L’intelligence est la faculté de comprendre les faits, découvrir les relations entre les choses, s’adapter aux situations nouvelles. L’intelligence pratique est la capacité d’agir de manière adaptée aux situations. Le raisonnement et l’analyse, inséparables de la maîtrise du langage, aboutissent à une connaissance conceptuelle et rationnelle (en opposition avec l’intuition). Une compétence est une connaissance (savoir, savoir-faire, savoir-être) mobilisable, tirée généralement de l’expérience ou de l’apprentissage et nécessaire à l’exercice d’une activité.
Enseignement et compétitivité : les compétences
Il est significatif, à l’heure actuelle, de parler de compétences et de socles de compétences dans l’enseignement. En effet, ce vocabulaire, décortiqué, analysé et décliné presque à l’infini, masque avec efficacité un réel problème de formation : à l’école, on n’apprend pas à penser ou à se dégager de sa condition sociale, on apprend à être compétent pour tel ou tel travail.
On peut dire que l’école actuelle sert la productivité et non l’intelligence. La remise en question et la gratuité deviennent désuètes, elles ne sont ni admirées, ni enviées, l’intelligence parait suspecte dans ce sens qu’elle permet aux individus de penser alors que tout l’ensemble de la société invite plutôt à consommer, à travailler sans trop de réflexion sur le sens à donner à cette façon de faire. Penser est un acte gratuit. Les cours d’art ou de musique ne font plus ou très peu partie de l’apprentissage de base. De même, plus tard, la philosophie et la poésie ont si peu de place dans les compétences requises… Un ingénieur, tout autant qu’un technicien ou un ouvrier, est soumis aux lois de la compétitivité et du commerce, au détriment de la réflexion fine, de l’éthique, de la recherche pure. La technique et le profit, seuls, doivent croître.
Penser, être créatif, se montrer intelligent… ces activités émancipatrices demandent un pré-requis. En effet, comment mettre en oeuvre une réflexion sans avoir d’abord appris ? Et, bien entendu, un certaine somme de connaissances aide à dégager un raisonnement. Il faut d’abord connaitre l’histoire, la géographie, la biologie, la physique… ensuite seulement, les liens peuvent se tisser. Dans la pratique des socles de compétence, on est loin d’accumuler des connaissances. On lit un texte, on le décortique, on le manipule, on montre qu’on l’a compris… et ensuite on peut l’oublier!!! Il faut essentiellement retenir comment le traiter pour reproduire la manipulation. On évite d’apprendre par coeur. On préfère les choix multiples et les attrapes dans les énoncés de questions… Un peu comme dans les futurs entretiens d’embauche. L’heure n’est pas à prendre un bain de savoir mais plutôt une douche : l’enseignement est rapide, tiède et glisse sur les individus, comme une douche. On ne s’y plonge plus, on ne s’y abandonne pas, on le consomme.
Cette consommation même entraine un effet pervers : il faut que les écoles présentent un projet et ce projet sera différent selon les établissements afin d’avoir le choix… Le consommateur doit pouvoir choisir… Mais cette offre diversifiée ne se porte pas seulement sur le choix des sciences plutôt que de la littérature ou des études techniques ou professionnelles plutôt que générales. Très vite, sur le terrain, on découvre que dans telle école, on « passe » plus facilement, dans une autre, les absences et décrochagesseront traitées avec plus de laxisme ou, au contraire, un autre établissement restera extrêmement strict sur les programmes ou la préparation aux études supérieures supérieures. L’offre porte aussi sur la discipline et l’implication dans les études.
