L’intérêt pour la Finlande dans le domaine éducatif est bien sûr alimenté par les excellents résultats de ce pays dans les évaluations internationales et notamment dans la plus célèbre d’entre elles, PISA.
Cette excellence, confirmée à chaque nouvelle session, conduit naturellement à chercher les recettes d’un succès aussi constant, particulièrement quand son propre pays ne parvient pas à décoller d’une position à peine médiane, fort décevante eu égard au budget consacré à l’éducation et à la réputation longtemps justifié de meilleure école du monde.
Mais avant de nous engager plus avant dans la recherche des causes de la réussite finlandaise, je vous invite à vous attarder avec moi un instant sur quelques aspects très intéressants de cette réussite, mis en évidence par PISA.
Car la Finlande ne se contente pas de rafler des podiums avec une grande régularité. PISA montre aussi que ce pays semble avoir trouvé des solutions à des questions éducatives épineuses auxquelles bien des pays développés, et notamment la France, ont jusqu’ici échoué à apporter des réponses satisfaisantes :
- Comment réduire l’échec scolaire ?
- Comment lutter contre les déterminismes économiques en éducation ?
- Comment dans le même temps assurer la constitution d’une élite scolaire forte et nombreuse ?
- Comment réussir tout cela sans faire exploser le budget de l’éducation ?
Ces questions qui traversent en permanence le débat sur l’éducation en France semblent, d’après les indicateurs très précis livrés tous les trois ans par PISA, avoir trouvé en Finlande des réponses à la fois solides et stables.
Quelles sont donc les clés de cette réussite étonnante ?
A mon sens, c’est en premier lieu une philosophie de l’éducation qui s’intéresse à l’enfant (et non pas seulement à l’élève) dans sa globalité et qui le place au centre du système.
En Finlande, l’idée qu’il puisse y avoir antagonisme entre l’épanouissement de l’enfant et l’acquisition des savoirs paraît très incongrue. Comment en effet ne pas comprendre qu’un enfant heureux, épanoui, qui a plaisir à aller à l’école parce qu’il s’y trouve dans un environnement sécurisant, familier, confortable et harmonieux, où il sait que les professeurs sont là pour l’aider à progresser, quelles que soient ses difficultés, comment ne pas comprendre que cet enfant a toute chance d’acquérir plus aisément les savoirs qui lui sont proposés ?
Tout est donc fait pour que l’enfant se sente chez lui à l’école, et tout est fait aussi pour qu’il ait le sentiment de pouvoir progresser à son rythme. Ecoutons à ce sujet une mère finlandaise :
« C’est au système éducatif à s’adapter au rythme de l’enfant, non le contraire. Si l’enfant n’est pas prêt biologiquement pour apprendre la géométrie ou la grammaire, ce n’est pas grave… on attendra qu’il soit prêt. »
Pour cela l’entrée dans les apprentissages fondamentaux est très progressive (l’école n’est obligatoire qu’à partir de 7 ans) et laisse toute sa place au jeu. Cela fait partie de l’expertise professionnelle des enseignants de savoir guider en douceur les enfants vers les apprentissages par le jeu.
Cette phase pré-scolaire est aussi celle où l’on observe l’enfant et où l’on détecte d’éventuelles difficultés cognitives auxquelles on va apporter des remédiations le plus précocement possible. Par la suite, et jusqu’à la fin de l’école fondamentale, cette attention bienveillante portée à chaque élève ne faiblit pas.
Il n’y a pas de mystère : si la Finlande a réussi à réduire fortement l’échec scolaire, c’est parce qu’elle a mis en place dans toutes les écoles des dispositifs d’aide et de remédiation efficaces. Pour une école de 200 à 300 élèves, deux enseignants spécialisés sont entièrement déchargés de classe et reçoivent à la demande de leurs collègues les élèves qui ont besoin d’une aide spécifique dans telle ou telle matière, et ce pendant le temps des cours.
Si la Finlande parvient à limiter les effets du déterminisme socio-économique dans le domaine scolaire, c’est aussi parce que les réformateurs du système éducatif, au tournant des années 70, ont été animés, d’une volonté forte de réaliser les conditions d’une véritable équité. Ce qui était une gageure dans un pays à l’habitat très dispersé, encore fortement rural, où les inégalités de développement entre les provinces étaient très importantes, et où, qui plus est, il n’y avait pas d’homogénéité linguistique.
