1930 – 1935. Les années où la dictature nazie a triomphé de la démocratie allemande. L’enquête dont je vous recommande la lecture présente un intérêt tout particulier. Allen s’est, en effet, penché sur la montée du nazisme dans une seule et unique petite ville, Thalburg dans le livre, certainement Northeim, en Basse Saxe, en réalité. Après avoir recueilli des centaines de témoignages et lu les archives et les journaux locaux de l’époque, il a écrit – édition originale en 1965 – cette magistrale reconstitution chronologique, relatée presque au jour le jour.
De la responsabilité de la bourgeoisie…
Comment un groupuscule insignifiant est-il parvenu en si peu de temps à recueillir deux tiers des votes à Thalburg ? Qu’est-ce qui a précipité le naufrage de la démocratie ? Pour aller à l’essentiel – le livre est évidemment beaucoup plus détaillé que le compte-rendu que j’en fais ici -, on retiendra les observations suivantes. D’abord, le fractionnement initial de la population en classes sociales très marquées. La volonté de la bourgeoisie locale de supprimer la classe prolétarienne, ou du moins ses représentants politiques, les sociaux-démocrates. L’auteur décèle sur ce point une paranoïa de la classe moyenne, surtout effrayée par le discours – resté révolutionnaire – d’un SPD pourtant très modérément réformiste. La crise économique, pour brutale qu’elle fut au niveau des ouvriers, ne toucha presque pas les classes bourgeoises, matériellement du moins. Sur ce plan également, c’est surtout dans la tête que ça se passa. La vue des chômeurs errant en ville, et les peurs irrationnelles et obsessionnelles qu’elle engendrait, les poussèrent dans les bras du parti nazi. Première cause, donc : une bourgeoisie qui, se sentant menacée, choisit la voie de l’extrême droite.
… à celle des sociaux-démocrates
Comme seconde cause, Allen dénonce la responsabilité accablante des sociaux-démocrates. Non qu’ils soient restés inactifs face à la montée en puissance des nazis – le SPD et ses organisations ont multiplié les meetings et les manifestations – mais que leurs dirigeants ne soient pas allés assez loin dans le socialisme, alors qu’il en était encore temps. « Si le SPD avait sérieusement entrepris de favoriser l’avènement d’un socialisme démocratique en réaction contre la crise, il est probable qu’il aurait trouvé de nouvelles sources d’énergie parmi ses membres et qu’il aurait selon toute probabilité recueilli les voix de nombreux Thalbourgeois dont les voix se portèrent sur le NSDAP (parti nazi, ndlr) simplement parce que les nazis promettaient de mettre un terme au marasme économique » (p. 350).
Une fois le rapport de force en faveur des nazis, il ne leur resta plus qu’à anéantir – et ce fut fait en quelques mois – le tissu associatif pour véritablement atomiser les liens sociaux unissant la population thalbourgeoise et annihiler toute velléité de résistance.
William Sheridan ALLEN, Une petite ville nazie
Edition originale, 1965
Edition française chez Robert Laffont, 1967
Edition en poche 10/18, janvier 2003