Angela Davis, une « terroriste » honorée à l’ULB

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Le doctorat Honoris Causa est un titre honorifique qu’accorde l’université à des personnalités qu’elle estime devoir être distinguées pour leur rôle politique ou social exceptionnel. Au contraire du même titre accordé par les facultés à d’éminents collègues dont elles veulent relever les mérites scientifiques, il s’agit donc d’un choix lié le plus souvent à l’air politique du temps.

Des choix dictés par le moment

Ainsi, juste après la Libération et la réouverture de l’ULB, les insignes de Docteur Honoris Causa de l’ULB furent accordés à …Staline ! Il est vrai que le titre lui était décerné en tant que vainqueur du nazisme – en même temps qu’aux autres dirigeants alliés – un mérite qu’on ne peut, quoiqu’on pense de Staline, lui refuser.

Il suffit parfois de peu de temps pour qu’un choix – parfois hâtif et inspiré par l’actualité immédiate- semble déjà regrettable. A la fin de la guerre froide il sembla de bon ton à l’ULB de désigner comme Docteur Honoris Causa une Roumaine qui s’appelait Doina Cornea. Elle semblait alors incarner l’opposition à Ceaucescu, présentée comme l’incarnation même du Mal, après avoir été l’incarnation du détachement souhaitable par rapport à Moscou et avoir eu les honneurs de tous les dirigeants occidentaux, y compris du Roi Baudouin. Mais il s’avéra que la dame en question était par ailleurs extrêmement réactionnaire dans les questions éthiques, qu’elle militait pour supprimer le droit à l’avortement en vigueur en Roumanie et que son parti paysan avait plus qu’un relent antisémite !

Ingrid Bétancourt, quant à elle, était terriblement à la mode lorsque l’ULB en fit une Docteur Honoris Causa. Elle était pourtant bien éloignée des idéaux de l’ULB, elle qui réserva au Pape l’une de ses premières visites après sa libération en 2008 et attribua celle-ci aux prières intenses (plus intenses que celles de ses compagnons ?) qu’elle avait multipliées pendant sa détention. Mais au moment de son doctorat Honoris Causa cet aspect de sa personnalité n’était pas encore connu.

Une militante progressiste

Cette année, en choisissant Angela Davis comme Docteur Honoris Causa (en même temps notamment que le réalisateur Costa-Gavras), les autorités de l’ULB font preuve de prudence car il s’agit de couronner le cours d’une vie (comme naguère pour Simone Weil ou la féministe égyptienne Nawal El Saadawi) plutôt qu’une personne arrivée accidentellement sur la scène de l’actualité et dont la personnalité est mal connue et l’évolution ultérieure imprévisible.

Angela Davis approche des septante ans et – sauf coup de théâtre – sa vie entière est marquée constamment des mêmes idéaux. Elle a été une combattante féministe, communiste, luttant ardemment pour les droits des afro-américains. Mais cet engagement, avant qu’elle ne soit une (presque !) paisible prof de philo dans une université américaine, n’a pas été un long fleuve tranquille.

Elle a fait irruption dans la vie de nombreux militants de gauche européens au début des années septante. Proche des panthères noires qui ont organisé un kidnapping, elle est recherchée, en cavale, puis emprisonnée et l’objet d’un procès avec des chefs d’accusation extrêmement graves : complicité d’enlèvement, d’assassinat, kidnapping, membre d’une organisation terroriste…La belle panthère noire est alors l’objet d’une vigoureuse campagne internationale de solidarité au sein de laquelle la Belgique ne démérite pas : affiches,  » pins « , articles, meetings. Celui organisé par la JCB (Jeunesse communiste de Belgique) draine à la salle de la Madeleine de Bruxelles deux mille sympathisants. En Grande-Bretagne, tant les Rolling Stones que John Lennon composent pour elle des chansons de sympathie. Le procès se termine par son acquittement et Angela Davis se présentera deux fois comme candidate à la vice-présidence américaine.

Son itinéraire pose avec vigueur des questions sur le caractère interchangeable de la qualité de monstre ou de héros.

Angela Davis était recherchée dans tous les États-Unis mais des milliers de Noirs avaient apposé sur leur fenêtre une invitation à Angela en cavale à venir s’y réfugier :  » Angela, my home is your home « [1] Elle était considérée par la justice américaine comme une dangereuse « terroriste » mais des milliers de jeunes à travers le monde imprimaient son image sur des affiches, des vêtements et défilaient pour exiger sa libération.

De même Nelson Mandela était à la tête de la – violente – ANC avant de donner son nom à des écoles maternelles même dans notre pays, et Yasser Arafat a connu alternativement le rôle de  » chef du terrorisme  » et de prix Nobel de la Paix. Nos héros de la Résistance n’étaient-ils pas arrêtés par les Allemands en tant que  » terroristes  » ?

Ainsi devons-nous nous demander si certains  » terroristes  » d’aujourd’hui ne recevront pas un jour à leur tour le titre de Docteurs Honoris Causa, à l’ULB ou ailleurs…

Anne Morelli

Professeur à l’ULB, Anne Morelli est une spécialiste de l’histoire de l’immigration et de la propagande. Militante laïque, elle considère les Églises comme des sectes. C’est aussi une historienne de la gauche en Belgique et en Europe.

[1]Yannick Noah a fait en 2010 de ce slogan le refrain d’une chanson consacrée à Angela Davis