Enseignement et mixité sociale : le décret inscriptions
C’est ainsi que se créent les écoles élitistes et les écoles à discrimination positive. Cette dernière formule signifie souvent : « une école où les professeurs peinent beaucoup pour essayer de garder un niveau acceptable ». Décidément, le vocabulaire de l’enseignement masque bien ses failles et ses manquements. Les parents se rendent d’ailleurs aussi complices de ces différences. Il en est qui feront tout pour que leur enfant suive un enseignement « fort » et de qualité. D’autres préféreront une école où on les laissera tranquilles. Toujours l’offre et la demande…
La mixité sociale dépendrait d’un « décret inscriptions ». Pendant que le cabinet ministériel joue avec les chiffres (10% de mixité en plus par ici, un peu moins par là…) les parents se pressent aux portes des écoles « qui ont bonne réputation ». Mais, puisque ces écoles sont toujours les mêmes, pourquoi ne s’en trouve-t-il pas plus qui « copieraient » les modes de fonctionnement qui plaisent tant aux parents, afin d’attirer dans leurs classes ces futurs bons élèves ? Il y a probablement plusieurs réponses à cette question. Et sans doute ces réponses fâcheraient-elles… En effet, on entre là dans la rivalité entre les différents réseaux et leurs différences de fonctionnement. L’enseignement communal, chapeauté par un échevin, rémunéré pour ce mandat, laissera moins de liberté à son chef d’établissement. Il faut bien justifier le poste de l’échevin. Par contre, dans l’enseignement libre, avec un pouvoir organisateur dont beaucoup de membres sont bénévoles, on comptera plus sur la responsabilité de son personnel éducatif et sur la construction d’équipes soudées. Il y a aussi le provincial, qui fonctionne plus à l’autonomie et la communauté Wallonie-Bruxelles qui dépend d’une grosse administration directement liée au cabinet ministériel. C’est un tabou : on ne remet pas en question toute cette lourdeur administrative.
Autre lourdeur, celle du statut des professeurs. Des instituteurs, moins bien payés que des agrégés de l’enseignement secondaire inférieur, eux-mêmes moins bien rémunérés que les enseignants ayant obtenu un « master ». Les cours généraux sont mieux rémunérés que les cours de pratique professionnelle ou les cours techniques. Les heures de remédiations ne sont pas toujours rémunérées, les professeurs ne sont pas systématiquement nommés comme ils le méritent, certains se trouvent sur des places « intérim » depuis des années. Ce n’est pas une question de qualité de travail ou de droit, c’est parfois la « faute à pas de chance ». Mais de cela aussi, il est difficile de parler. Il existe enfin une zone de non-droit où, étant donné qu’ un chef d’établissement décide des attributions et de l’horaire de ses professeurs, un chantage sournois survient facilement. La transparence n’est pas toujours de mise, le secret et le respect de la hiérarchie sont un mode de fonctionnement alors que d’autres écoles travaillent de manière plus collégiale.
Le résultat est le suivant : après un début de carrière bousculé, les professeurs qui le peuvent se trouveront dans les « bonnes » écoles et ceux qui n’ont pas le choix (sont-ils aussi les moins bons? rien n’est moins sûr…) se retrouveront ailleurs. Certes, il y a des exceptions, des champions toutes catégories… mais en gros, un professeur démotivé ou fatigué qui se trouve dans une de ces écoles dont les parents sont friands sera poussé et soutenu par ses collègues, par les parents et même par ses élèves. Dans une école plus difficile, il sera encore plus démotivé. A quoi bon…
La mixité sociale des professeurs n’est, elle, jamais évoquée.
Enseignement et société : tout et tout de suite
Enfin, le règne de l’immédiat fait fureur dans notre nouvelle manière de vivre. Grâce aux télé-réalités, on est célèbre du jour au lendemain, grâce aux téléphones portables, l’obligation de prévoir dans la durée s’estompe. On se permet de prévenir au dernier moment, d’informer tout de suite, de diffuser sur les réseaux, qu’ils soient sociaux ou pas, des informations bidons qui seront bientôt oubliées. Les modes passent. Peu de choses, au quotidien, s’inscrivent encore dans le long terme. Le décret inscription lui-même ressemble aux jeux télévisés : une part de règlement, une part de chance. Les candidats prendront connaissance du sort qui leur est réservé le moment venu. On assiste au débriefing dans les médias.
Or, apprendre, se former, développer une réelle intelligence et s’épanouir demandent du temps, de la patience, des efforts et de la durée… Ce n’est pas un jeu, c’est un travail au quotidien. Tiens, le mot travail… il n’apparait plus beaucoup dans le langage de l’enseignement ?!?
Un marché scolaire où la connaissance est remplacée par la compétence
Nous fonctionnons dans un marché scolaire qui ne va certainement pas s’arrêté en « si bon chemin », sachant la pilarisation séculaire de notre paysage éducatif et son clivage idéologique profond qui n’est jamais réellement remis en question et très certainement pas par la Ministre actuelle de l’Enseignement.
Il procède par socle de qualité bien plus que par socle de compétences, où le règne de la concurrence amène la logique de profit, assimilant toujours plus l’école à un produit de consommation, et l’élève, à un acheteur potentiel….l’enjeu étant de rendre se dernier captif par un marketing des réseaux !