Nous ne prenons pas la plume dans un esprit de revanche mais avec une exigence de justice, cette même exigence de justice qui a animé François Hollande durant toute la campagne présidentielle et qui, nous l’espérons tous, marquera profondément le quinquennat qui s’ouvre.
Nous, membres du Réseau des enseignants du primaire en résistance, avons le devoir de faire entendre notre voix, au moment où l’école de la République peut retrouver la place qu’elle mérite au service des citoyens en construction. Nous avons noté avec plaisir que le Président de la République aspire à être le président de la jeunesse de France. Noble ambition qui ne peut se traduire en actes que si les enseignants que nous sommes sont associés véritablement à la profonde réflexion qui doit être engagée sur l’avenir du système éducatif.
Qui mieux que nous pourra témoigner de la nocivité des réformes imposées par le ministère de l’Education nationale depuis bientôt cinq ans ? Nous qui avons décidé de résister à cette politique de destruction volontaire de l’école républicaine, poussés par le seul appel de notre conscience, au mépris des sanctions qui se sont abattues sur nos têtes. Bien que d’horizons différents, bien qu’animés de convictions pédagogiques variées, nous sommes quelques-uns à avoir été heurtés, dès 2007, par les coups de boutoir portés à l’école. La lettre d’Alain Refalo, notre collègue de Colomiers, En conscience, je refuse d’obéir, en date du 6 novembre 2008, a été pour nombre d’entre nous le signal de l’entrée en résistance.
De lettres de refus en boycotts, ce sont plusieurs milliers d’enseignants à travers le pays qui ont participé à ce mouvement inédit dans l’école de la République, mouvement à la hauteur des attaques lancées, année après année, par le ministère : querelle sur les méthodes de lecture, destruction programmée des Rased et réduction des horaires en lien avec l’instauration de l’aide personnalisée, mise en place des évaluations nationales de CE1 et de CM2 et du fichier base-élèves, étiquetage des enfants au travers du livret personnel de compétences.
Sanctions après sanctions, nous avons maintenu le cap, nous entraidant au cœur des tempêtes, donnant ce que nous pouvions donner pour défendre notre école blessée, dans un esprit magnifique de solidarité, d’échange et de compréhension mutuelle. Et il nous en a fallu de cette sève pour enrayer le rouleau compresseur d’une administration sans états d’âmes, pour nous passer du soutien d’appareils syndicaux généralement frileux, et au-delà pour lutter contre l’incompréhension, l’apathie, ou l’appréhension de la grande majorité de nos collègues. Nous avons souffert de bien des mépris, sans renoncer à notre idéal de justice scolaire, et quand l’un ou l’autre d’entre nous ne se sentait plus la force nécessaire pour mener cette bataille qui nous a tous exposés à des degrés divers, un collègue prenait le relais.
Il n’y a pas de prétention à affirmer que notre combat a été exemplaire et cette exemplarité, chère au nouveau Président de la République, a toujours été, nous en prenons la mesure aujourd’hui, un pilier essentiel de nos actions. Nous avons dénoncé sans relâche et non sans découragement, jour après jour, les atteintes répétées à la liberté pédagogique, la « caporalisation » des esprits, l’absence de dialogue avec la hiérarchie, la soif de compétition, la course à l’évaluation, l’obsession du fichage. La plupart du temps, nous n’avons pas été entendus au sein de l’institution, chacun se cachant derrière un devoir de réserve fantasmé auquel nous avons été trop peu à opposer le devoir de vérité.
Au moment où la politique scolaire de la nation va prendre de nouvelles orientations qui, nous le souhaitons, feront du quinquennat passé une triste parenthèse, nous n’accepterons pas que d’aucuns refassent l’histoire. Il est si simple de retourner sa veste ou de brandir le devoir d’obéissance. Nous avons prouvé au contraire, par notre désobéissance pleinement assumée, que la résignation et la peur ne sont pas une fatalité, que la liberté et la fraternité ne sont pas des mots vains.
Nous n’avons pas de rancune, mais nous n’oublions pas les silences gênés, les mises en quarantaine, l’indifférence et la sinistre théorie des sanctions blessantes et ridicules : blâme, baisse de note, rétrogradation d’échelon, refus de promotion, retrait de direction, retenues sur salaire, suspension. Comme nous n’oublierons jamais la confiance des élèves, de maints parents et d’élus conscients de la justesse de nos combats.
Nous, membres du Réseau des enseignants du primaire en résistance, demandons solennellement que soient levées ou effacées toutes les sanctions qui nous ont frappés et que soit symboliquement reconnue notre action pour la défense de l’école de la République. Nous souhaitons être reçus collectivement par le ministre de l’Education nationale, pour devenir dès à présent une force de proposition dans le débat qui s’annonce sur l’école. Notre résistance au quotidien dans les classes, notre réflexion sur les enjeux scolaires ne sauraient être oubliées par le nouveau ministère. Nous avons soif de reconnaissance, de justice et de responsabilités.
Gilles Lehmann pour le Réseau des enseignants du primaire en résistance
Agnès Bayle, Patrick Toro, Isabelle Bérard, Cédric Serres, Annie Biancarelli, Sébastien Rome, Ninon Bives, Marie-Hélène Robert, Christian Borgetto, Gérard Rigaldo, Roland Braun, Alain Refalo, Marie-Odile Caleca, Sylvie Pralong, Jean Calvo, Catia Piquemal, Claudia Chiaramonti, Patricia Pilleul Mary, Philippe Cherpentier, Laurence Ortega, Anne Courbière, Guillaume Mangenot, Véronique Decker, Anne Loconte, Sandrine Dupin-Bosselli, Cathy Liégent, Sébastien Goyer, Corine Lefort, Valérie Hillion, Emmanuelle Lefevre, Armelle Huitric, Hugues Leenhardt, Dominique Lariepe, Pascale La Rosa