De la relativité du temps… scolaire


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Profitant de la canicule de juillet, la ministre de l’Enseignement vient d’annoncer que, pour organiser les activités de «remise à niveau», les écoles pourront réduire les «heures» de cours à 45 minutes au lieu de 50. Progrès démocratique ou bricolage dérégulateur ?

Depuis quelques années, l’initiation à la théorie de la relativité a été introduite dans les programmes du cours de physique de 6e année. Du moins dans l’option «sciences fortes» car, malheureusement, les concepteurs des référentiels n’ont pas jugé utile de proposer ce chapitre aux élèves de «sciences de base» ni à ceux de «sciences appliquées», ceux précisément auxquels j’enseigne. Trop passionnant, sans doute, pour les premiers, que l’on juge définitivement réfractaires à toute curiosité scientifique ; trop théorique pour «l‘intelligence concrète» que l’on prête aux seconds… Qu’à cela ne tienne, je m’arrange chaque année pour grappiller quelques minutes de cours par ci, par là, de semaine en semaine, afin d’offrir aux élèves, peu avant les examens, quelques éléments de cette étrange théorie, où le temps se dilate et où les masses tendent vers l’infini à l’approche de la vitesse de la lumière. Et puis tant qu’à faire, s’il me reste encore deux ou trois périodes de cours, je leur parle également de cette autre grande oubliée des programmes de sciences : la mécanique quantique, fondement des formidables mutations technologiques que sont l’électronique, l’informatique et les télécommunications modernes.

Aujourd’hui, à un mois de la rentrée, je prie le ciel pour que le chef de mon établissement ne soit pas soudain frappé d’une idée saugrenue : remplacer les cours de 50 minutes par des cours de 45 minutes, comme le permet désormais le ministère. Non que je doute de l’importance des rattrapages, des remédiations, des guidances individualisée et autres activités de découverte que l’on pourrait organiser dans le temps récupéré sur la somme de ces multiples cinq minutes. Mais je serais très triste si le prix à payer était l’abandon d’une partie des ambitions que je me fixe pour mon cours de physique. Car pour les sixièmes, ces cinq minutes de moins signifieront la mort de mes excursions hors programme dans le monde de la relativité.

L’argument avancé par les défenseurs de cette nouvelle mesure, à savoir que «cinq minutes ce n’est pas grand chose» et que «ça n’aura pas d’impact sur les matières enseignées», ne tient pas la route. Le temps scolaire n’a pas la flexibilité bienveillante du temps des théories de monsieur Einstein. Supprimer cinq minutes d’un cours de cinquante, c’est supprimer 10% du temps de cours. C’est donc supprimer 10% de matière et/ou d’approfondissement de cette matière. Point à la ligne.

Ah mais, disent-ils, il suffit de regrouper les périodes de cours par deux, en éliminant les inter-cours ; il convient aussi de mieux organiser l’occupation des locaux afin que les élèves ne perdent pas de temps en changeant de classe ; et puis les profs n’ont qu’à préparer leurs cours de façon à optimiser le temps de travail en classe…

Qu’est-ce qu’ils s’imaginent donc ? Que les enseignants les plus pressés et stressés n’ont pas déjà supprimé l’inter-cours ? Et que les autres considèrent ce moment de relâche et de libre discussion avec leurs élèves, comme du temps perdu ? N’est-ce pas précisément à ce moment-là que Florence m’a raconté pourquoi sa vie à la maison devenait si difficile ? Et que Malik m’a interrogé sur un problème qu’il n’avait pas compris deux semaines plus tôt ? N’est-ce pas pendant un inter-cours que j’ai eu, avec une classe de cinquième, une bien utile discussion sur l’importance d’étudier l’histoire ? Et les cinq minutes durant lesquelles les filles et les garçons descendent du local de géo pour se rendre à mon labo sont-elles donc un moment de détente superflu ? Qu’est-ce que c’est que ces pédagogues du timing, ces bureaucrate de la gestion des ressources humaines, qui prétendent transformer nos classes en ateliers taylorisés, minutés à la seconde ? Avons nous encore le droit de poursuivre nos apprentissages calmement, sans courir, mais sans sacrifier nos ambitions ? Avons nous encore, professeurs et élèves, le droit de vivre sereinement à l’école ?

