Bienvenue dans le monde enchanté de l’enseignement universitaire aux Etats-Unis où l’ensemble des prêts étudiants a représenté l’an dernier plus de 1.000 milliards de dollars, soit une moyenne de 25.000 dollars par étudiant.
Mais la crise économique et financière s’est aussi invitée au pays du hamburger et de la marchandisation sans frein de l’enseignement. Au 31 mars, le total des sommes empruntées et encore en souffrance s’élevait à 904 milliards de dollars. Les prêts étudiants sont ainsi devenus le deuxième poste d’endettement des ménages américains en 2010, derrière les emprunts immobiliers, mais devant les emprunts contractés par carte de crédit.
L’enseignement pourrait bien devenir sous peu la prochaine bulle spéculative à exploser.
L’article qui suit est paru ce 10 juillet 2012 sur le site ww.www.lemonde.fr sous la signature de Mathilde Damgé et donne une vue saisissante de ce que devient un enseignement abandonné aux lois du marché… et aux financiers de tout poil.
«Soulagement pour les étudiants de la rentrée prochaine aux Etats-Unis : le Congrès s’est finalement prononcé contre le doublement des taux d’intérêt appliqués aux prêts destinés à financer les études, renouvelant un statu quo qui coûte annuellement 5,8 milliards de dollars au pays. Le taux d’intérêt de ces prêts, subventionnés par l’Etat et accordés à des millions de jeunes, ne passera donc pas de l’actuel 3,4 % à 6,8 %, comme ce devait être le cas à partir du 1er juillet.
Cette question, qui peut paraître technique et mineure chez nous, est cruciale aux Etats-Unis, où les étudiants quittent l’université avec, en moyenne, 25.000 dollars de dettes. Un encours auprès des banques qui ne cesse d’augmenter, suivant une trajectoire inverse à celle de l’endettement des ménages, selon une étude de la Banque centrale américaine (FED) de New York publiée fin mai.
Deuxième poste d’endettement des ménages
Problème : fraîchement émoulus de leurs universités, les Américains ne parviennent pas à rembourser ces prêts. Au 31 mars, le total des sommes empruntées et encore en souffrance s’élevait à 904 milliards de dollars. Les prêts étudiants sont ainsi devenus le deuxième poste d’endettement des ménages américains en 2010, derrière les emprunts immobiliers, mais devant les emprunts contractés par carte de crédit.
L’endettement atteint un tel point que certains n’hésitent plus à encourager les jeunes à… ne pas faire d’études. « Il faut arrêter de faire des études par automatisme, s’interroger sur leur but. Les études sont devenues une façon d’éviter de se demander ce qu’on veut faire », estime ainsi l’un de ces nouveaux apôtres de l’école de la vie, Peter Thiel, créateur du site de paiement en ligne PayPal. Il n’hésite pas à parler de « bulle » et à comparer cet investissement au secteur immobilier, anéanti par la déflagration des « subprimes » en 2007.
Car avec la crise qui continue de gronder, nombre de jeunes diplômés peinent à trouver un travail à la hauteur de leurs espérances, quand ils n’ont pas tout simplement du mal à trouver un emploi. Le cercle vicieux s’enclenche quand certains décident de prolonger ou de reprendre leurs études en raison de cette même difficulté d’accès à l’emploi.
Selon une étude du cabinet d’offre de crédit Equifax, les arriérés de plus de trois mois ont augmenté de plus de 14 % en 2011 par rapport à l’année précédente. Sur son blog, Equifax va jusqu’à conseiller aux anciens étudiants en état de surendettement de réunir la totalité de leurs dettes, scolaires y compris, via un rachat de crédits et d’attendre une procédure de mise en faillite. « Ce n’est pas l’option la plus morale, mais elle est légale », commente l’auteur du blog. Autre possibilité proposée par le spécialiste, aller travailler dans les Etats où leurs talents seront requis pour diminuer ou effacer leur dette.
« Exagéré de parler de bulle »
Mais pour Amine Ouazad, maître de conférence à l’Insead, il est « exagéré de parler de bulle : une bulle se caractérise par des prix qui ne reflètent pas les fondamentaux ». Or, pour lui, l’évolution des prêts (avec leur lot d’impayés) va de pair avec l’évolution des frais des universités, lesquels évoluent de concert avec les salaires.