Le principe d’un égal accès à une éducation de qualité pour tous, quelles que soient la situation géographique, les différences de langues, de milieu social ou de sexe une fois posé par les réformateurs, on n’y a plus jamais dérogé.
Cela s’est traduit par la constitution d’une école fondamentale obligatoire, identique pour tous de 7 ans à 16 ans et entièrement gratuite.
Ce ne fut pas simple, car je tiens à rappeler qu’alors le système finlandais était largement aussi inégalitaire, élitiste et sélectif que les systèmes français ou allemand !
Je vous propose d’entrer un tout petit peu dans le concret de ce que suppose ce principe d’équité.
Dans un pays qui compte trois langues officielles, cela veut dire permettre à tout élève de pouvoir accomplir toute sa scolarité dans sa langue maternelle.
Dans un pays où l’habitat est très dispersé, cela veut dire offrir une école de qualité jusque dans les régions les plus reculées du fin fond de la Laponie.
Et quant à la gratuité, entendons-nous : chez nous, l’accès à l’école est gratuit, certes, mais les familles n’en contribuent pas moins pour 10% à la dépense globale d’éducation. En Finlande, la gratuité est totale : les familles ne paient ni pour la restauration, ni pour les transports, ni pour les livres, ni pour les fournitures scolaires.
Cette façon d’aller jusque dans le détail très concret des principes généreux qui les animent est très caractéristique de ce que j’appellerais l’humanisme pragmatique des finlandais pour lequel j’ai une grande admiration.
Enfin troisième élément fondamental de la réussite du système éducatif finlandais : les enseignants.
Il est apparu évident aux réformateurs finlandais qu’ils ne pourraient parvenir à rien sans les enseignants. Ils les ont donc associés à l’élaboration même de la réforme dès lors qu’en furent posés les principes fondamentaux. Rappelons que cette phase d’élaboration dura 4 ans (de 1968 à 1972) et qu’elle ne fut ensuite mise en œuvre que très progressivement à partir des provinces les plus reculées.
L’élévation du niveau de formation des enseignants apparut rapidement comme une priorité essentielle à la réussite de la réforme. Car regrouper tous les élèves dans un même cursus fondamental posait le redoutable problème de l’hétérogénéité. Comment enseigner et quoi enseigner à des élèves qui auparavant étaient précocement triés ? La réponse était de nature programmatique, certes, mais elle était surtout de nature pédagogique.
La formation des enseignants a donc été entièrement repensée pour répondre à ce nouveau défi. Dans les masters d’enseignement, exigés depuis 1979 pour tous les professeurs, une part importante fut désormais réservée à la connaissance de la psychologie et du développement cognitif de l’enfant, aux théories de l’apprentissage et à la pédagogie. Ces acquisitions s’appuient sur des mises en pratique progressives et encadrées par des professeurs chevronnés, dans le cadre d’écoles d’application présentes sur tous les campus des facultés de pédagogie.
Dotés de ce solide bagage théorique et pratique, les enseignants sont ensuite considérés comme des experts auxquels on peut faire confiance. Il n’est donc, c’est logique, plus besoin de les inspecter.
Ce qui est frappant lorsqu’on se penche vraiment sur le système éducatif finlandais, c’est la solidité de ses bases conceptuelles, sa très grande cohérence et l’adhésion de tous ses acteurs et de l’ensemble de la population aux principes qui l’animent.
C’est aussi la façon très progressive dont il a été construit en recherchant toujours le consensus autour de valeurs fortes.
Les finlandais pour changer leur école se sont hâtés lentement.
La plus précieuse leçon que la Finlande peut nous donner dans le domaine éducatif, c’est son art consommé de la réforme! C’est ce qui lui a permis de montrer, comme le dit très justement le manifeste du collectif « Ecole : changer de cap » auquel je participe, que « des transformations profondes de l’école constituent une utopie réalisable ».
Il me semble que la première condition pour parvenir à faire changer l’école est de bâtir un consensus autour d’objectifs clairs, ambitieux et à long terme. Puis d’impliquer dès la phase initiale de chaque réforme toutes les parties intéressées. Enfin d’adopter un rythme de transformation qui soit déconnecté du temps politique court.
A ces conditions ce qui a été réalisé en Finlande peut l’être ailleurs en tenant compte des spécificités de chaque pays.