Voilà des décennies que l’on ne cesse de rogner le temps scolaire. Les cours du samedi matin ont été supprimés et les périodes ramenées de soixante à cinquante minutes. Durant les années 80 on a ôté aux écoles les moyens d’encore organiser des rattrapages, des guidances individualisées, des coordinations et des conseils de classe dignes de ce nom. La réduction des taux d’encadrement et l’augmentation de la charge de travail des enseignants ont raccourci le temps que ces derniers peuvent consacrer calmement à chacun de leurs élèves. Parallèlement, le temps de travail personnel des élèves à la maison, pour les devoirs et leçons, a lui aussi été rogné au nom d’une conception farfelue du bien de l’enfant et de l’équité. Moins de travail ! Moins de cours ! Moins de matières ! Moins d’encadrement ! Moins d’école… Cette pédagogie de la diminution constante des ambitions a facilement su flatter l’oreille bienveillante de ministres en mal chronique de ressources budgétaires.

Aujourd’hui, devant l’évidence de la catastrophe, on nous propose encore du bricolage. On réinvente la remédiation et les rattrapages jadis liquidés… mais en grappillant sur la durée des cours. Ainsi, la lutte — indispensable — pour la réussite de tous prend une fois de plus la forme d’une réduction des objectifs d’éducation et d’instruction.

Nous n’aurons de cesse de le répéter : nous refusons de choisir entre la peste de l’école inégale et le choléra de l’école sans ambition. L’émancipation intellectuelle et culturelle des enfants du peuple n’est pas mieux servie par la médiocrité généralisée que par la ségrégation sociale.

Oui aux rattrapages, oui aux guidances individualisées, oui aux devoirs encadrés et à l’étude dirigée à l’école, oui aux activités sportives, culturelles, techniques, artistiques à l’école, oui aux moments de découverte, de bricolage, de création ou de détente dans le cadre scolaire. Mais pas au prix de moins de cours. Pour permettre toutes ces choses réellement nécessaires, il faut au contraire davantage de temps scolaire. L’école doit rester ouverte après 16h, les mercredi après-midi, le week-end. Avec du personnel compétent, avec des collations et des boissons, avec des locaux agréables, des espaces suffisants, des équipements adéquats et des moyens de transport si nécessaire.

Voilà l’école ouverte, ouverte sur la vie, que nous appelons de nos voeux. Elle est à l’exact opposé de cette école prétendument «efficace» où l’on court après les secondes, de cette école prétendument compétente où l’on galope après les «benchmarkings» des enquêtes PISA…

Nico Hirtt est physicien de formation et a fait carrière comme professeur de mathématique et de physique. En 1995, il fut l'un des fondateurs de l'Aped, il a aussi été rédacteur en chef de la revue trimestrielle L'école démocratique. Il est actuellement chargé d'étude pour l'Aped. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages sur l'école.

4 COMMENTS

  1. De la relativité du temps… scolaire

    Bonjour, j’ai été amené à accompagner pendant 3 ans, avec d’autres chercheures de mon département, l’école Pie 10 à Châtelineau qui avait entrepris de réduire à 45 minutes le temps de chaque cours. C’est vrai, tout le monde ne s’était pas engagé dans le changement avec enthousiasme au départ, plutôt perplexes certains se voyaient amputés de ‘leur matière » à enseigner. C’est vrai aussi, tout changement structurel implique un changement d’attitude par rapport « à son savoir » avec des effets sur la pédagogie.Ce n’est pas toujours facile. C’est aussi vrai que suivant les degrés la réduction du temps de cours n’est pas du même ordre. Il reste que au premier degré la taux de réussite s’est significativement amélioré ( grâce au dynamisme et à l’investissement de la responsable de la gestion du processus) au cours du temps. L’expérience continue même si ce n’est pas la panacée… mais comme disait l’autre  » c’est un petit pas pour l’enfant mais un grand pas pour certains ;-)) Je pense que celles et ceux qui se sont engagés dans cette micro-novation peuvent témoigner de l’intérêt et des inconvénients de cette réduction, en connaissance de cause.

    • De la relativité du temps… scolaire

      Monsieur Donnay,

      Malgré tout le respect et l’ estime que je vous donne ( ce n’ est pas un devoir), vraiment,…vis à vis de votre travail au long cours, je souhaite vous dire que depuis que je suis dans l’ enseignement ( 31 ans ), la plupart des expériences innovatrices-pilotage-terrain auxquelles j’ ai assisté en tant qu’ enseignante et en tant que détachée pédagogique se révélaient fructueuses, tres interessantes et probantes.

      Mais il me semble que l’ on néglige à chaque fois un critère important de la réussite de cette recherche-action : la motivation d’ une MAJORITE de l’ équipe et l’ accompagnement de cette-çi par des professionnels extérieurs, tant au niveau pédagogique qu’ animation d’ une équipe, et enfin, motivation car les enseignants se sentent valorisés de participer à l’ expérience encouragée par des supérieurs crédibles et ouverts.