Le calcul est le suivant : entre 1980 et 2010, les universités d’Etat, ou régionales, qui coûtaient aux alentours de 6.000 dollars l’année (sans les frais de logement) sont passées à 14.000 dollars, tandis que les universités privées sont passées de 13.000 à 32.000 dollars. Sur ces même trente ans, le « rendement » des études (la différence entre une paie avec ou sans diplôme) a lui aussi plus que doublé en passant de 15 à 40 %.
Si l’on reprend les chiffres de Suzan Dynarski, chercheuse à l’université du Michigan et qui fait autorité dans le monde de l’économie de l’éducation, le « rendement » d’une vie diplômée aux Etats-Unis est environ de 650.000 dollars. Or, en prenant l’université la plus onéreuse, Harvard (30.000 dollars par an), il y a encore un différentiel de 530.000 dollars pour un parcours de quatre ans. De quoi inciter quelques étudiants à user leurs culottes sur les bancs de la fac.
La hausse spectaculaire des frais universitaires aux Etats-Unis ne justifie pas d’abandonner l’idée de faire des études, abonde Philip Oreopoulos de l’université de Toronto. « Si l’on regarde les chiffres, c’est toujours mieux de faire des études que de ne pas en faire », affirme M. Oreopoulos. « Le taux de chômage reste toujours plus bas parmi les diplômés universitaires. » Environ moitié moindre, selon le Bureau of Labor Statistics.
Des avantages plus difficilement quantifiables
Et puis c’est sans compter les avantages plus difficilement quantifiables que sont un réseau relationnel étoffé, une santé mieux protégée par une bonne mutuelle offerte par l’employeur, celle de la retraite… « Ou celle du marché du mariage, si l’on peut utiliser le terme, avec un conjoint qui aura un aussi bon niveau de vie », ajoute Amine Ouazad.
« Il y a effectivement un problème avec le crédit aux Etats-Unis, mais on peut considérer qu’emprunter pour ses études reste un bon investissement pour l’avenir », résume Philip Oreopoulos, qui conseille aux parents d’éviter les universités où la grande majorité des élèves doit contracter des emprunts et où ces mêmes élèves sont en revanche trop peu nombreux à finir leurs études. « Au final, c’est cela qui coûte cher : les études abandonnées. »
Signe des temps, les « community colleges », des instituts de formation pratique en deux ans pour lesquels on peut débourser moins de 3.000 dollars, feraient désormais le plein d’après un reportage que leur a consacré le site de la chaîne CNN. Selon une enquête de l’institut Pew publiée en mai, 57 % des Américains pensent désormais que « les étudiants n’en ont pas pour leur argent » et 75 % trouvent que le système universitaire est trop cher.
Un défi, à cinq mois de la présidentielle, pour le démocrate Obama, candidat à sa propre succession, et qui a fait campagne sur le sujet avec force discours, chiffres, cartes interactives et appels sur Twitter, où le mot-clef #DontDoubleMyRate a fait florès. « En Amérique, l’éducation supérieure ne peux pas être un luxe », a déclaré le président sortant, réaffirmant sans hésitation : « C’est un impératif économique que chaque famille doit pouvoir se permettre.« »
Mathilde Damgé
Le double effet boomerang de la crise
« Les frais universitaires ont augmenté plus vite que n’importe quel autre secteur de l’économie américaine » ces dernières années, explique Patrick Callan, président du centre de réflexion National Center for Public Policy and Higher Education. « La tendance s’accélère avec la crise économique », les budgets publics se réduisant, et « la pression des coûts se déplace de plus en plus vers les étudiants et leur famille ».
Une situation doublement injuste quand on sait que cette même crise va mettre face aux étudiants un taux de chômage qui stagne autour de 8 % en juin, après avoir effectué sa première hausse depuis huit mois en mai. Or, ultime paradoxe de ce cercle vicieux, les étudiants prolongeraient ou retourneraient à leurs études à cause des difficultés d’accéder à l’emploi. Selon Equifax, les demandes de prêts auraient ainsi augmenté de 4 % l’an dernier pour cette raison.