaque de grande ampleur contre le statut de fonctionnaire qui est celui des enseignants du secteur public.
Soumis à de fortes pressions, la direction actuelle du SNTE s’est couchée derrière l’attaque de Peña Nieto contre les enseignants – comme l’a fait aussi le Parti Révolutionnaire Démocratique (PRD), un parti supposé être de gauche et qui représente une importante force d’opposition à l’Assemblée Nationale.
Les enseignants affiliés à la CNTE sont en minorité dans certaines régionales du SNTE mais ils contrôlent d’autres structures régionales importantes, comme celle d’Oaxaca. Ils ont refusé de se soumettre sans combat à la réforme.
Il est difficile de savoir à quel point la grève est effective à l’échelle nationale vu que les dirigeants nationaux du SNTE y sont opposés. Mais la CNTE a mobilisé des centaines de milliers d’enseignants, d’étudiants et de travailleurs solidaires lors de manifestations à Mexico et la grève s’est étendue de Veracruz sur la côte est jusqu’à Guadalajara dans l’ouest du pays.
Tandis que le mouvement des enseignants s’élargit, des tensions pourraient apparaître. Mercredi 18 septembre, La Jornada, le principal journal quotidien de gauche mexicain, a rapporté que le secrétaire général de la CNTE, Rubén Núñez Ginés, qui dirige la régionale d’Oaxaca du syndicat, a été chahuté pendant sa prise de parole lors d’une manifestation à Tlatelolco (l’endroit symbolique où 300 étudiants ont été massacrés par la police en 1968) aux cris de « Urgente, urgente, cambiar al dirigente! » (« C’est urgent, c’est urgent, changeons la direction ! »)
Après que Núñez ait quitté le podium, plusieurs colonnes regroupant des centaines d’enseignants et d’étudiants ont tenté de marcher vers le zócalo pour reprendre l’occupation de la place mais ils ont été bloqués par la police.
Après la grève des 19 et 20 septembre, la grève sera suivie le 21 par le Troisième Sommet Populaire des Enseignants qui fera le point sur le mouvement de grève et débattra des prochaines étapes de la mobilisation.
L’ampleur de la grève et de la mobilisation sera un indicateur important de la force du mouvement des enseignants alors que celui-ci entre dans son deuxième mois. L’Assemblée nationale ayant déjà voté le projet de réforme, les enseignants mènent une bataille difficile pour l’obliger à revenir sur cette décision. La stratégie du gouvernement est clairement d’épuiser les enseignants dans les régions les plus pauvres du pays pour les forcer à reprendre le travail, tout en calomniant et rendant responsables de tous les problèmes les enseignants de Mexico.
Au cours des 20 dernières années, ce genre de stratégie s’est avérée efficace – des dizaines de syndicats de branches ont été brisés et les emplois de leurs membres liquidés lors de plans de privatisation massive. Récemment, les 40.000 membres du Syndicat des Travailleurs de l’Electricité (SME) ont perdu la bataille pour conserver l’électricité sous statut public dans la ville de Mexico. Le SME continue à lutter mais le gouvernement se sent maintenant assez confiant pour faire rentrer les enseignants dans le rang.
La semaine qui vient sera décisive pour savoir s’ils pourront porter un coup dur aux plans de Peña Nieto.
Paru le 19 juillet sur le site socialistworker.org (USA)
Traduit pour avanti4.be par Jean Peltier