      Ce qui n’ est pas le cas de tous nos supérieurs hiérarchiques, qu’ ils soient pédagogiques ou pouvoirs organisateurs politques, idéologiques ou religieux.

      Une fois ces expériences répétées étant concluantes, elles sont imposées à tous les enseignants, et sans réelle formation ( ce ne sont pas les journées pédagogiques qui forment…Au mieux, elles sensibilisent…)

      Donc, ces expériences sur le terrain n’ ont , pour moi, pas d’ interêt , tant que l’ on ne donnera pas aux enseignants, à tous, CES MEMES conditions.

      Leurs seuls interêts, selon moi, est de maintenir des emplois dans le cadre de la recherche et de la recherche-action.

      Monsieur Donnay, tant qu’ on est enseignant, on doit bien garder flamme et idéal.
      Je vous apprécie pour cela, vous n’ avez pas baissé les bras, vous n’ avez pas choisi de dormir près d’ un poêl poussiéreux.
      Mais franchement, nous savons presque tous que ces petits aménagements, ces petites réformettes, ces  » nouveautés » ne vont pas apporter du plus qualitatif à notre enseignement, non?

  2. De la relativité du temps… scolaire

    Quelle déception ! Toujours la frime…

    On aurait pu espérer qu’une ministre issue du sérail accorderait la priorité absolue à l’authentique éducation de tous nos jeunes, et réduirait au strict inévitable les préoccupations boutiquières. Pour prendre des mesures consistant à réduire encore les heures d’étude, on ne doit pas être vraiment conscient, là où se prennent les décisions, que le temps passé avec leurs enseignants par nos enfants du primaire s’est réduit de 25 % depuis les années 1950 ; toujours, évidemment, au détriment de la culture. Et l’on n’hésite pas à ajouter des matières dont je ne mets pas l’importance en doute, mais qui ne devraient pas empiéter sur l’apprentissage scolaire : il devrait y avoir, pour ce faire, d’autres moments et d’autres partenaires.

    Ce n’est pas encore sur notre nouvelle ministre que l’on pourra compter pour sortir notre institution scolaire de ses structures médiévales…

  3. De la relativité du temps… scolaire
 … et si on essayait les 100 minutes.
    Pour ma part, sans changer le fonctionnement, je ne vois pas comment on peut faire plus avec moins… et cela n’a rien de relatif.

    Lorsqu’Elio Di Rupo était notre ministre, un état des lieux approfondi de l’enseignement et de son efficacité avait été réalisé. Il a débouché sur d’ambitieuses réformes qu’il n’a pas eu le temps de faire aboutir. Ce qu’on a vu ensuite, surenchère politique et conservatisme syndical et politique obligent, c’est un détricotage des quelques mesures déjà mises sur pied. Depuis lors, on chipote, on bidouille et, excepté quelques excursions pour « politiques corrects » en Finlande, rien de positif. Quand bien même en a-t-on bien mal retenu le terme « remédiation » dont on se refuse à nous donner les moyens.

    On n’entend même pas parler de cette superbe expérience menée durant de très nombreuses années à l’Athénée royal de Laroche (en Ardenne) où l’on pratique les 100 minutes. Toutes les matières sont groupées en tranches de 2 x 50 minutes successives comme suit : la journée est organisée en 4 blocs de deux périodes, l’année en deux tronçons égaux (2 ou 4 périodes, je ne le sais plus), les examens de décembre sont reportés en janvier et les matières à 1 période/semaine se donnent durant un seul semestre.

    Je sais, pour ma part, qu’à chaque fois que l’horairiste de mon établissement me l’accorde, j’ai un plus grand bonheur à enseigner par 2 heures consécutives à la même classe. Nous, les élèves et moi, ne perdons qu’une fois le temps consacré aux tâches administratives, et le bénéfice pédagogique est évident puisque la seconde heure débute sans une minute de perdue car les élèves sont déjà dans la démarche spécifique à la matière. Que de temps et de bénéfice que l’on peut consacrer à parfaire le travail.

    Lorgner vers la Finlande, pourquoi pas; valider les expériences qui, à moyens égaux, sont réellement plus efficaces, certainement; mais surtout, avoir un jour le courage politique (cela existe-t-il encore ?) de mettre tout à plat et de prendre le risque de réussir.
    Vous aurez compris que je suis las de participer à cette déglingue qui fait de nous également des éleveurs d’ânes et des gardiens de prison.

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