L’enjeu de la lecture est une évidence. Comme l’est son rejet par bon nombre d’adolescents. Voici la brève relation d’une expérience, très modeste, mais encourageante, menée en 2011 avec le soutien du dispositif « Ecrivains en classe ». C’est le Liégeois Luc Baba, pour son roman Clandestins, qu’a rencontré une classe de 3e qualification en électromécanique. Une expérience reconduite en 2012. Pour combien de temps encore ? En effet, « crise » « oblige », le politique resserre les cordons de la bourse…
La lecture en classe et la rencontre
Plantons d’abord le décor : un groupe d’une dizaine d’élèves, dans une école très avancée… sur la voie de la ghettoïsation. Un « groupe » classe très décevant sur les plans humain et scolaire : rapport exécrable au travail scolaire, groupe très dissipé, divisé en presque autant de clans qu’il compte d’individus, beaucoup de gamineries. Les relations pédagogiques sont souvent plus que tendues. Les heures de cours fréquemment des impasses.
L’idée, toute simple : « au point où on en est », peut-être que la lecture de ce roman-là fera écho chez les élèves. En effet, Luc Baba y évoque à la fois le parcours d’une jeune réfugiée kosovare (un récit authentique qu’il a recueilli auprès de l’intéressée, l’une de ses élèves à lui), et la vie de quelques ados vivant dans un quartier populaire de Liège (un vécu proche de celui de mes élèves à moi). Dans un style aussi dépouillé que poétique et teinté d’humour. L’auteur est une connaissance, sans doute acceptera-t-il, le cas échéant, de rencontrer le groupe. Voilà pour les termes du pari.
La méthode ? Rien d’alambiqué. L’essentiel de la lecture du roman s’est fait en classe. Le plus souvent, je lisais moi-même, parfois les élèves chacun à tour de rôle (mais alors, ça devenait vite chaotique – eh oui, en 3e secondaire, avec des élèves qui ont pourtant tous le CEB…) Lecture ponctuée de quelques questions de compréhension. Au cours de sciences humaines, quelques rudiments géographiques et historiques sur le Kosovo.
Au terme de la lecture, un questionnaire de synthèse où il est notamment demandé à chacun de formuler des critiques –positives et/ou négatives- sur l’ouvrage, et des questions qui seront posées au romancier quand il nous rendra visite.
La rencontre apporte un plus incontestable ! Essentiellement un rapprochement entre deux sociétés qui se côtoient peu. Quand j’ai émis pour la première fois en classe l’idée de rencontrer l’auteur du livre qu’ils tenaient en main, les élèves doutaient du fait même que je pus connaître personnellement un écrivain. Et qui fut vivant, de surcroît ! Car à leurs yeux, je caricature à peine, un auteur publié est forcément déjà mort et enterré… et tout auréolé de gloire. Alors, l’arrivée de Luc en baskets, jeans et t-shirt fut un choc, comme sa disponibilité, le fait qu’il n’élude aucune question, qu’il dévoile les raisons existentielles qui ont fait de lui un écrivain. Les questions auront porté sur le récit (la part du réel et celle de l’imaginaire), sur le travail d’écriture (quand, comment, dans quelles conditions) et les raisons qui poussent à écrire. Tous n’auront pas mordu à pleines dents dans l’occasion qui s’offrait à eux. Mais quelques-uns, oui. C’était gagné.
Luc BABA, Clandestins
Quelques exploitations possibles
« Mai 1998. L’alerte est donnée dans un village du Kosovo où Serbes et Albanais s’épient depuis de longs mois. Les soldats sont à une demi-heure de route. Aussitôt entassés sur des remorques, Vahide et les siens fuient vers le nord. Loin de là, dans une banlieue triste, Antoine tue le temps, rêvant à peine entre les jours d’école, jusqu’à ce soir d’hiver où Vahide s’installe dans son quartier au terme d’un exil infernal. Bouleversés par son témoignage, Antoine et sa bande se rallient à la cause de la jeune femme, allant jusqu’à planifier une fausse prise d’otage pour demander sa libération d’un centre fermé. »
Roman publié en 2006, réédité en 2009 chez Mijade, Namur, dans la collection Zone J. 189 p, 7,00 €.
Outre la rencontre avec l’auteur, il m’a semblé intéressant de travailler l’esprit critique des élèves en leur faisant comparer deux versions de l’histoire récente du Kosovo. D’un côté, celle du Petit Larousse illustré, unilatérale (version officielle tendance nationaliste albanaise) et celle du Monde diplomatique de mars 2011 (mentionnant aussi les exactions des nationalistes et la reconnaissance encore très partielle de l’Etat kosovar). Je leur ai demandé d’émettre des hypothèses sur les causes de ces deux façons de présenter les choses.
Autre développement possible : un travail sur la question des clandestins dans la société belge. L’approche littéraire, par laquelle les élèves se sont identifiés à une « sans-papiers », est un levier intéressant. Intéressant, mais insuffisant, bien sûr : il faut aussi tout un travail sur les réalités (politiques, sociales, économiques) et le choix de société, solidaire ou xénophobe…
Le dispositif « Ecrivains en classe », menacé par l’austérité ?
C’est l’intervention financière de la Fédération Wallonie – Bruxelles qui permet aux auteurs de venir gracieusement dans les classes. Le Service de la Promotion des Lettres développe cette action vers les écoles de l’enseignement secondaire, tous réseaux confondus, depuis une dizaine d’années. Ainsi, les écrivains peuvent se frotter aux écoliers, leur parler de leur travail littéraire ou les accompagner dans un projet d’écriture.
A noter : parallèlement à ce programme, un centre de documentation est installé au sein de la Promotion des Lettres et propose une vaste documentation sur nos auteurs.
Une connexion à la page ci-dessous vous donnera également accès aux sites et autres blogs animés par les auteurs. Des fiches pédagogiques à l’usage des enseignants y sont également proposées.
Seulement voilà, « crise » « oblige » (c’est à dessein que nous mettons entre guillemets distinctement les deux termes de l’expression), le politique resserre les cordons de la bourse, en limitant le nombre de rencontres et leur durée. A présent, les enseignants doivent demander à l’avance un document à compléter, qui doit parvenir à Christian Libens dans le courant de la semaine qui précède la rencontre, une copie de ce document devant être envoyée à l’écrivain.
Chaque auteur a le droit de rencontrer 30 classes par année civile, à raison d’une heure par classe, pas plus. Le droit du moins d’être défrayé pour ces heures-là.
Internet : http://www.promotiondeslettres.cfwb.be/index.php?id=1373
Contact : Christian Libens
Tél. 02/413.23.19 – 0477/350.943
Boulevard Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
christian.libens@cfwb.be